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En voiture avec Mr Malin
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En voiture avec Mr Malin
Baie-du-Cap. Il y a les arbres, la mer, l’horizon, les pirogues. Soudain, une apparition hallucinogène. Un OVNIste grenat orné de banderoles de couleur rose. Un bruit assourdissant rompt la quiétude des tympans et fait fuir les oiseaux. Qui est cet oiseau rare ? Malin, dans la Malinmobile. «To zalou to fam», chantent à tue-tête et en boucle les enceintes sur le toit, mieux attachées que les mains de la copine de Christian Grey. Le véhicule s’arrête, Malin en descend d’un bond, telle une gazelle dans la savane, pince et rouleau de fil de fer entre ses mains gantées.
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Mini-show et index pointé plus tard, il installe sa banderole en tissus autour du garde-fou. Il est pressé, fait la tournée de la circonscription n°14, de l’île Moriste, où deux «Malins», soit George Laplanche et Motiram Luximon, brigueront les suffrages. Peut-on grimper à bord s’il vous plaît Monsieur Malin ? «Vini, viniiii do. Zorz, al dan zot loto twa.»
Folle virée. Là où il passe, Malin fait sourire, rire, ce n’est jamais triste. Les gens le saluent, klaxonnent, lance des appels de phare, la Reine d’Angleterre peut aller se rhabiller. «Hahaaa, zonn trouvé kouma dimounn kontan mwa ?» Tout en roulant à tombeau ouvert, le comique bien vivant lance des jurons avec la bouche et les mains. «Sorry hein, pou sa bann biver disan-la sa…» (NdlR, il cite les noms de politiciens de tous bords, que nous tairons pour rester politiquement correct.)
Malin gesticule, s’agite sur sa chaise, bondit tel un ressort qui s’est échappé d’un stylo. Puis, dans l’habitacle de la Malinmobile, il redevient Danrajsingh Aubeeluck. Sérieux, posé, calme, réfléchi, lucide. Le clown range momentanément ses habits de lumière, d’illuminé. L’homme a 58 ans exerce plusieurs métiers, dont celui de mécanicien. «Mo mama ti éna 3 vas dan lékiri…» Sur son visage, l’émotion suscitée par des souvenirs douloureux. Interruption, klaxons, jurons. «Wi, mo ti pé dir zot, mo pa koz manti mwa, mo fran. Mo ti bien bien pov…» Sa maman voulait qu’il aille à l’école, lui refusait, pour l’aider à s’occuper de ses cinq frères et soeurs. «Mo’nn dir li: “Mo ed twa mama…”»
À 14 ans, il bosse déjà. «Ti pé ras manzé lapin pou 35 sou par sémenn.» Il est tour à tour «marsan boutey», planteur, storekeeper, peintre, travaille dans un magasin pour Rs 50. «Mo’nn pans pou kit lémond-la mo alé, nou ti tro pov.» Mais il tient bon. Interruption, klaxons, pas de juron. «Wi, ki nou ti pé kozé la ?»
Plus tard, il apprend la mécanique, travaille pour une firme privée. Les patrons lui conseillent d’entreprendre des études. «Mo’nn fer mo siziem, SC, HSC, vit-vit térib. Mo’nn computerized, Excel, Word, PowerPoint tousala, very easy.»
Entre, il ne sait plus trop quand, il a «gagn sa lanvi maryé-la». Sa douce et tendre, sa patronne, le garagiste l’a rencontrée lors d’un mariage. «Enn family contact sa.» C’est Madame Maligne qui l’encourage, aujourd’hui, quand il en a un peu – pas beaucoup – marre de tout ce tintamarre. «Enn fwa mo ti pé rod kit politik, létan mo rant lakaz, li’nn fini fer mo paké linz pou met mwa déor…» Quand on parle de ses enfants, Malin se referme comme une huître. Fantaisiste, il est plus à l’aise quand il faut balancer des perles sur les autres politiciens. Interruption, klaxons, jurons.
Le futur Premier ministre auto-proclamé de l’île Moriste est tombé dans la marmite politique en 2 000. «Mo ti al fer kanpagn lor bisiklet.» D’où vient le nom Malin ? «Sir Gaëtan Duval ti met lamé lor mo latet ti dir mwa: “To enn malin, to pou vinn enn gran politisien”.»
«Enn fwa mo ti pé rod kit politik, létan mo rant lakaz, mo madam fini fer mo paké linz pou met mwa déor…»
S’il a voulu se lancer dans l’arène, voire sous le chapiteau, c’est parce que «l’atmosphère» lui a ordonné de le faire. «By the rules and law de l’île Moriste de 1968 (NdlR, in English), mo’nn trouvé ki bizin koz kréol dan Parlman. Kan mo’nn konpran ki bannla pé dir an anglé ek fransé, mo’nn dir: “Mais non, ça c’est faux”.»
L’argent pour sa campagne, l’anticonformiste le puise de ses maigres économies, enn ti Rs 2 000-3 000. Ses affiches, format A4, «in black and white», coûtent Re 1. «Mo bann bandrol momem mo fer, mo dékoupé.» Le trasé-koupé, ça le connaît.
Malin est contraint de s’arrêter à Bel-Ombre, les fans lui barrent la route. Il prépare son larynx de trompettiste, descend de la Malinmobile. Et tel un contorsionniste, enfile son «masque» d’humoriste, caricaturiste. Le clown parfois sérieux et déjanté est de retour. L’accordéoniste des formules chocs serre des mains, répond aux questions, fait des «selfistes». Ses chances d’être élu cette fois ? Son optimisme résiste, il est tout sauf défaitiste : «100 %.»
Ce qui est certain, c’est que le philatéliste, qui a 32 000 timbres – dont certains «dépi déor» – bénéficie d’un gros capital «sympathiste».
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