Publicité
Les promesses électorales inquiètent les spécialistes financiers
Par
Partager cet article
Les promesses électorales inquiètent les spécialistes financiers
D’une campagne électorale à l’autre, les promesses pleuvent. Tous les grands blocs politiques se prêtent à ce jeu. C’est carrément de la surenchère politique pour séduire un électorat qui a décidé de monnayer son vote.
Des hausses conséquentes de la pension de retraite aux ‘grants’ promis aux chauffeurs de taxi, en passant par la création de 10 000 postes dans la fonction publique, l’augmentation du salaire minimum ou encore le paiement d’une allocation de chômage, tout y passe. Sauf que les dirigeants politiques ne se soucient guère si l’économie peut absorber ou non les coûts de ces mesures.
«Il est dangereux pour nos politiciens de tous bords politiques d’annoncer des mesures électoralistes sans qu’ils aient chiffré les coûts au préalable. Même si je concède que ce sont des mesures qui vont dans le sens d’une amélioration des conditions de vie de la population. Comme cela a été le cas dans le passé, avec l’annonce de l’éducation gratuite à la veille des élections en 1976», fait remarquer le Country Managing Partner d’E&Y (Ernst & Young), Gerald Lincoln.
Milliards de roupies
Il note que depuis le début de la campagne électorale, il y a eu de part et d’autre des promesses électorales impliquant des dépenses publiques énormes, comme le double de la pension à Rs 13 500. «Il faut faire attention à ce qu’on ne mette pas la pression sur l’économie avec de telles mesures. C’est bien d’annoncer des mesures dans une campagne électorale. Ce n’est pas nouveau, d’ailleurs. Mais il faut savoir trouver les revenus pour les financer.»
En fait, la promesse de réaligner la pension sur le salaire minimum à partir de décembre prochain ou encore le double à Rs 13 500 d’ici les cinq prochaines années, selon Pravind Jugnauth, leader de l’Alliance Morisien s’il revient au pouvoir, engloutira des milliards de roupies. Un premier chiffrage indique que le nouveau budget de la pension, suivant le réalignement du salaire minimum, représentera un tiers des revenus fiscaux collectés chaque année, qui s’élèvent à environ Rs 100 milliards. «Une hausse de Rs 6 750 de la pension, comme promise par Pravind Jugnauth, représentera Rs 20 milliards par an, soit un coût total de Rs 40 milliards ou un tiers du Budget de l’État. Il est évident que la dette publique dépassera les 70 % du PIB», souligne un économiste indépendant.
Or, l’économiste Pierre Dinan note que la dette représente déjà plus de 60 % du PIB alors même que certains affirment que ce n’est pas si grave vu que certains pays ont des niveaux de dette encore plus élevés. «Moi je dis qu’il faut faire attention ; ne nous comparons pas à des pays développés. Il faut encore monter un palier de notre développement. La dette est bonne quand le développement est durable et rapporte davantage sur le long terme; mais elle n’est pas bonne quand il s’agit de projets qui au final ne rapporteront pas», souligne-t-il dans l’interview qu’il accorde à l’express dans la présente édition. Voir plus loin.
Inflation
Parallèlement, qui dit augmentation de la pension et du salaire minimum dit également poussée inflationniste. Car un accroissement des dépenses publiques entraînera forcément une reprise de l’inflation. Gerald Lincoln appréhende une situation où les autorités auront à faire glisser la roupie pour contrer les pressions inflationnistes. «Nous ne sommes pas aux États-Unis où on peut imprimer des billets pour sauver le dollar, encore que c’est une monnaie internationale.»
Certes, il n’y a pas que le budget de la pension qui pourra éventuellement exploser avec les promesses électorales inimaginables. L’annonce d’un ‘grant’ de Rs 100 000 aux chauffeurs de taxi interpelle plus d’un et l’on se demande si ce n’est pas carrément un bribe électoral. Un pot-de-vin qui va coûter cher à l’économie : près de Rs 700 millions avec un peu plus de 7 000 taxis que compte le pays.
Consommation
Anthony Leung Shing, Country Senior Partner de PwC, estime que cette vague de surenchère électorale en termes de promesses ne peut qu’impacter négativement l’économie de Maurice. Selon lui, l’équation économique est simple : pour financer des dépenses additionnelles, il faut amplifier des revenus. Or, la principale source de revenus provient de la taxe. «Doit-on comprendre qu’on va augmenter les différentes taxes pour financer l’exécution de ces mesures», se demande le patron de PwC. Et d’ajouter que le dynamisme fiscal est venu de la hausse des dépenses liées à la consommation.
«Il ne fait pas de doute que ces dernières années les travailleurs comme les retraités de la société ont vu leur pouvoir d’achat augmenter significativement. Du coup, ils ont les moyens financiers de dépenser. Ce qui a dopé la consommation et, par ricochet, la croissance. Est-ce une situation qui durera dans le temps ?», s’interroge Anthony Leung Shing. Qui estime que la vision économique doit être planifiée sur le long terme et non en fonction des exigences électoralistes.
Une analyse qui rejoint celle de l’économiste Pierre Dinan, insistant sur la nécessité d’avoir «un programme assurant que l’économie du pays soit planifiée sur le long terme et non pas que sur cinq ans». Il faut que la vision soit durable, dit-il. «Se limiter à un programme économique sur cinq ans n’est pas suffisant, il faut s’assurer que la santé économique soit durable et soutenable.»
Reste à savoir si, dans cette fièvre électorale et entre deux réunions politiques, nos politiciens sauront s’arrêter pour entendre un langage de vérité…
Publicité
Les plus récents