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Hôpital Brown-Séquard: dépassés par les ravages de la drogue synthétique des infirmiers racontent
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Hôpital Brown-Séquard: dépassés par les ravages de la drogue synthétique des infirmiers racontent
À l’hôpital Brown-Séquard, il n’y a pas que les patients qui ont «latet fatigé». Il y a les blouses blanches aussi; les médecins, mais également les infirmiers. Selon des chiffres révélés par la chef du service de psychiatrie, la semaine dernière, une cinquantaine de jeunes, âgés de 16 à 25 ans, y ont été admis depuis le début de l’année. Les racines du mal : le synthé.
Des infirmiers, comptant de nombreuses années d’expérience, soutiennent que dans des salles, sur 30 patients, une vingtaine est là pour avoir consommé de la drogue synthétique. «Ils sont ici car le ‘setting’ est approprié à l’internement…»
Plusieurs de ces patients accros au synthé «sont violents et présentent des troubles du comportement. Ils sont alors placés dans des cellules spécialisées. Nous avons même l’autorisation de les attacher et de leur administrer des somnifères pour qu’ils puissent dormir. Car dans de nombreux cas, s’ils ne blessent pas des employés, ils risquent de se faire du mal eux-mêmes à cause du manque.»
La violence, les crises sont des symptômes de la consommation de synthé. «Des fois, certains sont tellement violents que même les policiers sont impuissants. Alors mettez-vous à notre place. Il y a parfois des infirmiers qui sont blessés et qui doivent prendre des ‘injury leaves’.»
Électrochocs
Quid du traitement des jeunes drogués ? Il est essentiellement médicamenteux, ils y ont droit durant des semaines, voire des mois, dépendant de leur état de santé. «Jusqu’à ce qu’ils soient sevrés, en quelque sorte.»
Mais il arrive que les médicaments ne fassent pas l’effet escompté. Il faut alors envisager les électrochocs. «Sa mem ki ou tann dir bizin done koud sok. Zot ‘brain cells’ finn débalansé. Sa ed zot an parti koriz sa», estime un infirmier. Une vingtaine de jeunes y auront droit dans les jours à venir. «Certains sont dans un état où ils ne comprennent plus rien, ils ne savent même plus où ils sont. Kouma dir servo inn brilé ek ladrog.»
Un ancien drogué qui a séjourné à Brown-Séquard le confirme. Il ne souhaite pas s’étaler sur cet épisode «noir» de sa vie. Et se contente de confier : «Mo ti dan enn espes trans tou long mo sezour laba. Mo pa rapel mem nanyé. Tou flou dan mo latet», avoue le jeune homme.
Enfants de 12 ans
Les infirmiers, eux, se souviennent de certains cas plus difficiles ou insolites que d’autres. «Il y a quatre ans, un père et son fils avaient été admis dans différentes salles pour les mêmes raisons, c’est-à-dire la prise de drogue de synthèse.» Et puis, il y a aussi des cas où le personnel soignant doit faire face à des jeunes… presque des enfants. «Ena zanfan 12 ans vinn admet…»
Si quelques-uns peuvent compter sur le soutien moral de leur famille, d’autres non. «Fami pa vini, fini fatigé ek zot. Je me souviens de ce jeune homme qui avait volé plus de Rs 300 000 de bijoux à sa mère, l’argent pour le mariage de sa sœur. Tou finn tourn ledo ek li.»
Il y a aussi plusieurs cas de rechute. «Certains sont internés une première fois, puis ils sortent au bout de quelques mois. Mais ils reprennent du synthé et reviennent chez nous…» Une idée du taux de rechute ? «Difficile à dire…»
Admissions en hausse
Du début de l’année à ce jour, il y a eu une cinquantaine d’admissions à Brown-Séquard rien qu’à cause de la drogue synthétique. Les patients sont âgés entre 16 et 25 ans. À titre de comparaison, de 2015 à aujourd’hui, le taux d’admission lié au synthé est passé de 35 % à 80 %...
Le diagnostic du médecin
Il exerce comme médecin depuis 1978. Le Dr Taroonsing Ramkoosalsing a été psychiatre en 1994 à l’hôpital Brown-Séquard, à Beau-Bassin. Et il a aussi été consultant en charge du même hôpital. Aujourd’hui, retraité et travaillant à son compte à son cabinet, il soutient qu’il y a dix ans, l’hôpital comptait entre 5 à 6 admissions liées à la toxicomanie.
Il était bien évidemment question de traitement par médicaments, car les victimes y venaient avec des problèmes d’agitation, de délire, de violences et étaient dans la confusion totale. «Si les symptômes étaient plus aigus, s’ils avaient perdu connaissance, ils étaient à ce moment-là, placés aux soins intensifs.» Le but premier était d’éliminer les produits toxiques de l’organisme.
La bataille ne s’arrêtait pas là. Ils devaient se tourner vers un programme de réhabilitation dans des centres spécialisés, tels que les Centres de solidarité pour une nouvelle vie. «Toutefois, pour l’héroïne par exemple, les patients peuvent être traités par la méthadone, qui a fait ses preuves, des années durant, mais pour les drogues synthétiques, il n’y a pas de traitement spécifique.»
Pour ce docteur, une chose est sûre, même les fabricants de drogues synthétiques ne connaissent pas la ou plutôt les compositions exactes de cette drogue, qui comprend plusieurs variantes. «L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies soutient qu’il y a quelque 450 produits présents dans ces drogues. Moi personnellement, je pense que les jeunes, qui sont décédés récemment, en ont consommé un nouveau qui a atterri récemment sur le marché. Car il faut garder en tête que ces drogues sont fabriquées dans des laboratoires clandestins, où il n’y a pas de contrôle qualité...»
Pour s’en sortir, il faut impérativement miser aussi sur un soutien psychologique. La famille joue alors un grand rôle dans la réhabilitation. De plus, il y a des suivis avec des psychiatres, des psychologues, toujours à l’hôpital Brown-Séquard. Si la majorité peut s’en sortir, sans séquelles, il y a des cas où la prise de synthé laisse des traces à vie. «Zot res ek zot alisinasion. Ena ki mo koné personelman ki ena enn mouvman latet involonter permanan…»
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