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Kersley Gardenne: «Est-ce que l’humanité retient vraiment les leçons ?»

14 avril 2020, 15:40

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Kersley Gardenne: «Est-ce que l’humanité retient vraiment les leçons ?»

Kersley Gardenne, ancien perchiste et détenteur du record de Maurice de la spécialité, vit le terrible épisode du Covid-19 à Copenhague. Séduit par la culture scandinave, il salue le fait que le Danemark ait été le premier pays européen à fermer ses frontières le 14 mars et à demander à sa population de respecter les consignes du gouvernement. Lui qui a la chance de ne pas être en confinement partage ses réflexions sur la catastrophe sanitaire qui secoue la planète.

Le confinement est quasi planétaire. Dans vos cauchemars les plus fous, avez-vous déjà songé vivre une telle situation ?
Evidemment, non, et je pense qu’aucun être humain n’a, un jour, imaginé vivre une telle situation. Le cas est inédit. Il y a eu la grippe espagnole après la Première Guerre mondiale, mais je ne suis pas sûr qu’on puisse comparer les époques.

Vous êtes à Paris. Pouvez-vous nous faire un état des lieux ? Comment est-ce que les Parisiens vivent le confinement ? Comment s’adaptent-ils à ce nouveau mode de vie et aux restrictions ?
En fait, je ne suis pas à Paris actuellement. Je suis à Copenhague, où j’habite partiellement depuis quelque temps. Je suis les infos par Internet et les réseaux sociaux. Je suis en contact, tous les jours, avec ma fille et sa mère qui habitent à Paris, par Whattsapp.

J’ai constaté l’incivilité et les provocations des Parisiens au début du confinement et j’ai presque envie de dire «comme d’habitude». Les Parisiens sont très particuliers. Ils adorent leur ville, leur liberté et détestent qu’on leur impose des restrictions. Quand on habite à Paris, on ne reste pas enfermé à la maison toute la journée. C’est inimaginable car il y a tellement de choses à faire et à visiter. Mais cette fois, ils ont très vite compris que la situation était grave et se sont adaptés assez rapidement. Il y a des fiches dérogatoires sur Internet à remplir et à imprimer quand on veut sortir de chez soi pour aller faire des courses ou du sport. Les amendes et la prison ont très vite dissuadé les récalcitrants, même s’il y a quelques marginaux qui ont déjà été condamnés à de la prison ferme pour multi-récidives.

Votre famille et vous, vous étiez-vous préparés à cela ?
Pas du tout, d’ailleurs personne n’a pu penser à une telle catastrophe sanitaire. Même ceux qui auraient dû y penser n’y ont pas pensé - je ne blâme personne. Sinon, dans certains pays, les hôpitaux et centres médicaux auraient suffisamment de masques protecteurs et d’appareils respiratoires. Cela aurait considérablement réduit le nombre d’infectés ainsi que le nombre de morts. Mais il n’est jamais trop tard et j’espère que tous les gouvernements vont tirer des leçons constructives de cette expérience.

Comment vivez-vous le confinement quotidiennement ? Comment est-ce que vous accompagnez votre enfant dans ces moments difficiles ?
Le Danemark a été le premier pays européen à fermer ses frontières le 14 mars et à demander à sa population de respecter les consignes du gouvernement. La culture scandinave est vraiment différente. Ici, les gens ont confiance en leur gouvernement. Quand Madame le Premier ministre (NdlR : Mette Frederiksen) demande à ses citoyens de rester à la maison, sauf pour aller faire leurs courses et prendre un peu d’air, de ne pas se rassembler en groupes de plus de dix personnes, de garder leurs distances et de ne pas dévaliser les supermarchés, les Danois et les Danoises respectent les consignes à la lettre.

Le chef de la police, qui est aussi une femme, est très clair dans ses discours lors de ses conférences de presse. On a le droit de sortir quand on veut à condition de respecter les consignes, donc, on s’adapte et ça se passe très bien. Il n’y a pas d’ambiguïté.
Comme je l’ai écrit plus haut, je ne suis pas à Paris, mais je suis en contact par WhatsApp avec ma fille tous les jours. Elle me raconte sa journée et ses anecdotes. Elle a trois-quatre heures de cours par jour, sauf les week-ends. L’après-midi, elle passe du temps sur son ordi et/ou avec son chat. En début de soirée, elle sort faire du vélo. Parfois, avec sa mère, elles se réunissent entre voisins et voisines sur le palier et passent un moment à discuter. Sa mère fait un excellent travail et tout se passe très bien même si parfois il y a des moments plus difficiles, ce qui est tout à fait compréhensible.

Parvenez-vous à faire quelques exercices physiques malgré le confinement dans l’espace restreint d’un appartement ?
Comme j’ai la chance de ne pas être confiné, je sors tous les jours faire un petit tour dans le quartier que je découvre, en respectant scrupuleusement les consignes. En plus, on est gâté par un super beau temps au quotidien. Franchement, on ne pouvait espérer mieux.

Quant aux Parisiens, ce sont des créatifs. J’ai lu qu’un mec avait fait un marathon entre son salon et son balcon. On trouve toujours un moyen de faire des exercices physiques quand on veut faire du sport. Pas besoin d’aller dans une salle de fitness ou dans un stade. Pour garder la forme dans ce contexte si particulier, 30 minutes-une heure d’exercices physiques quatre à cinq fois par semaine suffisent. Pour le haut niveau, c’est une autre histoire.

Comment tenez-vous le coup sur le plan moral ?
Encore une fois, avec ma copine, je dois avouer que nous sommes des privilégiés. Elle est psychologue, donc ça aide beaucoup. Je sais aussi qu’avec un peu de chance, je reprendrai mon activité professionnelle vers la mi-mai, donc un mois à patienter. On discute beaucoup de l’après Corona, des conséquences de cette situation. On fait des projets, on essaie de planifier les vacances d’été, on essaie de ne pas tomber dans une routine, car c’est à ce moment-là que les choses peuvent se compliquer. Cuisiner, ranger, nettoyer, jeux de société, ainsi que le jardinage sont des activités qui aident à faire passer le temps.

Vous avez de la famille à Maurice. Suivez-vous la situation ici via les sites d’information locaux, les réseaux sociaux, WhatsApp ? Etes-vous en contact régulier ? Etes-vous inquiet ? Vous soutenez-vous mutuellement ?
Tout à fait. Je suis régulièrement en contact avec eux par WhatsApp ou Messenger. Ils se font «chier» comme tout le monde parfois mais ils vont bien. Avoir régulièrement des nouvelles de la famille aide beaucoup à tenir le coup, surtout quand elles sont bonnes.

«Il serait temps que nombre d’entre nous, à commencer par nos dirigeants, fassions le difficile choix du «un-learn and re-learn» en y incluant la psychologie, partie qu’on a trop souvent tendance à négliger à tort.»

Quant à la situation à Maurice, oui, je suis vraiment inquiet et triste. Les décisions que prend le gouvernement sont surréalistes. Ne pas mettre en quarantaine TOUS les Mauriciens qui rentrent au pays est incompréhensible. Laisser nos compatriotes qui sont à l’étranger, dans des aéroports, se débrouiller seuls dans un tel contexte est inadmissible. Que font les ambassades ? Quelles directives ont-elles reçues du gouvernement ?
D’après ce que je lis dans vos journaux, beaucoup ont été abandonnés par l’Etat. Je comprends que chaque pays s’adapte avec ses moyens, mais là, le comportement du gouvernement est juste inacceptable.

Le timing aussi est surprenant. Prendre la décision de la fermeture des supermarchés lors d’une conférence de presse prévue à 18 heures, qui a lieu finalement à 21 heures, est irrespectueux envers les journalistes et les citoyens. Je ne comprends pas le comportement et l’attitude de ce gouvernement. Les Mauriciens ne sont pas exempts de tous reproches non plus. La police et les militaires ont dû avoir recours à la force pour faire passer le message du gouvernement.

Il n’est certainement pas l’heure de pointer du doigt les fautifs, la solidarité ainsi que le bon sens doivent être la priorité de tous les citoyens et que les dirigeants prennent enfin leurs responsabilités.

Les Jeux olympiques ont été reportés d’une année. Estimez-vous que c’est une bonne et sage décision ?
Sans aucun doute. Toutes les grandes manifestations culturelles et sportives en Europe avaient déjà été reportées. Je me demandais quand est-ce que le CIO allait annoncer le report des Jeux. C’est l’unique «sage» décision que devait prendre le CIO.

Vous qui êtes double détenteur des records de Maurice du saut à la perche en plein air (5m50) et en salle (5m60), vous qui avez connu les Championnats d’Afrique, les Jeux du Commonwealth et les Jeux olympiques, parlez-nous des implications d’une telle décision pour les sportifs, les entraîneurs, les fédérations, les sponsors…
A mon avis, pour les fédérations, entraîneurs et sportifs, cela ne change pas grand-chose. Il est vrai qu’on prépare les Jeux olympiques sur une durée de quatre ans, mais je pense qu’ils sont capables de s’adapter. Si on prend le cas de Florent Manaudou, qui revient à la compétition en natation, je suis persuadé qu’il est content d’avoir ce délai pour mieux se préparer.

Un athlète, un sportif qui a été blessé cet hiver, doit aussi être ravi de voir que les Jeux ont été reportés d’un an. Ça lui donne une chance de se soigner et de se préparer pour l’année prochaine. Quant à ceux qui ont déjà réalisé les minima, ils resteront qualifiés, donc pas de stress pour eux. Par contre, un athlète comme Armand Duplantis, qui est dans une forme olympique, peut avoir quelques regrets que les Jeux soient reportés. Mais cela ne veut pas dire que l’année prochaine il ne jouira pas de cette même forme. Faudra juste éviter les blessures. Ayant participé aux Jeux de Barcelone 92 et d’Atlanta 96, je peux vous assurer que, quand la saison hivernale se passe bien, on est beaucoup plus confiant pour la saison estivale.

A mon époque, les sponsors et les droits TV en étaient à leurs débuts. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé. Les sports retransmis à la télé génèrent des sommes d’argent colossales. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet car je ne m’y connais pas trop. J’imagine juste que beaucoup de gens vont devoir s’asseoir autour de la table et renégocier les contrats… en y mettant beaucoup de bonne volonté. Cela dépendra aussi de la situation économique mondiale. Tous les pays ne vont pas retrouver une stabilité économique et financière avant le début des Jeux l’année prochaine.

Le confinement, la fermeture de tous les espaces sportifs, l’annulation ou le renvoi des manifestations sportives, le report des Jeux olympiques : c’est du jamais vu…
J’imagine que, même pour vous, journalistes, c’est du jamais vu. Comment et avec quoi remplir les pages et colonnes sportives ? Que raconter aux lecteurs ?

Les journalistes s’adaptent aussi à la situation… Il faudra aux sportifs de haut niveau une volonté à toute épreuve et une force de caractère hors du commun pour pouvoir s’accrocher et se maintenir au meilleur de leur forme…
Pas si sûr… Les sportifs de haut niveau ont déjà cette force de caractère et cette volonté de s’accrocher et de se battre systématiquement. Tant qu’il ne se blesse pas, le sportif de haut niveau est capable de s’adapter à toute situation. La psychologie va jouer un rôle très important. Je pense que beaucoup d’athlètes et entraîneurs vont revoir leur planning. D’autres peuvent tout simplement arrêter la saison, prendre du repos et revenir plus frais l’année prochaine. Pas une si mauvaise idée pour ceux qui enchaînent les saisons et les meetings. Tout dépend de la discipline et de l’objectif à atteindre. Le but est d’arriver au pic de sa forme le jour-J.

Si la vie reprend son cours normal dans quelques semaines, pensez-vous que le sport de haut niveau parviendra à rattraper le coup, à se remettre dans le rythme ?
Non… En tout cas, pas dans toutes les disciplines. Soyons objectif : un footballeur qui se blesse au mois de janvier et qui revient au mois de mai, on voit bien, lors de son premier match, qu’il a du mal à tenir le rythme pendant les 90 minutes et c’est normal. Le haut niveau est très exigeant. Pas de place pour de l’approximation. Il y a une période foncière, ensuite les réglages, le peaufinage et la compétition. Le peaufinage et la compétition sont complémentaires, mais les deux autres non. Si on rate le foncier ou les réglages, il ne faut pas s’attendre à des résultats exceptionnels. Il y a évidemment des exceptions, mais tout le monde ne s’appelle pas Sergei Bubka. Les sportifs de haut niveau ont un calendrier bien défini. Si et quand quelque chose vient perturber ce calendrier, en général la machine se dérègle.

Et l’humanité aura-t-elle retenu la leçon ? Changera-t-elle en mieux ? Œuvrera-t-elle pour créer un monde meilleur ?
Est-ce que l’humanité retient vraiment les leçons ? Est-ce que l’être humain œuvre pour créer un monde meilleur ? Avons-nous, tous, les mêmes outils et la même volonté pour changer le monde en mieux ?

A mon avis, tout est question d’éducation et de culture. Peut-on demander à tous les pays et Etats de la planète de faire les mêmes sacrifices au même moment ? Certainement pas aujourd’hui, il y a trop d’inégalités et de conflits. Il serait temps que nombre d’entre nous, à commencer par nos dirigeants, fassions le difficile choix du «un-learn and re-learn» en y incluant la psychologie, partie qu’on a trop souvent tendance à négliger à tort.

Si l’Homme arrive à éradiquer le virus de la «CORRUPTION» sur toute la planète, on pourra alors ensemble commencer à œuvrer pour créer un monde meilleur. Autrement, j’ai bien peur que la prochaine «catastrophe climatique annoncée» soit la pire des catastrophes que l’Homme ait jamais connue.

Parfois, on doit regarder la réalité en face et se dire les choses mêmes si elles fâchent. On a le droit de ne pas être content, mais on se doit de faire ce qui est juste et bien.

 

 

 

Ancien perchiste devenu auto-entrepreneur

<p>Jean Kersley Gardenne, 48 ans, détient toujours les records de Maurice en plein air (5m50) et en salle (5m60) du saut à la perche. Divorcé et père d&rsquo;une fille de 11 ans, il est auto-entrepreneur et travaille dans le milieu médical en assurant le transport d&rsquo;organes humains pour des greffes. Il partage sa vie en ce moment entre Copenhague et Paris.</p>

 

 

 

Palmarès international

Date

Compétition

Lieu

Résultat

Performance

1990

Championnats d’Afrique

Le Caire

2e

4,70 m

1991

Jeux africains

Le Caire

3e

5,00 m

1992

Championnats d’Afrique

Belle-Vue Maurel

2e

5,30 m

1995

Jeux africains

Harare

2e

5,20 m

1998

Championnats d’Afrique

Dakar

2e

5,20 m

Jeux du Commonwealth

Kuala Lumpur

3e

5,35 m

 

 

 

 

 

Records personnels

Épreuve

Performance

Lieu

Date

Saut à la perche

Plein air

5,50 m

Dreux

12 juin 1996

Salle

5,60 m

Liévin

15 janvier 1998

 

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