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Covilen Narsinghen: «Les filles du PM ont-elles plus de valeur que les autres Mauriciens coincés ailleurs ?»

27 mars 2020, 13:02

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Covilen Narsinghen: «Les filles du PM ont-elles plus de valeur que les autres Mauriciens coincés ailleurs ?»

Confinement oblige, l’interview de cette semaine s’est tenue via un appel WhatsApp. On s’est tourné vers Covilen Narsinghen. Ce Mauricien, conseiller juridique dans une multinationale qui emploie 15 000 personnes à travers le monde, est établi en Angleterre, un des pays les plus critiqués pour sa gestion du Covid-19. Et pourtant, il jette un regard externe encore plus sévère sur Maurice. Accessoirement, il est le frère de Rajen Narsinghen, celui qui a déposé la plainte constitutionnelle pour que ses enfants puissent rentrer à Maurice.

Vous inondez Facebook de vos publications critiques sur Maurice. Pourtant, en Angleterre, ce n’est pas mieux. Alors qu’avec sept cas depuis hier (NdlR, nous lui avons parlé vendredi), Pravind Jugnauth a imposé un confinement national, ce n’est que maintenant, après 4 000 cas confirmés en Angleterre, qu’on envisage un lockdown partiel de Londres. 
C’est vrai, ce n’est que maintenant que nous nous dirigeons vers un lockdown de Londres. À partir de ce lundi, les écoles seront fermées et mes enfants n’iront pas à l’école. Je ne suis pas fan de Boris Johnson, mais ici, il ne règne pas un climat d’opacité. La transparence affichée fait qu’il n’y a pas de panique. Chez vous – je dirai «chez nous» parce que Maurice est mon pays –, vous avez vu la façon dont l’existence de cas confirmés a été annoncée ? Le ministre de la Santé et celui des Finances étaient à la MBC où ils ont martelé qu’il n’y avait aucun cas. Trente minutes plus tard, le Premier ministre (PM) annonce les trois cas. Ça n’inspire pas confiance. Or, la confiance dans les autorités est un des facteurs critiques dans cette crise. Pire : le lendemain, il annule une conférence de presse à 14 h 30 pour ne s’adresser à la population qu’au milieu de la nuit.

La confiance dans les autorités ne se mesure pas. Les cas de Covid-19 par pays, par contre, si. Et là, l’Europe n’a aucune leçon à donner aux autres. L’Italie a dépassé la Chine en nombre de morts. Treize pays européens sont dans le classement des 20 pays les plus touchés. 
Je ne me pose pas en donneurs de leçons. Je suis juste un Mauricien critique qui invite le gouvernement de mon pays à ne pas commettre les erreurs du pays où je vis. Or, je crains qu’on soit en train de faire pire. Vous vous rendez compte que la Suisse est en train de payer les billets d’avion pour que ses ressortissants puissent rentrer chez eux ? Idem pour le gouvernement britannique. Or, Pravind Jugnauth n’a aucune notion de ce qu’est la citoyenneté mauricienne quand il interdit aux Mauriciens de rentrer chez eux .C’est aberrant.

Votre frère Rajen, avocat à Maurice, a été parmi les premiers à contester constitutionnellement cette décision. On devine bien votre position là-dessus et on en parlera. Mais avant, il faut que vous concédiez que Maurice n’a pas les moyens de la Suisse. Air Mauritius (MK) n’a pas les moyens d’aller chercher des Mauriciens à Bangkok, Washington, Rio, Istanbul… 
Puisque vous parlez de MK, permettez que je fasse une petite parenthèse. La compagnie vient de virer un énième CEO. Et on connaît tous le rôle joué par Sherry Singh dans cette histoire. Aussi longtemps que le népotisme et Lakwizinn auront préséance sur les décisions publiques, Maurice n’avancera pas. Les bénéficiaires du népotisme et Lakwizinn, étant trop occupés ailleurs, n’auront jamais l’idée que je vais vous donner : je ne demande évidemment pas à MK d’aller chercher nos ressortissants aux quatre coins du monde. Mais nous avons des ambassadeurs – nommés par népotisme encore – grassement payés. Ils doivent négocier avec les pays où ils sont pour que les Mauriciens dans ces pays puissent prendre l’avion et se rendre par exemple à Dubaï ou dans une autre destination. Si on arrive à faire ça, MK n’aura qu’un seul ou deux vols à effectuer pour ramener nos concitoyens à la maison .C’est si difficile ?

Venons-en à la plainte constitutionnelle de votre frère. On devine que vous abondez dans le même sens que lui pour dire que le fait d’empêcher  votre nièce  rentrer chez elle est «illégal, arbitraire, anticonstitutionnel». Mais si je vous dis que la santé du plus grand nombre est plus importante que le confort familial d’une infime minorité, que diriez-vous 
C’est une des choses les plus barbares que je n’ai jamais entendue. Évidemment que tous les Mauriciens qui rentreraient seraient placés en quarantaine systématiquement. Je comprends parfaitement la douleur et la souffrance de mon frère à Maurice qui veut que ses enfants rentrent. C’est le cas de chaque parent, tout comme Pravind Jugnauth, qui aurait voulu que ses enfants rentrent d’abord avant qu’il ne ferme les frontières. Je ne fais que poser la question. Est-ce vrai que ses filles sont rentrées de Londres via Dubaï, le 18 mars, juste avant la fermeture des frontières, et sans aller en quarantaine ? Si c’est vrai, on nage en plein délire.

Attendez, ces folles rumeurs nous sont parvenues aussi. Tout le monde en parle. Mais ça ne veut pas dire que c’est vrai. À l’ère du «fake», c’est peut-être, voire faux, sans doute… 
Ces rumeurs me sont parvenues et j’ai passé quelques coups de fil pour savoir. Mais je le dis à la forme interrogative. C’est une question que je pose au PM. Parce que je suis à Londres, je n’ai rien à craindre et je peux ainsi m’adresser à Pravind Jugnauth sans crainte de représailles. Est-ce que la rumeur est vraie ? Même si ce n’est pas vrai et que c’est du fake que je dénonce, cette question perdure : est-ce que les filles de couple Jugnauth ont plus de valeur pour la République que ma nièce et les centaines d’autres Mauriciens qui veulent rentrer au pays. Le couple Jugnauth aurait-il abandonné ses enfants en transit dans un terminal ? Vous ne pensez pas que ces rumeurs sont parvenues aux oreilles de Pravind Jugnauth ? Quel est son devoir ? Démentir, non ? Or, il annule une conférence de presse pour s’adresser à la télévision nationale avec des heures de retard. Ce climat-là vous rassure, vous ? Pas moi !

Et le climat économique ? Il vous rassure ? En Angleterre ou à Maurice ? Commencez d’abord par votre entreprise qui exerce dans le domaine des Data Centres et qui emploie 15 000 personnes dans le monde. 
La nature de notre business rend la pratique du work from home très facile. Nos employés dans leur quasi-totalité sont en train de le faire. Mais évidemment, la crise du Covid-19 aura une importante répercussion sur nous parce que nous travaillons avec tout type de clients qui sont, eux, frappés directement. Nous sommes dans une phase où il y a très peu de visibilité et beaucoup d’inquiétude. Mais le «stimulus package» de 360 milliards de livres sterling que le gouvernement britannique a annoncé, on peut se permettre un petit espoir. C’est bien pensé et toutes les entreprises touchées pourront y avoir droit.

Je vous interromps avant que vous n’ayez l’indécence de comparer cela aux moyens dont dispose Maurice pour faire de même. 
Quand vous dites cela, ça me donne envie de rire ou de pleurer. Le gouvernement mauricien n’étaitil pas en train de se vanter de notre bonne santé économique ? Une famille en bonne santé financière ne prévoit-elle pas un fonds d’urgence au cas où un des membres de la famille tomberait malade ? Nos parents nous ont appris à dépenser chacune de nos roupies. Or, ce gouvernement n’a fait qu’inculquer la culture de l’endettement avec des projets comme le Metro Express. On a puisé dans les réserves de la Banque de Maurice pour rembourser des dettes.

Vous êtes en train de dire que les Rs 18 milliards du Special Reserve Fund auraient pu servir dans de telles circonstances ? 
Je ne sais pas d’un point de vue juridique et technique si c’était possible. Mais une réserve, ça vous permet de dépenser dans l’urgence non ? Et si le gouvernement a pu puiser de ces réserves pour payer des dettes, je ne vois pas pourquoi il n’aurait pas pu utiliser cet argent pour assurer la continuité des salaires de tous les secteurs impactés par la crise. Donc, je suis moins inquiet pour l’Angleterre que je ne le suis pour Maurice malgré les 4 000 cas de Covid-19 en Angleterre et les 12 à Maurice.