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Handisport : après l’effort et huit mois d’attente … la grande désillusion

5 juin 2020, 05:32

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Handisport : après l’effort et huit mois d’attente … la grande désillusion

C’est l’incompréhension du côté de l’Aurally Handicaped Persons Sports Federation. En remportant quatre médailles (1 or, 2 argent et 1 bronze) lors de la première édition des championnats d’Afrique d’athlétisme pour les sourds, les athlètes s’attendaient à être mieux considérés par les autorités nationales. Cependant, en découvrant le montant des récompenses offertes par le Ministère de l’Autonomisation de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs (MAJSL) communiqué le 28 mai dernier, la désillusion a été cinglante. 

Selon les recommandations de la High Level Sport Unit (HLSU), la compétition disputée du 16 au 22 septembre 2019 au Kenya est classée dans la catégorie G  sous le label «Continental Zone Competition». Pour l’entraîneur, Giovanni Sylvio, c’est tout simplement une mauvaise classification: «Ce sont bien des championnats d’Afrique et il faut reconnaître cette compétition en tant que telle. Pourquoi cette sous-estimation ?» 

Le MAJSL s’explique à travers son attaché de presse, Fabien Hector : «Selon le Comité International des Sports pour les Sourds (NdlR : CISS), les 1ers Championnats Africains d'Athlétisme des Sourds (16 au 22 septembre 2019) sont classés comme Championnats Régionaux». Il précise que : «Seuls 11 pays ont participé à la compétition et que la compétition n’apparait pas au calendrier du Comité International Paralympique et de Deaflympics». 

Mais Giovanni Sylvio insiste sur le fait que la première édition des championnats d’Afrique d’athlétisme pour les sourds a été bien organisée par la confédération africaine des Sports des Sourds (CADS) avec l’aval du CISS. D’ailleurs comme le fait remarquer l’attaché de presse, l’événement figure, bien, parmi les événements du CISS sur le site internet de l’instance international mais comme des «Regional Championships». 

Pour clarifier ce point, nous avons contacté le président de Mohamed Madoun, président de la confédération africaine des Sports des Sourds (CADS). Il affirme que : «Les 1st Africa Deaf Athletics Championships sont considérés comme des Championnats d’Afrique et est reconnu comme tel par le Comité International des Sports pour les Sourds (CISS)». Dans son interview à lire plus loin, il annonce aussi que la seconde édition aura lieu en 2023.

Jean-Vincent Duval sur la première marche du podium des championnats d'Afrique en septembre dernier.

Selon nos observations sur le calendrier en ligne, les événements de l’instance sont classés dans les catégories World Championships, Regional Championships, Meetings, Youth Games, Deaflympics ou encore Youth World Championships. A titre d’exemple, les 4th World Deaf Athletics Championships prévus en septembre fait partie de la catégorie «World Championships». Le 2020 PAN American Tennis Tournament est par contre classé comme un «Regional Championships» étant donné que cette compétition se tiendra au niveau continental. La 24e édition des Deaflympics prévue en décembre 2021 est, elle, classée dans la catégorie Deaflympics.

Pour la première édition des championnats d’Afrique pour les sourds, sur les onze pays participants, neuf ont remporté des médailles et figurent, ainsi, au classement par pays. «Nous avons rivalisé avec les Kenyans, les Nigerians et les Ethiopiens. L’équipe de Maurice a, également, terminé devant l’Algérie, l’Ouganda, la Libye, le Cameroun et le Botswana. Pour moi, il n’y a pas photo. Cette compétition ne peut être considérée comme régionale. Le niveau était bien continental», insiste l’entraîneur. 

Etant donné que la HLSU maintient que la première édition des championnats d’Afrique d’athlétisme pour les sourds est un  «Continental zone competition», l’équipe obtient Rs 24, 550.  La médaille d’or de Jean-Vincent Duval au saut en longueur est, donc, évaluée à Rs 7000.  «De quoi perdre toute motivation», confie la mère du champion d’Afrique, Mimose. Huit compétiteurs étaient en lice dans l’épreuve. Selon le cash prize scheme en vigueur depuis juillet 2015, un champion d’Afrique a droit à Rs 90, 000 pour une médaille d’or en individuel. Les conditions à remplir pour avoir 100% de la somme est qu’il faut avoir sept ou plus de participants dans l’épreuve. 

Cinq autres athlètes étaient en lice pour cette compétition. Ouweish Emandee a remporté l’argent au concours de poids. Avec 8 participants dans l’épreuve, il était aussi éligible à 100 % de la somme de Rs 60, 000 si la compétition avait été reconnu comme des Championnats d’Afrique. Mais dans la catégorie G, il touche Rs 5000. En féminin, Shleysha Lokheeram avait aussi terminé seconde au saut en longueur. Comme le concours comptait 6 participantes, elle était éligible pour 75 % de la prime.  «Au final, elle ne reçoit que Rs 3750. Ma fille s’est entraînée pendant plusieurs mois pour cette compétition. Six fois par semaine, elle voyage en autobus de Poste de Flacq pour se rendre au stade de Rose-Hill ou de Réduit pour s’entraîner. C’est dur de constater que les efforts fournis ne sont pas reconnus», dit la maman de l’athlète, Kiran Lokheeram. 

Comme Jean-Vincent Duval, Shleysha Lokheeram avait été médaillée d’or aux JIOI en 2019. «Les athlètes ont été mieux récompensés pour les JIOI qui sont de niveau régional. Au Kenya le niveau était de plusieurs niveaux au-dessus. Je ne comprends pas ces incohérences», lâche l’entraîneur Giovanni Sylvio.  L’équipe de relai 4 x 100 avait remporté une médaille de bronze. Christopher Durhonne, James Ravina, Yasheem Summun et Jean-Vincent Duval s’attendaient à recevoir Rs 15, 000 mais obtiennent finalement Rs 1500 chacun. Quant à l’entraîneur, Giovanni Sylvio son enveloppe qui doit représenter 40 % de la plus grosse prime remportée par l’un de ses athlètes est de Rs 2800.

Mais l’entraîneur explique que ses récriminations vont au-delà de l’aspect financier. «Le manque de considération est flagrant», dit-il. Kiran Lokheeram maintient que le MAJSL devrait permettre aux sportifs sourds et malentendants de pratiquer un sport sans discrimination. «Mais ce n’est pas le cas. Certains handisportifs sont mieux considérés que d’autres par le ministère. Les sourds ont un handicap invisible mais ils méritent, aussi, d’avoir le même soutien que les handicapés physiques par exemple. Ils font les mêmes efforts pour réussir dans leurs disciplines», souligne-t-elle. En attendant, les athlètes sourds et malentendants devront repasser pour la revalorisation de leurs performances. Espérons qu’il ne faudra pas attendre 2023…

Eclairage

Le CISS est  l’instance dirigeante des sports pour les sourds dans le monde. Le mouvement international compte quatre «Regional Confederations».

  • Asia Pacific Deaf Sports Confederation – APDSC (34 pays)
  • Confederation of African Deaf Sports – CADS (25 pays)
  • European Deaf Sports Organization – EDSO (43 pays)
  • Pan American Deaf Sports Organization – PANAMDES (16 pays)

Les Deaflympics se tiennent également sous l’égide du CISS. Ils sont organisés tous les deux ans, en alternance été et hiver, comme sont les Jeux Paralympiques. A noter que les Deaflympics sont reconnus par le comité international olympique depuis 1955. Ils sont le rendez-vous sportif de l’élite sportive sourde.

Les Jeux olympiques d’été auxquelles Maurice a été représenté à deux reprises (2013 et 2017) se déroulent tous les quatre ans, soit un an après les Jeux Olympiques. Mais contrairement aux autres compétitions de handisport, toutes dirigées par des non-handicapés, les Deaflympics sont depuis toujours gérés par des personnes sourdes.

 


Le rendez-vous de Nairobi était qualificatif pour les Mondiaux

<p>Les médaillés des 1er Championnats d&rsquo;Afrique ont fait les minima pour les prochains Championnats du monde prévus fin septembre en Pologne. Jean Vincent Duval s&rsquo;est qualifié au 100m et au saut en longueur. Evans Moothen a, lui, fait les minima au 400m alors que Ouweish Emandy s&rsquo;est qualifié au concours de lancer de poids. L&rsquo;équipe de relais 4X100m médaillée de bronze aux Championats d&rsquo;Afrique, qui est composée de Diano Ravina, Christophe Durhone, Jean Vincent Duval et Yasheem Summum, est aussi qualifiée pour les prochains Championnats du monde d&rsquo;athlétisme de sourds. Chez les dames, Shleysha Lokheeram a fait les minima au saut en longueur et 200m.</p>





 

Mohamed Madoun: «Vos champions sont reconnus par le Comité international des sports pour les sourds»

 

Pour le dirigeant de la Confédération africaine, il n’y pas de jeu de mots qui tienne. Les premiers Championnats d’Afrique pour les Sourds sont des championnats continentaux. Jean-Vincent Duval est donc bien champion d’Afrique en titre du saut en longueur. Ouweish Emandy et Shleysha Lokheeram sont vice-champions d’Afrique. L’un au lancer du poids et l’autre au saut en longueur.

Du 16 au 22 septembre 2019, le Kenya a abrité les 1st Africa Deaf Athletics Championships. Pouvez-vous nous décrire le niveau de cette compétition ?
Cette compétition est considérée comme des Championnats d’Afrique et est reconnue comme tels par le Comité international des sports pour les sourds (CISS). Le niveau était continental. C’était un championnat de niveau appréciable. Il ne faut pas comparer les résultats avec ceux des valides.

Malheureusement, les 1st Africa Deaf Athletics Championships ne sont pas reconnus comme des Championnats d’Afrique par l’Etat mauricien…
C’est une décision propre à chaque pays en fonction de ses moyens et de sa politique en interne. Mais nos compétitions sont reconnues au même titre que les autres Championnats d’Afrique des autres fédérations reconnues par l’Union des Confédérations sportives africaines.

Lors de cette compétition, l’île Maurice a remporté quatre médailles. Le médaillé d’or, Jean-Vincent Duval, peut-il être considéré comme le champion d’Afrique légitime du saut en longueur ?
Oui, vos champions sont reconnus par le CISS. Le CISS était représenté par l’Américain Jack Lamberton à Nairobi. Il est le vice-président du board exécutif du CISS et est chargé de la section Youth Sports. Il faut faire ressortir que le Championnat d’Afrique a eu lieu presque un an avant les Championnats du monde d’athlétisme qui devaient avoir lieu en juillet 2020 en Pologne, mais qui ont été reportés à fin septembre 2020. Tous les championnats continentaux ont presque eu lieu en 2019 pour permettre aux athlètes d’assurer leurs minima pour participer aux Championnats du monde 2020 et les Deaflympics de 2021 au Brésil.

Les résultats réalisés à cette compétition seront-ils homologués par le CISS ?
Effectivement. Lors de la compétition, le record du Monde du 800 mètres chez les dames dans la catégorie junior a été battu par l’éthiopienne Asnaku Rega en 2’10’’7. L’ancien record (2’12’’48) était détenu par la Russe Lillia Abubiakirov. Elle avait réalisé cette performance le 2 août 2013 lors des Deaflympics de Sofia. Le nouveau record sera donc homologué par la Commission d’expert en athlétisme du CISS.

Pouvez-vous nous décliner la structure du CISS ?
La structure est composée de quatre Régions, parce qu’on ne pouvait pas les appeler Continent d’autant plus que nous n’avons pas les 5 ou 6 continents communément appelés Afrique, Amérique, Antarctique, Asie, Europe & Océanie. Donc, nous avons les régions Afrique, Europe, Asie-Pacifique et les Amériques (Nord et sud).

La Confédération africaine des sports des sourds (NdlR : Confederation of African Deaf Sports – CADS en anglais) englobe les fédérations du continent africain. Dans le calendrier, le CISS a désigné les Championnats d’Afrique comme «Championnats régionaux» pour les différencier des Championnats du monde. Ceci n’est pas une classification mais une appellation utilisée pour qu’il n’y ait pas de confusion entre les deux. On aurait pu l’appeler «Championnat continental».

Mohamed Madoun, président de la Confédération africaine des sports des sourds (CADS).

La CADS englobe 25 pays mais seulement 11 pays ont pu faire le déplacement au Kenya…
Il était prévu que 18 sur 25 pays participent aux Championnats d’Afrique d’athlétisme des sourds, mais faute de visa pour certains et manque de moyens financiers promis par les ministères, ils n’ont pu participer.

Une deuxième édition des Championnats d’Afrique d’athlétisme pour les sourds est-elle prévue ?
La deuxième édition est prévue. Cependant, il y avait eu divergence sur un cycle de 4 ou 2 ans. Normalement, c’est 4 ans mais beaucoup de pays ont émis le vœu de le faire tous les 2 ans. Cependant, le calendrier du CISS ne le permet pas. L’Ethiopie, l’Algérie et la Lybie sous réserve pour cause de guerre civile ont manifesté leur intérêt d’abriter la seconde édition. Nous allons trancher l’année prochaine pour l’édition de 2023.

Les médaillés mauriciens aux Championnats d’Afrique ont le sentiment que leurs performances sont dévaluées ? Quel est votre regard sur la situation à laquelle ils font face ?
La situation des athlètes mauriciens est une situation qui est presque généralisée au niveau africain à l’exception du Kenya où l’Etat reconnaît tous les résultats au même titre que les valides. C’est une situation d’incompréhension des autorités sur le niveau et l’importance des compétitions. La plupart des pays ont des moyens financiers très limités pour récompenser leurs athlètes «Champions», et les sourds sont les premières victimes de cette restriction budgétaire. D’autres pays ne connaissent ou ne reconnaissent pas le CISS comme une instance mondiale des Sports pour sourds. Ma question est : faut-il juger l’importance d’une compétition sur un jeu de mot «Régionale», «Continentale» ?

Selon vous, quelle est l’importance d’aider les personnes sourdes et malentendantes à s’affirmer à travers le sport ?
Le sport pour les sourds, c’est une source d’intégration et de «socialisation», de défi sur la société qui les a marginalisés, de montrer qu’ils sont capables…

Après la crise sanitaire liée à la Covid-19, comment aider les athlètes sourds et malentendants à reprendre leurs activités sportives ?
Nous attendons les instructions du CISS qui suivra les recommandations du CIO et de l’OMS. Il est difficile de se prononcer sur la reprise car je pense toujours que la Covid-19 a ruiné l’économie de la plupart des pays. Sont-ils en mesure de financer la participation des athlètes et des équipes ? Faut-il reporter ou supprimer certaines activités ?

Bio (Source : deaflympics.org)
Mohamed Madoun 
Membre du comité exécutif du Comité international des sports pour les sourds (CISS)
Président de la Confédération africaine des sports des sourds (CADS)
Pays: Algérie
Education:
Project Management, OP’Team
Senior Architectural Designer, Institute of Technology of Civil Engineering and Construction of Kouba, Alger
Carrière professionnelle: Project Manager, Technical Manager, Architectural Designer
Carrière sportive: 
Membre de la Commission des sourds du comité paralympique d’Algérie (1986-1989)
Fondateur et vice-président de la fédération sportive des sourds d’Algérie (1989-1998)
Vice-président de l’Arab Sports Committee (2005)
Président de la fédération sportive des sourds d’Algérie (1998-2009) & (2013-2017)
Administration sportive : Chef de Mission, Arab Athletics Championships (1995)
Chef de Mission, Deaflympics: Rome 2001, Sofia 2013
Récompenses: Development of Sports for Youth in Deaf Institutions during World Day of People with Disabilities, December 2015 
Parcours au CISS: 
Président de la CADS depuis octobre 2016 
Membre du comité exécutif du CISS depuis octobre 2016 

 

 

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