Publicité

Navin Ramgoolam: «Que les firmes bénéficiaires de l’aide nationale cèdent des actions au GM»

20 avril 2020, 09:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Navin Ramgoolam: «Que les firmes bénéficiaires de l’aide nationale cèdent des actions au GM»

Tout en réitérant son respect pour Rama Sithanen, Navin Ramgoolam doute de la solution préconisée par son ancien ministre des Finances : le «Helicopter Money». «La roupie, ce n’est pas le dollar», prévient-il. Quant aux entreprises bénéficiaires de l’aide de l’État, il préconise que cela se fasse sous la forme d’une vente d’actions. Dans cette interview réalisée samedi soir en visioconférence et diffusée hier soir sur «lexpress.mu», le leader du Parti travailliste (PTr) explique aussi pourquoi, sur le plan sanitaire du Covid-19, il ne croit pas dans les chiffres officiels.

Vous avez adressé quelques lettres au gouvernement (GM) et mis en ligne des vidéos où vous faites des propositions. Beaucoup d’internautes se disent que Navin Ramgoolam tente de scorer quelques points et de se refaire une santé politique sur le dos d’un véritable drame qui frappe le pays. N’est-ce pas le cas ? 
Dans toutes mes lettres et déclarations que j’ai adressées au Premier ministre (PM), j’ai attiré l’attention sur un état d’urgence sanitaire d’abord et économique. La priorité est de sauver des vies humaines. Il ne s’agit pas de politique partisane, on est dans une crise et il nous faut tous être solidaires et unis. Nous avons des propositions que je pense être valables et nous nous attendons à ce que le GM en tienne compte au moins.

Voilà pourquoi vous commencez toutes vos lettres par un «Dear Prime Minister» même si vous contestez la légitimité de Pravind Jugnauth… 
Je le fais par respect pour la fonction de Premier ministre.

Depuis le début de l’année, votre priorité était de contester les élections. Le Covid-19 y a changé quelque chose ? 
Je rappelle que je conteste les élections depuis novembre de l’année dernière. Et oui, la priorité a changé : il faut sauver des vies humaines. Et l’économie par la suite. Les autres sujets, dont les contestations électorales, sont passés au second plan… pour le moment.

Abordons la crise sanitaire. Il n’y a pas eu de nouveaux cas positifs ces quatre derniers jours (NdlR, l’interview a été réalisée samedi) et il y a eu un seul nouveau cas positif aujourd’hui. Sommes-nous sur la bonne voie ? 
Malheureusement, depuis le début, le GM n’a pas pratiqué une politique de vérité envers la population. L’engagement de cette dernière est essentiel dans ce combat. D’abord, seuls 9 755 tests ont été réalisés sur une population de 1,3 million d’habitants. C’est totalement insuffisant ! L’insuffisance du nombre de tests fausse dès le départ les données. Deuxièmement, qui sont les personnes qui font l’objet de dépistage ? Si ce sont seulement celles qui ont des symptômes, il faut se rappeler que beaucoup de sujets sont asymptomatiques mais peuvent quand même transmettre le virus. Si on ne teste donc pas un maximum de personnes, les chiffres sont faussés (car on sous-estime le nombre de cas positifs). 

Troisièmement, quid des frontliners ? Des policiers, infirmiers, médecins, cuisiniers dans les hôpitaux affirment n’avoir pas été testés. Ils se plaignent aussi de manque d’équipements de protection. C’est une négligence criminelle et j’ai attiré l’attention du GM à ce sujet. Quatrièmement, quand on sait qu’un porteur de virus peut contaminer jusqu’à six personnes, on réalise que le nombre total de personnes infectées est beaucoup plus élevé. Et le plus inquiétant, des médecins m’ont dit que dans beaucoup de cas, le certificat de décès mentionne pneumonie, diabète, jaunisse ou détresse cardiaque comme cause du décès alors que c’est le coronavirus qui est responsable du décès ! Pourquoi cache-t-on ces informations ? C’est pour cela que je pense, ainsi que d’autres médecins, que le nombre de victimes est beaucoup beaucoup plus élevé.

Vous êtes en train de nous dire que beaucoup de personnes sont en train de mourir du coronavirus mais que l’on est en train de comptabiliser ces morts comme naturelles ? 
Ce n’est pas moi qui le dit. Ces sont des médecins. Pour connaître la vérité, pourquoi ne pas comparer le chiffre de décès avec les années précédentes ?

Notre pays a un système de santé qui semble correct grâce notamment aux excellentes relations qui existent entre Maurice et l’Inde. Nous avons un hôpital ENT flambant neuf et moderne. Avez-vous un reproche à faire à nos infrastructures de santé ? 
Les infrastructures sont une chose et le traitement prodigué en est une autre. Je pense que les traitements sont inadéquats. Je ne fais pas de critiques mais des suggestions. Un exemple : comment et pourquoi neuf patients sur dix qui étaient sous respiration artificielle sont décédés ? C’est un record ! Aussi, le personnel médical est sous-équipé. Un médecin m’a avoué utiliser un masque pendant trois semaines.

On peut aussi vous reprocher de n’avoir rien fait lors de la pandémie de H1N1 en 2009 et ensuite, en 2014, quand Barack Obama avait averti d’une pandémie plus sérieuse à venir. J’ai l’impression que vous n’avez pas pris en compte ces signes précurseurs. 
Votre impression est erronée. D’abord, c’est le président Bush qui avait lancé cette alerte avant Obama. Laissez-moi vous rappeler que lors de l’épidémie du Chikungunya, j’avais fait venir deux experts, un de l’Institut Pasteur et un autre des États-Unis. Ils ont démontré que notre système de fumigation n’était pas adapté car les moustiques ont évolué avec le changement climatique. On a changé notre méthode de lutte contre cette maladie et tout de suite après on a constaté un aplatissement de la courbe de victimes. Après les inondations, j‘ai mis sur pied pour la première fois un Disaster Management Committee avec l’aide d’une experte internationale. 

Lors du déclenchement de la pandémie H1N1, j’ai fait appel au Dr Caussy. Quand il y avait des différends entre cet expert et notre ministère de la Santé, j’ai accordé mon soutien au Dr Caussy car pour moi, c’est lui l’expert. J’ai contacté également le Dr Rugooputh, un Mauricien établi en Angleterre. C’est lui qui a introduit le «PCR Testing» à Maurice ainsi que les équipements nécessaires et c’est lui qui a assuré la formation de notre personnel hospitalier. Il y a eu aussi le Dr Pauvaday, un professionnel extrêmement compétent. Je ne l’avais pas nommé parce que je le connaissais car je ne le connaissais même pas. Je l’ai choisi pour sa compétence. Il supervisait tous les hôpitaux. Il y avait aussi Mme Veerapen et le Dr Gopee. Toutes ces personnes furent remerciées en 2014 !

«On a laissé entrer des touristes, laissé les paquebots de croisière accoster. Nous n’avons fait qu’inviter le coronavirus à Maurice.»

La vérité, c’est que beaucoup sont partis à la retraite… 
C’est le cas pour le Dr Gopee. Mais les autres furent tous débarqués en 2014. On les a remplacés par des incompétents. Et voilà le résultat.

Le Dr Gujadhur n’est pas incompétent. En tapant du poing sur la table, en disant qu’il y aura 1 100 morts pour inciter à la prudence, il a réussi à éveiller la population. Je ne crois pas que le Dr Gujadhur soit un menteur. 
Je ne remets pas en question son intégrité. Ce que je dis, c’est que les chiffres officiels ne reflètent pas la vérité. L’Organisation mondiale de la santé demande trois choses : test, test et test ! Pourquoi on ne le fait pas à grande échelle ? Qu’est-ce qui se passe ? On n’a pas assez d’équipements ? D’ailleurs, même les tests effectués peuvent être défaillants. Le président Trump parle de faux tests ! Il y a des tests qui donnent de «false positives». Cela ne veut pas dire que le sujet n’est pas atteint du virus.

Vous reprochez à Pravind Jugnauth d’avoir ordonné tardivement la fermeture des frontières. Vous avez été PM. L’auriez-vous fait en l’absence de cas positif ? Si Pravind Jugnauth l’avait fait, ne lui aurait-on pas reproché d’avoir été trop prudent, de sacrifier l’industrie touristique et le secteur de l’aviation ? 
On voyait déjà ce qui se passait en Chine, en Corée du Sud, en Italie et en Espagne. Pourquoi croire que notre pays sera isolé de ce virus ? On a laissé entrer des touristes, laissé les paquebots de croisière accoster. Nous n’avons fait qu’inviter le coronavirus à Maurice. On incitait les gens à voyager, on a détaxé l’alcool en vente à l’aéroport, on a baissé le prix des billets. Quand il fallait faire le contraire ! J’avais demandé la fermeture des frontières dès le 29 janvier. Et ce n’est pas fini. Il faut faire attention à la deuxième vague. Donc, moi je n’aurais pas hésité un seul instant et j’aurais fermé les frontières promptement. Même s’il y a des critiques, il faut penser au pays d’abord.

Trente-neuf personnes ont pu pénétrer le territoire sans être mises en quarantaine et elles se sont mêlées à la population… 
En fait, il y a eu beaucoup plus de 39. On n’a pas fait le suivi.

Comment faire plus de dépistage si nous n’avons pas assez de moyens ? 
Gouverner, c’est prévoir. Dès janvier, il fallait commander les masques, les respirateurs et les autres médicaments. Et fermer les frontières. Et à ce jour, il nous manque toujours ces équipements. C’est ce qui se passe quand on attend trop pour commander. Maintenant les autres pays aussi en commandent.

Les signes semblent démontrer qu’il n’y aura pas une prolongation de confinement. Vous êtes d’accord ? 
Il faut faire très attention avant de procéder au déconfinement. Tant que l’on n’a pas effectué de tests suffisants, la levée du confinement invitera une deuxième vague. Ce sera alors plus dur. Rappelons comment des pays plus puissants que nous, comme Singapour, a subi cette deuxième vague. La France la craint aussi. Je ne dis pas qu’il faut tester 1,3 million de personnes. Mais que l’on teste le maximum. Lever le confinement juste parce que le secteur privé le veut… La vie passe avant tout.

Pensez-vous que c’est le secteur privé qui dicte les décisions au GM quant au confinement ? Pravind Jugnauth a pourtant déclaré qu’il n’a pas cédé et ne cédera pas à des lobbies. 
Pourquoi alors fermer les frontières en mars au lieu de janvier ! Peut-on être incompétent à ce point ? Il y a des raisons derrière ces décisions.

Il dément les pressions et lobbies économiques. 
À vous de juger.

Au sein de votre GM, il y avait certes une aile gauche menée par Nita Deerpalsingh. Mais il y avait aussi Rama Sithanen, qualifié d’homme du secteur privé. Si ce secteur privé finance le MSM comme le MMM et le PTr, c’est logique – je ne dis pas que c’est bien – qu’il ait une emprise sur les décisions publiques non ? 
Il ne faut pas qu’il y ait d’emprise sur le GM quand on parle de la santé de la population. Je ne dis pas que le GM a subi ces lobbies mais je me demande pourquoi il a pris tout ce temps pour fermer les frontières. Le PTr n’est pas contre (le secteur privé), mais on prône aussi la justice sociale. Nous pensons que l’efficience économique ne devrait pas exclure cette justice sociale.

On parle d’une croissance négative de 7 à 11 %, un taux de chômage de 17,5 %. Cette perspective économique vous inquiète-elle ? 
Déjà, avant les élections, le PTr, le PMSD et le MMM parlaient d’une situation économique catastrophique. Il ne faut pas mettre tout sur le dos du Covid-19 ! On a fait d’énormes gaspillages, avec des cas de corruption partout ; on a mis la main sur les réserves de la Banque de Maurice. Il ne faut pas venir dire donc que c’est la faute au Covid-19. Cela dit, oui le Covid-19 entraîne une énorme crise économique.

Rama Sithanen, celui que le PTr avait présenté comme le ministre du Développement économique, propose l’«Helicopter Money», c’est-à-dire soit on fait tourner la planche à billets soit on monétise les dettes. Êtesvous d’accord avec le principe contenu dans cette proposition ? 
Je respecte beaucoup Rama Sithanen. Ce terme est de Milton Friedman, dans les années 50, aux États-Unis. La situation était différente de la nôtre. Le dollar est une devise de réserve et tout le monde voudra en acheter et il n’y aura jamais «trop» de dollars sur le marché. Notre roupie n’est pas une devise de réserve. Au contraire, elle déprécie de jour en jour. Ajouter de la liquidité dans un marché déjà difficile et volatile, c’est dangereux. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est aider la population en lui offrant des produits essentiels et non de l’argent liquide.

Oui, mais ça c’est pendant le confinement. Proposition faite par Rezistans ek Alternativ et que le GM n’a pas suivi. Mais là, on parle de l’aprèscrise sanitaire. La crise économique après le déconfinement. 
Il faut des stimulus packages. Mais pas comme celles de 2008. L’État ne peut pas continuer à donner sans compter comme s’il était une vache à lait. Cette fois, on devrait demander à toutes les entreprises qui touchent une subvention de l’État, de céder une partie de leurs actions. Profitons-en pour démocratiser l’économie.

Mais où trouve-t-on cet argent ? Vous dites que les finances de l’État sont exécrables à cause de la mauvaise gestion du GM Jugnauth ? 
À la Banque de Maurice et les banques commerciales. Voilà pourquoi il faut rappeler le Parlement pour qu’on vote une nouvelle Banking Act qui permettra à la Banque de Maurice de décaisser. Et qu’on puisse aussi poser des questions.

Le GM a payé un mois et demi de salaire aux employés de compagnies. C’est un bel effort. Vous concédez ?
Un bel effort ? Mais ils sont obligés. Vous auriez laissé les gens sans salaire alors que leurs employeurs n’ont rien généré pour les payer ? Je note au passage la faible somme accordée au secteur informel et aux PME. Et puis, ce n’est pas un cadeau. C’est l’argent du contribuable qu’on est en train de lui rendre en temps de crise. Et, je le répète, les entreprises ne devraient pas voir cela comme un cadeau. Toute grosse entreprise qui toucherait les financements de l’État, devrait céder une participation (actions) à l’État. Macron, qui est loin d’être un homme de gauche, envisage des nationalisations. Vous vous rendez compte ?

Ce sont les mauvaises expériences qui parlent ? Celles qui ont vu Jean Suzanne et Ram Mardemootoo bénéficier du stimulus package de Rama Sithanen ? Et, du coup, vous parlez à présent de prise de participation de l’État ? 
Nous reconnaissons nos erreurs. Il y a eu des personnes qui ont abusé de la bonne foi de Rama Sithanen, et ces deux que vous avez citées ne sont pas les seules. Mais ce n’est pas cette expérience qui me dicte maintenant quand je parle de prendre des Equity Stakes dans ces compagnies aidées. On ne peut tout simplement pas prendre l’argent public sans rien recevoir en retour.

La Banque centrale a baissé le taux directeur de 100 points cette semaine. Elle offre ainsi des incitations au secteur privé pour qu’il emprunte davantage des banques. Pendant combien de temps pourra-t-on prêter au secteur privé déjà lourdement endetté ? 
Je ne sais pas s’il est aussi endetté que cela car en voyant le bilan de certaines compagnies, ce sont d’énormes profits que l’on voit. Je ne pense pas que ces entreprises se soient endettées autant dernièrement. Le secteur privé, je connais. Pour eux, c’est toujours la crise, toujours des problèmes. Donc, faites attention. 

Une question cynique. Ça vous arrive de vous dire «heureusement que je ne suis pas PM en ces temps de crise» ? 
J’ai entendu certaines personnes le dire à ma place. Non. Je suis suffisamment humble pour reconnaître que cette crise aurait pu arriver sous n’importe quel PM. Mais tout est dans la manière de gérer. Que voit-on au contraire ? La suspension de la licence d’une radio, l’arrestation et l’incarcération d’une femme qui a fait un peu d’humour sur Facebook. Moi, je trouve qu’elle a dit vrai. Les leaders mondiaux devraient demander à Pravind Jugnauth sa recette.

C’est presque fait. La BBC a quasiment félicité Pravind Jugnauth.
Ça, c’est parce qu’elle croit aux chiffres officiels. Pas moi !