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Covid-19: les proches de la victime de 20 ans se confient
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Covid-19: les proches de la victime de 20 ans se confient
Elle s’appelait Sonia et n’avait qu’un rêve: voir son père réussir son business. Or, ce dernier n’a même pas pu assister aux funérailles de Sonia, la plus jeune victime du Covid-19 à Maurice. La nouvelle avait plongé le pays dans une profonde tristesse. Deux mois après, la famille a mandaté un des leurs à tout déballer. C’est une interview rythmée de peu de questions, beaucoup de silence et d’intenses émotions.
L’express a voulu rendre hommage à la plus jeune victime du Covid-19 et après plusieurs jours de négociations avec la famille, c’est vous que nous rencontrons…
Je suis Manish et je suis le «beaufrère» de Sonia. Je m’exprime au nom de son père qui est malade et toujours trop affecté par ce qui s’est passé pour pouvoir en parler. La famille a décidé que c’est moi qui vous parlerai. J’étais très proche de Sonia. Mon épouse et elle étaient cousines et elles habitaient la même cour, quasiment la même maison, auparavant. Sonia et nous étions tout le temps ensemble, soit elle est chez nous, soit nous chez elle.
Quelle était la personnalité de Sonia ?
Elle était cool, tranquille, joviale. Comme n’importe quelle fille de 20 ans. Elle aimait la famille. Elle adorait quand on était tous ensemble. (Long silence).
Son rêve, c’était de voir son père réussir. Son père est un entrepreneur et elle voulait que ce business grandisse. Je vous l’ai dit, elle avait le sens de la famille. Et son souhait le plus cher, je pense, c’était que notre famille reste toujours unie.
Sonia en fait était une fille «gâtée». (Il esquisse un sourire affectueux). Elle était la petite dernière de l’arbre généalogique paternel. Donc vous imaginez que dans la cour familiale, c’était une fille aimée, voire adorée
A quel moment le coronavirus a-t-il fait surface dans la famille ?
C’était un mercredi. Le père de Sonia m’a dit qu’elle présentait des palpitations et qu’il l’a emmenée à la clinique Wellkin. Dans l’après-midi, mon épouse, la sœur de Sonia et moi-même y sommes allés pour la voir et pour lui apporter des vêtements. Nous avons vu le médecin, et à ce moment précis, il n’était pas encore question de coronavirus. Mon épouse et la sœur de Sonia se sont occupées d’elle, lui ont donné son bain et vers 19 h30, un médecin nous annonce subitement que son test au Covid-19 est positif. À partir de là, d’après le protocole, il fallait que le ministère de la Santé prenne le relais et la clinique a informé les autorités qui ont entamé les démarches pour l’admettre à Souillac.
«Des fois, je sens que ça va mieux pour son père, et quelque temps après, il rechute. Je le comprends. Perdre une fille de 20 ans dans de telles circonstances, c’est dur…»
Entre-temps, j’ai appelé les parents de Sonia – je suppose que le médecin de la clinique en avait fait de même et ensuite le SAMU est arrivé pour le transfert. Dans le même intervalle, le Dr Gujadhur (NdlR, le Regional Health Director au ministère de la Santé) a contacté la clinique qui lui a donné mon numéro de portable et il m’a appelé. Il m’a posé des questions genre, qui suis-je pour Sonia, et des détails sur les récentes sorties de celle-ci. Je lui ai répondu que Sonia n’est pas sortie. Même avant le confinement, elle sortait à peine. Sonia était en fait très casanière. Elle n’avait même pas son permis de conduire.
Comment la famille a-t-elle réagi à la nouvelle ?
On a tous paniqué. Personne ne comprenait puisqu’elle n’était pas sortie de la maison depuis plusieurs jours. On avait peur aussi et on a demandé à être dépisté. Ses parents et sa sœur ont ainsi été testés positifs, et quelques autres personnes dans la cour familiale. C’était très pénible et on ne savait pas que le pire était à venir (long silence). Mon test était négatif, pourtant j’étais avec elle et sa sœur la veille. Mon épouse était aussi négative au Covid-19, pourtant elle lui a donné son bain à la clinique.
Le lendemain, jeudi, Sonia nous a appelés pour nous demander qu’on lui apporte des vêtements car depuis le bain qu’on lui avait donné la veille à Wellkin, elle n’y avait pas eu droit. Quand nous sommes arrivés à Souillac, évidemment, on n’a pas pu la voir, et nous lui avons passé un appel vidéo. Elle nous a dit à ce moment-là – et elle allait le répéter à chaque fois que nous allions l’appeler par la suite – qu’elle recevait à peine des soins. Le docteur ne la voyait que pendant une poignée de secondes (long silence).
Quelques jours après, le pays était plongé dans une profonde tristesse en apprenant la mort de Sonia. Avez-vous eu le temps de ressentir le soutien de la population ?
Oui, on l’a ressenti et on remercie les Mauriciens pour leur soutien. Mais la colère à ce moment précis, et peut-être encore aujourd’hui, a pris le dessus. Il y a beaucoup d’événements que je n’aborderai pas ici et pas aujourd’hui, mais je peux dire certaines choses. Premièrement, ils n’ont pas informé son père, qui était pourtant lui aussi en quarantaine. La famille a appris le décès de Sonia à travers la radio et Facebook. Dans un court laps de temps, nous avons fait les démarches pour les funérailles. Un de ses cousins s’est rendu à Souillac pour récupérer un document, qu’il fallait faire signer ou estampiller au bureau sanitaire de Grand-Bois ou Bois-Chéri, et retourner à Souillac pour obtenir un autre document avant 13 heures, qu’il fallait produire devant les autorités locales pour pouvoir organiser la crémation à Bigara. Les autorités semblaient désorganisées, le protocole était flou et les instructions contradictoires. C’était le début de la colère.
Pendant ce temps, les parents et la sœur aînée de Sonia étaient en quarantaine. Vous étiez en contact avec eux ?
Oui, mais nous étions surtout occupés à organiser les funérailles. Je ne sais pas comment ça s’est passé là-bas. Nous n’en avons pas trop parlé par la suite. Mais n’importe qui peut imaginer ou ressentir le drame de la situation. C’était dur pour eux. Terriblement dur. Vous vous imaginez, votre enfant est mort et vous ne pouvez même pas voir sa dépouille. Nous avons essayé de leur passer le plus d’appels vidéo possibles, mais nous ne pouvions rien faire d’autre.
Il y a un point que j’aimerai éclaircir. Le Dr Gujadhur a dit qu’il ne trouvait personne pour s’occuper des démarches funéraires. Je ne comprends pas comment il a pu dire une telle chose. Quand est-ce qu’il a appelé ? Qui a-t-il appelé ? Qui lui a parlé ? Il avait mon numéro depuis le jour de l’admission de Sonia en clinique. Peut-il dire qu’il m’a appelé après le décès de Sonia ? Il a dit haut et fort à la télévision qu’il a appelé «un neveu». Qui est ce neveu ? Je connais tous les membres de la famille et personne n’a reçu d’appel du Dr Gujadhur. Il a ensuite dit que c’est lui qui a guidé ce neveu vers les procédures à compléter. Je viens de vous raconter comment nous avons couru dans tous les sens pour les démarches funéraires. Le Dr Gujadhur doit nous éclairer dessus.
Comment se sont déroulées les funérailles ?
Nous n’étions que 12 sur le lieu de crémation. Les autorités avaient imposé une limite de 10 personnes. Au final, nous étions 11 plus le pandit. Moi j’y étais, mon épouse aussi, avec quelques cousins et proches. Toute la grande famille que nous sommes voulait venir. Mais on ne pouvait pas. Sonia était une jeune femme très entourée et aimée. Quand le Dr Gujadhur insinue que Sonia «péna fami», c’est terriblement blessant pour nous tous alors que nous sommes sous le choc après avoir perdu notre «petite dernière préférée». Le Dr Gujadhur doit rectifier cela car c’est complètement faux. C’est nous qui avons tout fait, et on en est fier. (Il pèse bien ses mots). À aucun moment nous n’avons reçu quelque forme d’aide des autorités sanitaires.
À chaque fois que l’on repasse le film des événements, on est choqués. Par exemple, au lendemain du dépistage de Sonia, le Dr Gujadhur a tenu une conférence de presse où il parle du cas de celle-ci en disant : «Nou éna enn ka ki intérésan, une jeune fille de 20 ans.» C’est peut-être intéressant pour toi ! Mais la famille ? Il dit ensuite que la jeune femme s’est rendue au supermarché où elle a contracté le Covid-19. Comment peut-il dire une chose pareille ? (Silence) Qui lui a dit que Sonia est allée au supermarché ? (Silence). Vous avez vécu avec elle durant les derniers jours pour le savoir ? (Silence). Le Dr Gujadhur et les autorités de santé nous doivent des explications. Vous ne pouvez pas imaginer la douleur que peuvent causer de tels propos sur les parents de Sonia. Si aujourd’hui, c’est moi qui vous parle à la place de son père, c’est que ce sont des propos et des mensonges pareils qui ont affecté sa famille.
Aujourd’hui, les Mauriciens applaudissent la gestion de la crise par les autorités et félicitent le Dr Gujadhur. Il a peut-être réussi ailleurs, mais pour ce cas spécifique, ils ont été médiocres.
Et le fameux appel WhatsApp vidéo à la crémation que raconte le Dr Gujadhur ému à la télévision, ça c’est vrai au moins ?
(Il secoue la tête pour dire non). Je ne sais pas qui a pu faire un appel vidéo, et le père de Sonia ne m’en a pas parlé. Mais j’étais sur le lieu de la crémation et il n’y avait pas 10 000 personnes. Nous étions 12 ! Et nous étions tous ensemble. Je n’ai vu personne faire d’appel WhatsApp à ce moment-là. Je ne sais pas quel est l’intérêt du Dr Gujadhur à dire des choses pareilles. C’est un mensonge gratuit. Mais par contre ce jour-là, un journaliste est venu. Il s’appelle Vikram Jootun. (NdlR, Vikram Jootun n’est pas journaliste mais directeur de la Mauritius Film Development Corporation et très proche du MSM). Il y est venu et a tenté de filmer la crémation. Nous nous sommes interposés et lui avons demandé ce qu’il est venu faire. Il a répondu «monn gagn lord pou vinn filmé» (voir la version de Vikram Jootun en hors-texte). Nous lui avons dit que c’était une cérémonie intime pour la famille et que sa présence n’était pas désirée. Je ne sais pas ce qu’il est venu faire. Nous lui avons demandé de partir. Nous lui avons parlé calmement. Il y avait quelques policiers. Le maire de Curepipe y était aussi. Nous lui avons dit de respecter de notre détresse qui ne mérite aucune publicité. Nous lui avons dit de ne pas filmer et de s’en aller. Ce qu’il a fait et il a remballé sa caméra.
Quand ses parents et sa sœur sont sortis de la quarantaine, vous avez pu faire le deuil ?
Oui. Quand ils sont sortis après une vingtaine de jours, nous avons organisé les prières pour faire le deuil. C’était pénible. Le père de Sonia était atterré. On a essayé de le soutenir pour qu’il puisse prier et accomplir les rituels. Mais il était complètement abattu. Il l’est toujours aujourd’hui. Des fois, je sens que ça va mieux pour lui, et quelque temps après, il rechute. Je le comprends. Perdre une fille de 20 ans dans de telles circonstances, c’est dur (long silence)…
Vikram Jootun : «On m’a appelé pour éclairer le lieu de crémation»
<p>La famille de Sonia raconte que Vikram Jootun, le directeur de la <em>Mauritius Film Development Corporation</em>, a tenté de filmer les funérailles. Ce dernier concède qu’il s’y est rendu. <em>«Je rentrais d’un tournage (NdlR, nous étions alors en plein lockdown) et on m’a appelé pour me dire que le lieu de crémation était mal éclairé et d’apporter des équipements pour éclairer le lieu. C’est ce que j’ai fait. J’ai juste apporté des équipements d’éclairage. Je ne suis pas venu filmer.»</em> Une version qui étonne les proches de la victime. <em>«Il faisait jour et son explication est totalement insensée. Est-ce que Vikram Jootun va éclairer tous les cimetières de l’île avec une caméra ?» </em>se demandent les proches</p>
Nous avions essayé de contacter le Dr Gujadhur pour l’émission «#couvrefeu : l’épilogue», mais le ministère ne nous a pas autorisés à lui parler.
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