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Scandale politique: éclairage sur le St-Louis Gate

18 juin 2020, 22:00

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Scandale politique: éclairage sur le St-Louis Gate

Vous êtes de ceux à vous emmêler les câbles dans cette sombre affaire à Rs 4,3 milliards qui souille l’image de Maurice et agite les politiques ? Quel est ce scandale surnommé St-Louis Gate ? Cette synthèse rassemble les pièces du puzzle pour comprendre.

Deux appels d’offres

Alors que chaque protagoniste  impliqué dans le projet de réaménagement de St-Louis essaye de tirer son épingle du jeu, la BAD est est on ne peut plus claire dans son communiqué. L’enquête de son bureau de lutte anti-corruption concerne les deux appels d’offres auxquels a participé BWSC pour le projet St-Louis II, soit en 2014 sous le gouvernement de Navin Ramgoolam et 2015 sous celui des Jugnauth, père et fils.

Pots-de-vin à l’administration mauricienne

Après enquête, la Banque africaine de développement (BAD) a conclu que d’après les preuves dont elle dispose, il est plus que probable que des membres de l’administration mauricienne et d’autres personnes aient été récompensés financièrement par l’intermédiaire de tierces (donc, plus d’une). Ce qui a permis à Burmeister and Wain Scandinavian Contractor (BWSC) d’avoir des renseignements techniques confidentiels liés aux appels d’offres auxquels il a participé dans le cadre du projet de réaménagement de la centrale St-Louis. Un privilège qui, selon la BAD, lui a permis d’adapter son offre, la favorisant par rapport aux autres soumissionnaires.

De Rs 3,5 à Rs 4,3 Mds

La BAD s’est intéressée à cette affaire car c’est elle qui a financé en grande partie ce projet. Sauf que l’histoire retiendra que de Rs 3,5 milliards, le projet, qui comprend l’installation de quatre générateurs de 15 mégawatts chacun, est passé à Rs 4,3 milliards lors de la signature le 2 mars 2016.

Sous- entrepreneur et conseiller

Alors que bon nombre voulaient savoir qui est l’agent officiel de BWSC à Maurice, après la publication du communiqué de la BAD, le 8 juin, il s’avère que dans ses deux offres respectives, la firme danoise n’en fait nullement mention. D’autre part, ce qui est du domaine public, c’est que PadCo a été le principal sous-entrepreneur local (parmi une douzaine) sur le projet de St-Louis II, travaillant ainsi sous la houlette de BWSC. Un autre personnage dans l’équation n'est nul autre que Bertrand Lagesse. Cet ingénieur de formation est connu pour avoir été un partenaire local important de BWSC à Maurice depuis 1994.Sur le projet St-Louis II, Bertrand Lagesse a nié être l’agent officiel, s’il y en a un, de la firme danoise au pays, et a affirmé à l’express avoir été rémunéré par BWSC en tant que conseiller en matières techniques et générales, de 2013 à octobre 2018.

Le protagoniste clé Martin Kok Jensen

Le Danois Martin Kok Jensen a travaillé pour BWSC d’octobre 2006 à février 2019. Il occupait le poste de directeur Sales & Marketing et a fait de nombreux déplacements à Maurice. Son nom a été médiatisé pour la première fois après sa rencontre avec Shiam Thannoo, en 2014, en pleine procédure du premier appel d’offres qui allait être lancé. Pas que. Après le changement de gouvernement en décembre 2014, Martin Kok Jensen refera surface dans l’actualité après sa rencontre avec Shamshir Mukoon, alors directeur général par intérim du Central Electricity Board (CEB). Nous sommes alors à la veille du bouclage du second exercice d’appel d’offres auquel BWSC a également participé.

Top chrono… logie

L’inauguration de la nouvelle centrale de St-Louis, le 20 mars 2018. À la première rangée, on retrouve ceux qui ont participé au projet, dont Alain Hao (assis à l’extrême dr.), un des sous-contracteurs du projet, Nirmala Nababsing, Adviser d’Ivan Collendavelloo, et prenant la parole, Seety Naidoo, alors chairman du CEB.  © BSWC

24 juin 2014

Un premier appel d’offres est lancé auprès de cinq soumissionnaires préqualifiés. Le consultant qui a préparé les documents d’appel d’offres est Mott Mc Donald. Shiam Thannoo est alors le directeur général du CEB.

Le 14 octobre 2014

L’accord sur le prêt entre le CEB et la BAD est signé pour un montant de Rs 3,5 milliards.

25 septembre 2014

À la clôture de l’appel d’offres, BWSC est le seul soumissionnaire.                           

20 novembre 2014

Le Central Procurement Board (CPB) informe le CEB que l’offre de BWSC est irrecevable en raison de nombreuses «deviations». Soit plus de 200, dont 80 majeures.

24 novembre 2014

La direction du CEB informe BWSC que l’appel d’offres est annulé. Le pays est en pleine campagne électorale pour les élections générales de décembre.

9 décembre 2014

Non satisfaite de la décision du CEB, la BWSC demande à l’Independent Review Panel (IRP) d’examiner cette décision.

20 décembre 2014

Apprenant que tous les membres de l’IRP ont été révoqués par le ministère de l’Énergie et des services publics, et que leur décision dans la contestation portée par BWSC est devenue caduque, la firme danoise, représentée par Gavin Glover, Senior Counsel, et Jaykar Gujadhur, Senior Attorney, demande une injonction intérimaire contre l’annulation de l’appel d’offres devant la Cour suprême. Demande agréée jusqu’au 4 mai de la même année par Eddy Balancy, le chef juge par intérim à ce moment.

Ivan Collendavelloo, devenu ministre de l’Énergie après les législatives de 2014, demande au CEB, dirigé par Gérard Hebrard et présidé par Seety Naidoo, membre du Muvman Liberater, parti d’Ivan Collendavelloo, de lancer un second appel d’offres.

Juillet 2015

 Le second appel d’offres, qui cette fois-ci a inclus toutes les «deviations» de la première offre de BWSC dans les spécifications requises, est lancé. Ce alors que la firme danoise continuait à s’opposer au CEB en cour.

1er octobre 2015

À l’ouverture des enveloppes, cinq offres sont reçues. DRA Projects (Pty), IMM / MATELEC/MPG Mauritius Consortium, TSK Electronica y Electricidad S. A et AVIC-Intl/ CCCE/ETERN Consortium et BWSC. Au final, celle de la firme danoise est retenue. Entre-temps, BWSC a classé son affaire en Cour suprême contre le CEB.

Entre fin 2015 et janvier 2016

 Place aux contestations des soumissionnaires laissés sur la touche après que le CPB a décidé de retenir l’offre de BWSC.

Janvier 2016

Le CEB, sous la direction de Gérard Hebrard, émet un certificat d’urgence pour contrer les contestations notamment devant l’IRP et ainsi pouvoir aller de l’avant avec l’octroi du contrat aux Danois de BWSC.

4 février 2016

Le rôle de Christelle Sohun, sortie tout droit de Collendavelloo Chambers, au sein de l’IRP est contesté par TSK Electronica, un des soumissionnaires de l’appel d’offres. Ce dernier est représenté par l’avouée Me Dya Ghose-Radhakeesoon et demande que Christelle Sohun,  proche d’Ivan Collen- davelloo, se retire. Une requête toutefois restée sans réponse.

2 mars 2016

 Le contrat entre le CEB et BWSC est signé. Entre-temps, son montant est passé de Rs 3,5 milliards en 2014 à Rs 4,3 milliards. Le CEB est alors sous la présidence de Seety Naidoo, alors que Gérard Hebrard en est le directeur général.

5 octobre 2017

 Le CEB réceptionne la centrale réaménagée de Saint Louis, construite en moins de 18 mois.

20 mars 2018

 Inauguration de la centrale. Les principaux protagonistes ayant travaillé sur le projet, allant du principal entrepreneur, le sous-entrepreneur, les hauts fonctionnaires du ministère de l’Énergie, les hauts cadres du CEB, sont présents, à voir la première rangée sur la photo souvenir.

Avril 2018

Un lanceur d’alerte informe la maison mère de BWSC au Danemark que des accords et des contrats ont été conclus par ses représentants en violation à la loi avec des entrepreneurs locaux en Afrique. BWSC initie alors une enquête interne. Pour dissiper tout doute, la firme danoise engage le cabinet d’avocats Poul Schmith (Kammeradvokaten) pour une enquête externe. Celle-ci conclut que le code de conduite de BWSC a été violé et qu’une possible violation de la loi a eu lieu. Dans ce sillage, cinq employés impliqués sont licenciés. En outre, deux personnes ont été signalées à la police danoise.

6 février 2019

BWSC émet un communiqué où elle en fait état.

15 février 2019

Shamshir Mukoon, alors directeur général par intérim du CEB, est informé des enquêtes au Danemark dans un courriel de Nikolaj Holmer Nissen, Chief Executive Officer de BWSC. Ce dernier écrit notamment : «(...) The conclusion of the investigation is that a small group of employees have acted against BWSC’s code of conduct regarding corporation and use of local consultants and contractors in connection with sale of projects in Africa, one of which being in Mauritius.»

31 octobre 2019

Seety Naidoo ayant démissionné de la présidence du CEB pour se porter candi- dat du ML aux législatives du 7 novembre 2019, c’est Nirmala Nababsing (ex-Senior Chief Executive au ministère de l’Énergie passée conseillère d’Ivan Collen- davelloo quelques jours après sa retraite) qui préside une réunion du conseil d’administration du CEB «to expedite urgent matters» et où les enquêtes au Danemark sont abordées sous l’item «Any other businesses». Mais, c’est toujours silence radio sur cette affaire.

8 juin 2020

Le communiqué de la BAD accessible au monde entier, sur Internet, a l’effet d’une bombe. BWSC est radié pendant 21 mois de tous projets que financera cette banque entre autres banques internationales de développement. Une enquête, menée par le Bureau de l’intégrité et de la lutte contre la corruption de la BAD, a conclu qu’il est plus probable qu’improbable que BWSC, qui a réalisé le dernier réaménagement de St-Louis, se soit livrée à des pratiques frauduleuses et corrompues dans le cadre de ce projet.

12 juin 2020

Shamshir Mukoon, dont les échanges avec le CEO de BWSC ont fuité dans la presse, est suspendu de son poste de DG par intérim du CEB, à l’issue d’une réunion spéciale du conseil d’administration. Ce, au lendemain d’une Private Notice Question sur le St-Louis Gate, où Pravind Jugnauth a avancé que Shamshir Mukoon a indiqué qu’il fera part de son intention de se retirer de son poste. Sauf que ce denier a conservé son fauteuil jusqu’à sa suspension par le board.

13 juin 2020

 Tout le board du CEB, sous la présidence de Seety Naidoo, est révoqué suivant une réunion entre le Premier ministre et des Senior ministers, dont Ivan Collendavelloo. Car, plus tôt dans la journée, l’ex-Chairman, qui se disait auparavant consterné des conclusions de l’enquête de la BAD, a admis, cinq jours plus tard sur les ondes de Radio Plus, qu’il était bel et bien au courant de l’affaire initiée au Danemark. Shamshir Mukoon l’avait informé en présence d’un Legal Adviser du CEB, a-t-il fini par lâcher.

14 juin 2020

Reconstitution du board du CEB sous la présidence de Radhakrishna Chellapermal, Deputy Financial Secretary. Les autres membres sont Dhanandjay Kawol, du mi- nistère de l’Énergie, Ken Arian, conseiller au bureau du Premier ministre. Toolsyraj Benydin, candidat battu du Muvman Liberater aux dernières élections, Rachna Ramsrurn et Javed Suhootoorah, du ministère des Finances, Madhoochandra Lobind de la Central Water Authority en sus d’un représentant de l’Association des ingénieurs et deux de l’«Electricity Advisory Committee».

15 juin 2020

Un comité de supervision de deux personnes, Dhanandjay Kawol et Ken Arian prend la direction du CEB. Comme également avalisé par le board, les responsabilités techniques sont confiées à Chavan Dabeedin, Transmission and Distribution Manager et celles en matière de finances et d’administration à Christian Ahkine, le directeur financier de l’organisme. Les deux doivent répondre au comité de supervision.