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Internautes arrêtés - Liberté d’expression: ICTA et tais-toi ?
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Internautes arrêtés - Liberté d’expression: ICTA et tais-toi ?
Les amendements apportés à l’Information Communication and Technologies Act (ICTA) en 2018 reviennent sur le tapis. Cette semaine, Farihah Ruhomaully a été arrêtée suite à une plainte de la députée Tania Diolle, qui s’est sentie visée par une publication de l’internaute. Mais cette dernière soutient qu’elle n’a fait qu’émettre une opinion. Question dès lors : la liberté d’expression est-elle menacée ? Certains internautes ou citoyens vont-ils parfois trop loin ? Débats.
Ce qu’il faut savoir, pour commencer, c’est qu’avant même que les amendements à l’ICTA ne soient votés, ils avaient provoqué une levée de boucliers de la part des membres de l’opposition mais aussi des citoyens en général. Pour répondre aux craintes de la population, l’Attorney General avait, lors d’une interview, affirmé qu’un post sur les réseaux sociaux, qui «causes annoyance» n’est pas un délit… Confirmant dans la foulée, que le post en question doit être «obscène ou insultant» pour qu’il y ait des poursuites. Cependant, une des clauses rajoutées stipule clairement qu’une personne qui «cause or causes annoyance, humiliation, inconvenience, distress or anxiety to that person» commet un délit. Which is which ? Ou witch ?
Farihah Ruhomaully n’en démord pas. Pour elle, cette loi a été taillée sur mesure pour empêcher les internautes de s’exprimer. «Quand on se sent opprimé, on a besoin de donner de la voix. Or, s’exprimer est devenu dangereux», affirme la jeune femme, qui a vu débarquer une dizaine de policiers chez elle, jeudi matin, à 6h30…
D’ailleurs, elle soutient qu’après son arrestation, il y a eu des milliers de commentaires négatifs concernant la députée Diolle, qui a porté plainte contre elle donc, sur la Toile. «Comment est-ce qu’elle va gérer cela ?» Son époux, Hassenjee Ruhomaully, a également été interrogé vendredi. «La première question des enquêteurs concernait le nombre d’amis et de followers que j’avais sur Facebook. C’est clairement pour savoir combien de gens sont touchés par mes opinions», ditil, ajoutant qu’il n’a jamais diffamé ou insulté qui que ce soit. «Lorsque Karishma Randhay avait été condamnée pour avoir partagé le lien de Pravind Jugnauth sur Pornhub, j’avais salué la décision de la cour. Je comprends qu’une telle photo puisse porter préjudice à quelqu’un. Je n’aurais pas aimé voir des membres de ma famille sur un site pornographique. Mais de là à aller arrêter des personnes qui ont des opinions divergentes, c’est chagrinant», affirme celui qui a déjà inquiété par les autorités, pour justement, avoir exprimé son opinion, sur Facebook toujours…
En fait, dans son jugement concernant Karishma Randhay, la magistrate Navina Parsuramen avait décortiqué le but et l’intention de l’internaute lorsqu’elle a partagé son post. «Elle a considéré que le post était risible et l’a partagé pour cette raison. Elle a même ajouté un ‘smiley’ à celui-ci. Les intentions étaient loin d’être innocentes», a fait valoir la magistrate. Qui a précisé qu’il «ne faut pas oublier que la liberté d’expression, bien qu’elle soit un droit garanti par la Constitution, ne peut être violée. Dans la minute où un post est publié, les dommages causés sont immédiats car les destinataires sont atteints en quelques secondes».
Mais où se situe donc la limite ? Rajen Narsinghen, senior lecturer en droit et ancien membre de la Law Reform Commisson (LRC), tient d’abord à rappeler qu’il avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur l’anti-constitutionnalité des amendements apportés à l’ICTA. «La liberté d’expression et de l’opinion est garantie, et la Constitution contient des clauses qui permettent des dérogations. Toute loi doit être justifiée dans le contexte de ‘reasonable democratic country’.»
Rajen Narsinghen souligne qu’à l’époque, le gouvernement voulait venir de l’avant avec une Fake News Act très stricte. En compagnie d’autres membres de la LRC, il s’était opposé à cette loi. Peu après, ils ont été éjectés de l’instance et les amendements à l’ICTA ont été apportés. Est-ce que ces amendements peuvent encore être contestés ? «Oui. Dès qu’une affaire sous cette loi est appelée en cour, les avocats peuvent contester la constitutionnalité des amendements…»
Contester certes, mais comment faire la différence entre un post injurieux, une opinion ou encore, une fausse nouvelle ? Le légiste répond que tout est à la discrétion du juge. «Il doit définir ce qui peut ‘cause annoyance’ en se mettant à la place du commun des mortels», avance-t-il.
«Annoyance», justement, comment bien définir ce mot ? Le terme est vague. David Stafford, «influencer», a déjà été poursuivi sous l’ancienne version de l’ICTA. On lui reprochait d’avoir critiqué une personnalité publique.
Le jeune homme estime qu’il faut tout d’abord que les mentalités évoluent. «Insulter une personne est certes condamnable. Mais lorsqu’on décide de devenir un personnage public, que ce soit en politique, en arts ou sur les réseaux sociaux, il faut l’assumer. Quand on est une figure connue, on ne peut s’attendre à ce que tout le monde soit d’accord avec nous ou nous aime. Nous sommes quand même dans une démocratie!»
David Stafford – qui coache également des mannequins pour des défilés – explique que depuis longtemps, son travail et même son look font l’objet de critiques et de blagues… Récemment, après sa participation à la télé-réalité, Lockdown Island, il y a eu pléthore de mèmes qui ont vu le jour sur ses camarades et lui. «J’aurais pu aller porter plainte, mais cela voudrait dire que je m’attends à ce que tout le monde soit d’accord avec mes choix, ce qui est impossible.» Des arguments que rejoint Rajen Narsinghen. Le légiste affirme qu’une ‘figure publique’ ne peut pas être «annoyed» par des posts sur Facebook.
Neelkanth Dulloo, lui, est moins catégorique. «Le gouvernement a renforcé l’ICTA et n’importe quelle personne qui se sent vexée, lésée, par une blague ou autre, peut aller porter plainte», affirme l’homme de loi. Dès que la police est en présence de la déposition, l’enquête commence automatiquement et comme c’est une «arrestable offence», la police agit, ce qui est actuellement la procédure normale. «Si ou anvi zour dimounn, posté enn lamizik ou enn tikomik, mé pa zour li. Le peuple aura l’occasion de s’exprimer le jour des élections. Facebook n’est pas la plateforme appropriée pour les insultes…» En gros, exprimer son opinion certes, mais de façon subtile…
N’empêche. Les insultes et autres attaques personnelles ou encore sur le physique sont certes condamnables, mais une opinion peut-elle pour autant mener en prison ? Certainement, répond Me Nadeem Hyderkhan. Selon lui, l’interprétation est tout à fait subjective, mais du moment qu’une personne se sent humiliée, il s’agit d’une infraction. «À la fin du jour, ce sera à la cour de déterminer si l’accusation est fondée ou pas, mais entre-temps, la personne incriminée passera par une arrestation et une détention, s’il le faut. La délimitation entre liberté et diffamation est très fine…»
Trop fine, peut-être ? Ce qui est certain, en tout cas, c’est que le dossier sur le sujet, lui, est épais…
Naushad Lotun, un homme sans histoire… jusqu’à lundi dernier
Jusqu’à lundi dernier, Naushad Lotun, importateur de jus de fruits, n’était connu que de ses proches et de ses revendeurs. Il a suffi de deux posts sur Facebook pour qu’il se fasse connaître des services de police et arrêter sous une accusation de diffusion de fausses nouvelles.
Cet homme de 39 ans, père de deux filles, Alisha, 14 ans et Aliya, 11 ans, vient d’une famille nombreuse. Ils sont à sept garçons chez les Lotun et lui est l’avant-dernier. Ils vivent tous dans la cour familiale à la rue Guy Rozemont à Rose-Hill. Naushad Lotun n’a pas fait de grandes études. Il a été scolarisé jusqu’en Form III au collège Islamic. Il n’empêche qu’il a réussi à monter sa petite entreprise d’importation de jus de fruits d’Egypte. Produits qu’il va lui-même distribuer en van auprès des cantines scolaires et les petits commerces des villes sœurs.
Fan de foot et pas seule- ment à la télévision – il soutient Manchester United alors que son père Farouk est un fervent des Reds (NdlR: Liverpool FC) – lui, ses frères et leurs amis vont «bat-baté» toutes les semaines, dépendant du temps. La vie politique l’intéresse aussi et s’il préfère ne pas dire quel parti a ses faveurs, le logo qui figurait sur un des t-shirts qu’il portait sur une photo parue dans la presse, est sans équivoque.
Il passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, raconte-t-il. Jeudi dernier, alors qu’il est à l’étage de la maison de son père et que ses filles se trouvent au rez-de-chaussée dans le garage avec leurs portables, il décide de mettre un post sur Facebook, «en badinaz», précise-t-il, à leur intention. «Monn ékrir : ‘Dans 15 jours lékol pou fermé, congé’. Samem tou. Mo pa finn koz konfinman ou lockdown ditou.» «Li kontan badiné», affirme sa belle-sœur, «trop même», ajoute-t-elle.
Vendredi lorsqu’il sort de la prière, il passe devant l’école Notre- Dame des Victoires fréquentée par sa fille cadette, ainsi que son neveu et sa nièce. Et là, il dit voir un attroupement d’une vingtaine de parents environ. En se rapprochant, il réalise que les adultes sont venus récupérer leur enfant une heure avant la sortie des classes. Il pose des questions à la ronde et déclare apprendre qu’un enfant à l’école présentait des signes de fièvre. «Antan ki paran, monn gagn per ek monn pansé ki mo bizin pran prékosyon ar mo zanfan.» Il va chercher sa fille, son neveu et sa nièce et signe les formulaires nécessaires pour les emmener à la maison. «J’ai pensé aux autres parents qui n’étaient pas là. Et sur place, j’ai mis un post sur Facebook disant qu’il y avait une panique à l’école Notre-Dame des Victoires où il y a un soupçon de Covid-19. Et j’ai demandé de faire passer le message. Pour moi, c’était une mise en garde d’un parent à d’autres parents. Comme les commentaires à mon post indiquaient que les gens étaient sceptiques, j’ai filmé les parents qui quittaient l’enceinte de l’école avec leur enfant et j’ai posté cette vidéo qui ne dure pas plus de 15 secondes sur Facebook. À aucun moment, je n’ai fait cela pour paniquer la population. J’ai juste pensé que d’autres parents comme moi auraient voulu mettre leur enfant en sécurité. Pour moi, c’était un geste civique.»
Naushad Lotun s’est dit surpris lundi matin de voir six policiers de la Central Investigation Division débarquer chez lui et l’arrêter pour diffusion de fausses nouvelles. Il a alors averti son avocat, Me Assad Peeroo. Il a été traduit en Cour sous le chef d’accusation susmentionné et libéré contre paiement d’une caution de Rs 25 000. Il sait qu’il risque jusqu’à Rs 1 million d’amende et dix ans de prison. «Je le savais même avant d’être traduit en cour mais je vous le répète, je n’ai pas fait ça méchamment, dans l’optique de nuire à quiconque ou de faire paniquer la population de Maurice. Ma conscience est claire. Je ne suis ni voleur, ni drogué, ni dealer de drogues synthétiques, ni un criminel. Je n’avais jamais eu des démêlés avec la police jusqu’ici. Je fais confiance au bon sens de la Cour. Zot pou gueté si vraiman mo koupab ou pa.» L’affaire doit être appelée le 19 janvier 2021.
Si la police ne lui avait pas confisqué son portable, il s’en serait tenu éloigné de toutes les façons, affirme-t-il. «Franchement, mo pa ti pe expect ki sa ti pou amenn mwa la…» Il se confond en excuses, d’abord envers le gouvernement puis envers la population dans son ensemble. Il se dit reconnaissant envers ses parents, ses frères et leurs épouses, sa nièce Shahana et sa famille élargie dont ses cousins, cousines, qui se sont tous ralliés derrière lui, tout comme il remercie son avocat, Me Peeroo, pour son soutien. Naushad Lotun dit aussi avoir apprécié l’attitude des policiers «ki finn bien korek ar [mwa]».
Lui qui aime bavarder et plaisanter parce qu’il estime que «dan lavi ou pa kapav tro serié ek fer figir boxer toulétan. Lakoz samem bizin met enn ti dialog ek badiné», a décidé de cadenasser ses blagues. «Actielman kot lavi pé alé, li pa vo lapenn ou fer badinaz lor Facebook. Badiné ar Liverpool mé pas lor Facebook. Parski enn simp badinaz kapav amenn ou lwin…»
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