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L’Indien qui a escroqué des milliards à la SBM… et d’autres banques mauriciennes !
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L’Indien qui a escroqué des milliards à la SBM… et d’autres banques mauriciennes !
Le chiffre donne froid dans le dos. Selon le bilan officiel publié ce matin, les profits du groupe SBM passent de Rs 1,2 milliard en 2018 et Rs 2.,5 milliards en 2017 à – tenez-vous bien – Rs 15 petits millions en 2019 ! Presque 100 fois moins !
Ces deux «zéros», c’est a priori un petit malin qui s’en est allé avec. Il s’appelle Bavaguthu Raghuram (BR) Shetty. L’homme est un milliardaire qui vit à Abu Dhabi. Il possède, selon l’Economic Times of India, un jet privé, un Gulfstream G450, deux étages (100e et 140e) du Burj Khalifa, des propriétés au Palm Jumeirah, le fameux archipel artificiel du golfe Persique, et 7 Rolls Royce. Sa fortune a été estimée par Forbes à Rs 168 milliards en 2018. Sa galerie de photos sur son site web regorge de clichés avec des personnalités : de Narendra Modi à Bill Gates en passant par Abdul Kalam ou encore Shah Rukh Khan.
Tout a commencé avec 8 dollars
Mais la plus grande fierté de BR Shetty c’est son histoire. Il est la personnification du rêve du golfe Persique. Il est arrivé, du Karnataka (sud-ouest de l’Inde, Etat qui a pour capitale, Bangalore) à Abu Dhabi dans les années ’70 avec 8 dollars en poche pour travailler comme simple vendeur de produits médicaux.
De là, l’histoire est fabuleuse. BR Shetty crée sa clinique (NMC), inaugure son laboratoire de produits pharmaceutiques, se lance dans la grande distribution, crée une agence qui permet aux expatriés indiens d’envoyer de l’argent en Inde, devient citoyen d’honneur d’Abu Dhabi, se lance aussi dans le service traiteur de luxe (il est le traiteur officiel du grand prix de Formule Un d’Abu Dhabi) et va jusqu’à coter NMC Healthcare à la Bourse de Londres !
NMC Healthcare opère 188 cliniques dans 17 pays, a soigné 6 millions de patients en 2018, emploie 18 000 personnes dont 2000 médecins, pour un chiffre d’affaires de 2 milliards de dollars ! Sauf qu’en décembre dernier, Muddy Waters – une firme d’enquêtes fiscales (rien à voir avec le bluesman américain) – fait des révélations fracassantes sur l’empire de BR Shetty. Il aurait sous-évalué les dettes de NMC Healthcare par 4,5 milliards de dollars en 2019. Dans d’autres compagnies de l’empire Shetty, des chèques totalisant plus de 100 millions de dollars ont été émis sans l’aval du conseil d’administration.
Dans la foulée, c’était évidemment la panique chez les créanciers des compagnies de BR Shetty. La Banque commerciale d’Abu Dhabi à qui NMC doit 981 millions de dollars a immédiatement demandé et obtenu la mise sous administration du groupe et fait bloquer toute vente d’actions ou d’actifs ainsi que le paiement de dividendes. Les autres ardoises de NMC sont comme suit : $541 m auprès de Dubai Islamic Bank, $325 millions auprès de l’Abu Dhabi Islamic Bank, $250 millions auprès de Standard Chartered, $146 millions de la Barclays, et selon les premiers éléments de notre enquête, $100 millions auprès des banques mauriciennes.
Hold-up de 100m USD dans les banques mauriciennes
Depuis quelques semaines, la rédaction de l’express enquête sur de possibles prêts que des banques mauriciennes auraient pu accorder à NMC Healthcare. Plusieurs sources non officielles avancent que NMC Healthcare ait pu lever un total 100 millions de dollars comme prêt du secteur bancaire mauricien. Un premier couperet est tombé alors que nous écrivions à ces banques. La SBM a publié son bilan ce matin. Résultat : la banque fait des provisions de Rs 2,9 milliards de roupies pour des «credit loss», soit les pertes encourues dans des prêts, ou en termes encore plus simples, lamoné zété !
Combien de ces Rs 2,9 milliards sont allées à NMC Healthcare ? Nous attendons la réponse officielle de la banque à un e-mail envoyé hier, mais plusieurs chiffres circulent dans le milieu bancaire : de 25 millions de dollars (Rs 1 milliard) à 50 millions de dollars (2 milliards de roupies). Selon les éléments de notre enquête, ce prêt a été accordé sans garantie. La banque s’est simplement fiée à la resplendissante santé financière de NMC Healthcare.
Ce qui est sûr et officiel, c’est qu’avant cette provision les profits de la SBM s’élevaient à Rs 3,4 milliards. Au final, avec ce prêt «lamoné zété», la banque se retrouve avec une bagatelle de Rs 15 millions comme profits.
Autre certitude : la MCB a, en août 2019, émis 20 000 credit notes de 1000 dollars chacune, à la Bourse mauricienne pour le compte de NMC Healthcare. En somme, la banque ne lui a pas prêté de l’argent mais a agi comme son agent pour que NMC Healthcare lève ces 20 millions de dollars à la Bourse sous forme d’investissements. Les souscriptions à ces notes se sont vendues comme des petits pains et NMC Healthcare a très vite empoché ses 20 millions de dollars. Quand le scandale a éclaté, la MCB a émis une Cautionary Announcement. Dans un mail envoyé à la MCB cette nuit, l’express demande à la MCB de confirmer si en tant qu’ «issuer», elle n’a aucun «exposure» (risque) qui pourrait avoir une incidence sur ses comptes et que les éventuelles pertes ne seraient encourues que par les souscripteurs eux-mêmes.
Selon notre enquête en cours, au moins une – peut-être même deux – autres banques mauriciennes auraient prêté des millions de dollars à NMC Healthcare. Nous attendons leurs réponses officielles et/ou celles de la Banque de Maurice avant de les dévoiler.
La réponse de BR Shetty
N’y avait-il aucun signe avant-coureur qu’une véritable «due diligence» aurait pu identifier ? «Absolument pas», nous ont répondu plusieurs sources des milieux bancaires. «According to the books the world could have crashed but BR Shetty would have survived», explique par exemple une source non officielle à la SBM Tower.
Mais un autre banquier, au courant du dossier, n’est pas d’accord. «Le fait même qu’un groupe aussi grand et aussi fort vienne à Maurice – of all jurisdictions – pour lever la ‘minuscule’ somme de 100 millions de dollars constitue en soi un red flag. Avec un peu de réalisme, et moins de cupidité, on aurait senti venir le danger», dit-il.
Après s’être muré dans un long silence, BR Shetty a finalement émis un communiqué hier qui a été relayé par le journal Khaleej Times. Il jette le blâme sur les directeurs de ses compagnies qui selon lui ont agi dans son dos pour créer des entreprises fictives, contracter des emprunts et détourner les fonds de ses compagnies.
BR Shetty, actuellement en Inde, encourt des poursuites pour fraude, faux, usage de faux, et détournement de fonds à Abu Dhabi. Ses comptes bancaires personnels dans les Emirats arabes unis ont été bloqués. Mais de là à voir ces dizaines de millions de dollars – encore plus précieux avec la crise du Covid – retourner à Maurice, la route risque d’être très longue, voire interminable.
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