Publicité

Megh Pillay: «MK est un patrimoine national inestimable qui ne devrait jamais être cédé à des étrangers»

25 avril 2020, 16:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Megh Pillay: «MK est un patrimoine national inestimable qui ne devrait jamais être cédé à des étrangers»

Avec le transport des fournitures médicales, entre autres cargo de la Chine vers différents pays, le rapatriement de passagers ou du personnel humanitaire, tout en cherchant à différer les paiements de location des avions, Ethiopian Airlines s’est réadapté à la situation. Que peut faire MK à son tour pour «survivre» avec le Covid-19 ? 
De la flotte de 13 appareils de MK, seulement huit sont des avions-combi passagers et cargo dont l’espace intérieur est divisé avec un pont inférieur dédié aux bagages et au fret. Comme sa mission principale est de transporter des touristes et des hommes d’affaires, la capacité fret est très restreinte. Cela coûte très cher d’opérer ces avions sans passagers et seulement pour quelques tonnes de fret. Comme la situation exceptionnelle l’exige, espérons que ceux qui les affrètent paient le prix. 

Ethiopian opère une flotte de plus de 120 appareils, dont une douzaine sont des freighters totalement dédiés au cargo. Air Mauritius peut certainement convertir quelques avions en freighters pour profiter de la conjoncture favorable au fret en attendant que le tourisme atteigne sa vitesse de croisière. En tout cas, MK était déjà en surcapacité de flotte ayant loué des gros porteurs à la South African Airways.

Justement, comment récupérer le manque à gagner suivant le non-paiement depuis janvier de la location de ces deux avions neufs à une South African Airways en difficultés financières et rentabiliser enfin leur acquisition ? 
Cela fait partie du travail des administrateurs qui feront comme bon leur semble. C’est triste qu’on en soit arrivé là aujourd’hui. L’aviation est à forte intensité de capital mais à faible retour sur l’investissement. On n’achète pas des avions dont on n’a pas besoin.

Un «Payroll Support Program», comme l’a conclu le département du Trésor américain avec American Airlines, Delta Air Lines, United Airlines, entre autres compagnies aériennes américaines, pour préserver l’emploi et son industrie de l’aviation a été évoqué à haut niveau. Est-ce une solution soutenable ? 
Les États-Unis jugent absolument nécessaire cet appui provenant des fonds publics pour préserver les emplois et sauvegarder son aviation considérée d’importance stratégique. Maurice, État insulaire, n’a aucun intérêt à laisser couler à pic son transporteur national, voire son cordon ombilical ou de le céder à des intérêts privés ou souverains étrangers. L’injection des liquidités et du capital nécessaires ne pourrait à terme qu’être bénéfique à ce pays et aux contribuables. Sans ce geste coûteux et lourd, le pays risque de payer bien plus cher. Soit, la disparition d’Air Mauritius.

MK compte 2 000 employés. Parmi des mesures courageuses à prendre, certains proposent de revoir à la baisse le nombre de managers, voire de VP, d’EVP, entre autres employés. Partagez-vous le même avis ? 
Le personnel est relativement en surnombre en conséquence d’un ralentissement de la croissance anticipée et du fléchissement des affaires d’Air Mauritius pour des décisions hors de son contrôle. Un redressement sérieux implique un nouveau plan d’affaires où chacun sera pleinement mis à contribution dans le cadre d’un réalignement des effectifs. Je suis viscéralement contre la mise à pied des employés et convaincu qu’on doit viser la diversification des opérations et une croissance rapide dès la reprise post-Covid-19.

«Ces comités décident de tout pour la compagnie au nom du board : du recrutement d’un planton à celui d’un CEO ; de l’achat du jus de fruit à l’acquisition d’un avion.»

Comme il a été demandé aux pilotes de renoncer à leur prime annuelle, le top management et les autres hauts cadres de MK doivent-ils eux aussi consentir à une baisse de salaire comme cela a commencé au sein des sociétés privées ? 
Les pilotes et tous les autres cadres sont des personnes intelligentes qui sont très capables de prendre ce genre de décision volontairement et je suis sûr qu’ils le feront si on discute avec eux en toute transparence de tout plan de redressement.

Ne pensez-vous pas que la question de révision à la baisse des salaires doit aussi s’appliquer aux deux administrateurs en termes d’honoraires ? 
On ne peut répondre pour eux. D’ailleurs, leur cahier des charges et les termes de leur rémunération ne sont pas connus. Leur mission normalement consiste à sauver l’entreprise. S’ils échouent, ils peuvent liquider les opérations et vendre les actifs pour payer les créanciers et le personnel ou vendre l’entreprise à d’autres investisseurs. Virgin Australia, qui est entrée en administration volontaire mardi dernier, avec des dettes de presque 5 milliards de dollars après des pertes successives, compte émerger en compagnie profitable.

Qu’est-ce qui serait mieux pour MK ? Un rachat par un groupe étranger ou un partenariat à l’Air Seychelles-Etihad ? 
Ni l’un ni l’autre ! Air Mauritius est un atout stratégique de notre économie. Elle doit être redressée et reprendre sa mission nationale pour le bien de tous à Maurice et de notre diaspora à travers le monde. Il faut savoir qu’elle détient un important portefeuille de droits de trafic aérien acquis sur plus de 50 ans d’activité. MK est un patrimoine national inestimable qui ne devrait jamais passer dans des mains étrangères au détriment de nos générations à venir. Cela serait une décision irréversible et Maurice y aurait tout à perdre.

Que voulez-vous dire ? 
Si MK est à terre aujourd’hui, c’est d’abord à cause de la contamination systémique de sa structure de gouvernance. Je m’explique : certains membres du conseil d’administration s’accaparent les pouvoirs exécutifs qui devraient revenir au Management opérant sous le CEO. Ils y arrivent en faisant créer par le board des comités restreints et en y déléguant les pouvoirs exécutifs. Ils prennent aussi le contrôle d’une dizaine de filiales qui, sous une bonne gouvernance, auraient été du ressort du CEO. Ces comités décident de tout pour la compagnie au nom du board : du recrutement d’un planton à celui d’un CEO ; de l’achat du jus de fruit à l’acquisition d’un avion. Ces comités sont contrôlés par ces mêmes deux ou trois personnes au nom de l’actionnaire principal et qui ne sont aussi pas du métier.

Que conseille le gestionnaire que vous êtes et qui a été aux commandes de MK à deux reprises pour remettre le transporteur en piste ? 
S’attaquer au problème principal qui la ronge de l’intérieur est nécessaire. Il suffira de mettre de l’ordre, à commencer par restaurer la structure de gouvernance. Il faudrait ensuite laisser la gestion strictement aux professionnels et autres techniciens; dégraisser la compagnie de l'excès de lourdeur qui lui a été imposé ; revoir son business model ; concentrer ses efforts sur les routes lucratives; abandonner les aventures farfelues comme le Singapore Air Corridor, le ‘persillage’ des dessertes non rentables en Asie et des vols vides vers l’Afrique ; remettre en place et renégocier ses accords de partenariat avec d’autres lignes comme Air France et British Airways; rétablir sa fonction de marketing de concert avec les opérateurs du tourisme et, enfin, remobiliser et redynamiser tout l’effectif afin de permettre une remontée rapide.