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Navin Ramgoolam: «C’est dans la tempête qu’on reconnaît un vrai capitaine»
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Navin Ramgoolam: «C’est dans la tempête qu’on reconnaît un vrai capitaine»
Les critiques pleuvent contre l’immobilisme de ce gouvernement. Qu’auriez-vous fait de différent si vous aviez été le Premier ministre ?
Ce qui relève de l’action du gouvernement actuel est pire que de l’immobilisme. C’est un breach of trust. Cette violation des devoirs de ce gouvernement équivaut à une négligence criminelle. Le contexte : tout d’abord, ce navire avec 3 800 tonnes métriques de fioul et 200 tonnes métriques de diesel à son bord avait comme destination le Brésil et non pas l’île Maurice. Ma première question : pourquoi le Wakashio a soudainement changé de cap et s’est dirigé directement vers Mahébourg dans la nuit du 20 juillet ? Mon gouvernement avait déjà mis en place un système de surveillance côtière moderne utilisant des radars et des caméras. Il est inquiétant que personne n’ait détecté ce changement soudain vers Maurice. Le Wakashio a continué son voyage droit vers Mahébourg à une vitesse de 11 nœuds par heure sans le moindre souci jusqu’au 23 juillet quand il est entré dans notre zone maritime.
Ma deuxième question : une fois dans nos eaux territoriales, pourquoi aucune communication avec le capitaine du navire n’a-t-elle eu lieu ? Il faut savoir qu’un navire, aussitôt qu’il s’apprête à entrer dans nos eaux territoriales, a une obligation d’entrer en contact avec le directeur du Shipping lui donnant ses repères, ses détails d’enregistrement, le pavillon qu’il arbore et les fréquences radio sur lesquelles on peut communiquer avec lui. Tout porte à croire qu’il n’y a eu aucune communication avec le navire.
Ma troisième question : pourquoi, s’il n’y a pas eu de communication avec le navire, les effectifs suivants n’ont-ils pas été déployés : l’Advance Helicopter DRUV, le CGS Barracuda et le nouveau Dornier ? L’Advance Helicopter DRUV est équipé de deux moteurs et possède un long rayon d’action. Cet hélicoptère avait été acquis de l’Inde par mon gouvernement en 2012 après l’épisode de Angel en 2011. Le CGS Barracuda, navire ultraéquipé pour la National Coast Guard, possède une plate-forme pour hélicoptère, une grue et une mitraillette lourde, commandée par mon gouvernement en 2013 et acquis en 2015. Quant au nouveau Dornier, il a été également acquis par mon gouvernement.
Pourquoi donc cette absence totale de réaction depuis le 20 juillet et plus précisément le 25 juillet quand le Wakashio s’est échoué sur notre barrière de corail ?
Les excuses de Pravind Kumar Jugnauth selon lesquelles la mer était houleuse ne tiennent pas debout. Pourquoi avoir fait l’impasse sur les équipements vitaux acquis par mon gouvernement ? D’ailleurs, l’ancien commandant de la SMF et commissaire de police, Raj Dayal, a donné la réplique à Pravind Kumar Jugnauth quand il a évoqué les détails de l’épisode suivant : lors d’une alerte cyclonique de niveau II, sir Seewoosagur Ramgoolam lui avait demandé d’aller en hélicoptère repérer un navire en détresse, avec de l’huile lourde à bord afin de l’empêcher de s’échouer sur nos côtes. Ce qui émerge clairement aujourd’hui, ce sont les fausses excuses quand elles ne sont pas purement et simplement des mensonges censés justifier l’inaction de Pravind Kumar Jugnauth. Il est clair que s’il avait agi à temps, l’île Maurice aurait évité cette catastrophe écologique et humaine sans précédent. Lui ainsi que ses deux ministres sont bien évidemment les premiers coupables.
Comment auriez-vous procédé ?
J’aurais définitivement fait les choses différemment. Pour commencer, j’aurais réagi dès le 20 juillet quand ce navire avait soudainement changé de cap sans aucune raison. J’aurais non seulement demandé qu’on entre en contact avec le navire. Mais si cela s’avérait impossible, j’aurais dépêché l’hélicoptère DRUV et le CGS Barracuda de la National Coast Guard ainsi que le Dornier pour empêcher le Wakashio de pénétrer nos eaux territoriales. De ce fait, ce navire ne se serait jamais échoué à Pointe-d’Esny et il n’y aurait jamais eu ce désastre écologique et humain. Aujourd’hui, nous faisons face aux conséquences de l’insouciance, de l’irresponsabilité et de la négligence criminelle de ce gouvernement.
Beaucoup soulignent que ce n’est pas un accident sans précédent. On parle du MV Angel I en 2011 et du MV Benita en 2016. Les autorités n’ont-elles rien appris des leçons du passé ?
Il est clair que nous avons des incompétents et des amateurs à la barre. En 2011, quand le Angel I avait eu des problèmes au large de Poudre-d’Or, je vous rappelle qu’il n’y avait ni l’hélicoptère DRUV à long rayon d’action, ni le CGS Barracuda mais nous avons quand même géré la crise sans qu’il n’y ait la moindre goutte de fioul dans nos eaux. J’avais immédiatement mis sur pied un comité de crise sous la présidence du ministre Anil Bachoo qui faisait la liaison avec moi plusieurs fois par jour.
En sus de cela, j’étais en contact constant avec le commissaire de police, le commandant de la SMF et le secrétaire du cabinet. Nous avons tout de suite réussi à stabiliser le Angel I, un navire avec une cargaison de riz destinée aux Mauriciens. Ensuite, nous avons pompé tout le fioul à bord et en même temps, par précaution, j’ai contacté les pays amis, nommément la France à travers La Réunion, l’Inde et le Mozambique. Quand nous avons appris qu’il y avait un remorqueur sri lankais dans les parages, nous lui avons demandé de nous venir en aide. Le résultat fut une absence totale de pollution dans nos eaux.
Gouverner, c’est prévoir. Il fallait agir avant que ce désastre ne nous tombe dessus et non pas rester les bras croisés en espérant que la crise se résolve d’elle-même. C’est dans la tempête qu’on reconnaît un vrai capitaine.
Mais l’heure n’est pas à la colère ou à l’analyse, n’est-ce pas ? Il faut passer à l’action, et on verra après qui sont à blâmer et qui doivent démissionner.
Je suis d’accord avec vous. Il faut passer à l’action, même tardive, et situer les blâmes après. Je constate un fossé grandissant entre une population en colère mais volontariste et un gouvernement amorphe qui n’a pas su évaluer la gravité de la situation. Les Mauriciens sont à juste titre très remontés contre l’amateurisme et la désinvolture qui ont mené à cette catastrophe écologique, économique et humaine. Complètement déconnecté du peuple, le gouvernement veut à tout prix l’empêcher de participer à l’effort national. Pire : on a même traité ce peuple de «volontaires nuisibles». Cet acte de dénigrement a donné lieu à une accélération vers une dérive totalitaire.
Pouvez-vous préciser comment le gouvernement cautionne cette dérive totalitaire ?
Ce n’est un secret pour personne qu’il y a une manipulation éhontée de l’information à travers la MBC. La police est utilisée pour interdire aux médias tels que l’express et Top FM d’assister aux conférences de Pravind Kumar Jugnauth dans le but de supprimer toutes voix discordantes au discours officiel. Quelques jours de cela, le speaker de l’Assemblée nationale a interdit au leader de l’opposition de tenir sa conférence de presse dans son bureau. Le summum du ridicule a été atteint quand le gouvernement s’est permis d’insulter la BBC. Ainsi, cette chaîne a mystérieusement disparu de la programmation de MyT et de la TNT pendant quelques heures et cela juste au moment où on m’y interviewait.
Qu’en pensez-vous ?
Je le dis depuis longtemps : ce gouvernement est du simulacre de la démocratie, un modèle accompli. Les membres du gouvernement au lieu d’agir même tardivement ont trouvé le moyen d’insulter les Mauriciens en prenant des selfies devant les lieux du désastre. Or, ce sont ces mêmes Mauriciens, ces vrais patriotes, ces héros qui se démènent jour et nuit pour combattre ce fléau qui est la marée noire.
Aujourd’hui, je pense qu’il faut engager les forces vives de l’endroit, celles et ceux qui connaissent cette mer mieux que quiconque. Il faut réunir les compétences nécessaires au lieu de suivre aveuglément un protocole qui clairement ne répond plus à la gravité de la situation. Cela dit, viendra le moment où il faudra situer les responsabilités. Une enquête judiciaire est nécessaire pour éviter que le même drame ne se reproduise. Nous ne pouvons qu’espérer qu’il n’y aura cette fois-ci pas de cover-up. Les Mauriciens sont en droit d’avoir des réponses claires et les coupables devront répondre de leurs actions.
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