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Alain Malherbe: «le gouvernement a compris que quand le peuple veut se soulever, il peut le faire»

20 août 2020, 20:29

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Alain Malherbe: «le gouvernement a compris que quand le peuple veut se soulever, il peut le faire»

Le directeur général d’Island Maritime Services a quasiment suivi in situ les opérations sur le vraquier «MV Wakashio» durant ces deux dernières semaines. Alain Malherbe estime qu’il y a trop de «spéculations et de polémiques dont la population pourrait s’en passer».

Qui êtes-vous Alain Malherbe ?

 Je compte 43 ans de métier dans l’industrie maritime comme agent maritime et affréteur. J’ai aussi eu l’ultime privilège de superviser la rénovation de navires en Afrique du Sud et aux Philippines, dont l’Indocéanique. Après toutes ces années, je réalise que je ne finis pas d’apprendre dans ce métier car c’est un secteur en constante évolution.

Pourquoi avez-vous souhaité réagir face aux zones d’ombre qui entourent l’échouement du MV Wakashio, dont celles évoquées par le garde du corps et travailleur social Bruneau Laurette ?

Je ne réagis contre personne. Je viens émettre mon opinion en tant que professionnel du métier sur les probables raisons entourant cet échouement. Je suis la situation de très près depuis le premier jour car je me sens concerné par la sécurité de notre île, par l’avenir incertain de mes compatriotes vivant des ressources de la mer et par la sécurité des gens de la mer.

Comment s’assurer que des membres du gouvernement ne soient pas derrière votre démarche ?

Ma démarche est apolitique et orientée par une pulsion citoyenne. J’essaie de comprendre les causes de l’échouement du MV Wakashio sur les récifs. Il y a trop de spéculations, de polémiques créant du chaos et des psychoses inutiles dont la population pourrait s’en passer. Par exemple, lorsque j’ai entendu aux informations radiophoniques qu’un médecin avait retrouvé, sur la plage de Pointe-d’Esny, une sangle appartenant apparemment à une chaloupe de sauvetage, élément qui a été immédiatement associé au MV Wakashio, je me suis immédiatement dit que cela ne pouvait être celle d’un des canots de sauvetage du vraquier car j’ai pu constater que ceux-là étaient toujours rattachés au na- vire. J’ai appris par la suite que la sangle venait d’un catamaran.

Que s’est-il donc produit pour que le MV Wakashio termine sa course sur les récifs ?

Nous avons assisté à une catastrophe maritime comme cela arrive un peu partout dans le monde. Et malheureusement, celle-ci a eu lieu sur nos côtes. Pour moi, ce n’est qu’un accident dont les causes auront à être défi- nies et révélées au grand jour. Il y a plusieurs probabilités. Ce qui s’est produit pourrait être le résultat d’une négligence, d’une erreur de navigation, du mauvais temps, d’une défaillance technique ou d’un GPS qui déconne. L’enquête l’établira certainement et viendra fournir les éléments qui manquent à ce stade.

Faire la fête ou s’approcher trop près des côtes d’un pays pour «capter le Wi-Fi» sont-elles dans les habitudes de si gros navires ?

Les membres d’équipage à bord sont des humains avant tout. Ils sont loin de leur famille, stressés, stranded. Certains ont dû probablement dépasser leur temps de contrat à bord, étant donné qu’avec le Covid-19, beaucoup de ports n’acceptent plus qu’on débarque des membres d’équipage sur leur sol. D’ailleurs, on l’a vu ici même à Maurice avec des Mauriciens bloqués à bord de bateaux de croisières. C’est humain que les membres d’équipage aient voulu passer un petit moment ensemble. Cependant, sur un navire, quand cela se produit, il faut toujours qu’il y ait un officier et un matelot à la passerelle pour surveiller la navigation. Ces conditions exceptionnelles d’extension de temps en mer agissent sur le moral des membres d’équipage. De temps à autre, quand ils s’approchent d’une côte, ils essaient de capter un réseau téléphonique afin d’envoyer un message ou de passer un appel à leur famille. Je ne parle pas là de Wi-Fi. Ils ont, pour la plupart, des téléphones avec des puces en roaming, qui arrivent parfois à accrocher un réseau téléphonique.

Si c’est ce qui s’est vraiment passé, ils ont obligatoirement dû voir la côte mauricienne tout de même ?

Oui, ils ont dû car la lumière se voit de très loin la nuit.

Que pensez-vous de l’hypothèse qu’il y ait pu avoir une mutinerie à bord avec prise d’otage du capitaine ?

Je ne saurai vous dire. Mais tous les scénarios devraient être envisagés.

Sur Top TV, lundi, Bruneau Laurette a produit des images satellitaires du site Marine Traffic pour évoquer la trajectoire du MV Wakashio avant son échouement et celui du remorqueur Stanford Hawk venant en sens inverse. Que doit-on comprendre ?

Sur Marine Traffic, il y a des milliers de navires qui circulent. Si vous prenez deux navires, l’un venant de l’Est et l’autre de l’Ouest, à un moment, ils vont forcément et inévitablement se rencontrer. C’est ce qu’on a vu avec le Stanford Hawk et le MV Wakashio.

Bruneau Laurette s’étonne aussi du mouvement du bateau taxi Jaika III LB 176 en direction du Stanford Hawk dans le port. Y a-t-il une explication possible ?

Les bateaux taxis appartiennent à des opérateurs privés dûment enregistrés auprès de la Mauritius Ports Authority (MPA). Les remorqueurs de la MPA ne sont pratiquement jamais utilisés dans de telles opérations car ils sont essentiellement destinés aux manœuvres à l’intérieur du port. Ce sont des opérateurs privés des bateaux taxis qui assurent l’acheminement des fonctionnaires du ministère de la Santé et de la douane afin d’aborder tout navire se présentant au port pour une inspection sanitaire, et ce, selon ce qu’exige le protocole contre le Covid-19. Ce n’est qu’après cette vérification que les agents portuaires sont autorisés à monter à bord. Ceci explique les mouvements du Jaika III LB 176. C’est une procédure normale, qui se pratique tous les jours.

Bruneau Laurette parle égale- ment de «balayages» du remorqueur VB Cartier à proximité du site du naufrage et demande pourquoi ce remorqueur, qui a aussi fait un détour par Rivière-Noire (voir texte ci-dessous), est reparti pour La Réunion, le 5 août, sans passer par le port.

Le VB Cartier est un remorqueur français, basé à La Réunion. Il est arrivé à PortLouis le 1er août. Il a obtenu les autorisations nécessaires des autorités portuaires avant de se rendre sur le site du naufrage.Le VB Cartier, qui est de petite taille, ne peut jeter l’ancre sur le site à Pointe-d’Esny. C’est pour cela qu’il est obligé de faire des allées et venues pour ne pas dériver. Avant son départ le 5 août, le VB Cartier a reçu une Port Clearance en bonne et due forme du Shipping Office. C’est la procédure standard. Ce n’est pas nécessaire de repasser par Port-Louis pour cette procédure car le na- vire reçoit la Port Clearance par mél. L’agent et la tour de contrôle du port reçoivent aussi une copie de ce document.

Revenons à l’échouement du MV Wakashio. Cette catastrophe écologique aurait-elle pu être évitée ?

À mon humble avis oui, si la MPA avait mobilisé ses deux puissants remorqueurs, notamment le Da Patten et le Sir Edouard, dans les heures ayant suivi le naufrage. Le navire aurait pu être dégagé des récifs. Puis, il ne faut pas être expert en prévention de pollution marine pour savoir que les bouées flottantes auraient dû être installées en priorité autour du navire et non pas autour de l’île-aux-Aigrettes

Le Port Master aurait-il pu prendre sur lui pour dépêcher ces deux remorqueurs ?

Je pense que la sécurité de Maurice était prioritaire et tous les moyens disponibles auraient dû être déployés dont les bouées perpendiculaires de la MPA qui, une fois lâchées dans l’eau, deviennent des barrières d’un pied et constituent un obstacle à la progression de nappes d’huile. Ces bouées sont utilisées lors des exercices de simulation au port.

Ce sont plutôt des bouées artisanales fabriquées par des citoyens, qui ont permis, même après coup, d’éviter le pire…

Oui, elles ont beaucoup aidé. Quelque part pour la nation mauricienne, le MV Wakashio est un blessing in disguise. Cette catastrophe est venue démontrer à quel point la notion de «mauricianisme» est bien ancrée dans le cœur de chaque Mauricien. Je pense que le gouvernement a compris que quand le peuple veut se soulever, il peut le faire et ne fait plus qu’un. Le MV Wakashio a aussi mis en exergue nos défaillances et nous a montré les possibilités d’améliorer les systèmes de défense de nos côtes afin d’éviter que ce genre de catastrophe ne se reproduise.

Êtes-vous en train de dire que même si les garde-côtes avaient fait plus attention, rien n’aurait pu être fait ?

Cela aurait été difficile d’arrêter physiquement un navire de cette taille, lancée à 11,5 nœuds. Le Barracuda était à PortLouis, trop loin pour être sur le site. Les patrouilleurs de la NCG, basés dans le Sud, ne sont pas, du fait de leur taille, appropriés pour ce genre d’interception.

Sur un réseau social, vous avez également donné la réplique au ministre français des Outre-mer, Sébastien Lecornu, qui, face à la presse à La Réunion, au retour de sa visite à Maurice, dimanche, a affirmé que «La France aurait agi autrement…»

Je ne suis pas d’accord que le représentant d’un pays, qui a fait face à des naufrages, soit, en 2017 lorsque le navire Kea Trader, lancé à folle allure sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie, s’est cassé en deux comme le MV Wakashio, puis le 13 octobre 2019, lorsqu’un cargo s’est échoué dans la réserve naturelle de Bonifacio en Corse, vienne souligner les déficiences de notre système maritime autour de notre île. C’est à lui de venir dire ce qu’il n’a pas fait pour prévenir ces naufrages à l’époque dans les eaux territoriales françaises. La critique est aisée… c’est connu.

Mais il n’y a pas eu de déversement d’hydrocarbures dans les deux cas que vous citez…

Oui, mais les naufrages ont bien eu lieu. Que la France ait proposé son aide à Maurice par la présence sur notre sol de ses experts dans la gestion d’une telle catastrophe est une chose mais que La France, à travers son ministre des Outre-mer, ait l’outrecuidance de venir ouvertement et publiquement critiquer notre mode de surveillance maritime, cela est une autre.

Que savez-vous de l’état du MV Wakashio avant qu’il n’échoue sur la barrière de corail ?

 Le navire était conforme à toutes les exigences de sécurité selon l’International Maritime Organisation. Que l’on vienne maintenant dire que c’est un rafiot, j’ai de sérieux doutes. Le MV Wakashio a 13 ans, appartient à des propriétaires japonais et il est affrété par Mitsui, qui est une des plus grandes, voire la plus grande compagnie de navigation japonaise, qui n’opérerait pas de rafiot, même si celui dont on parle bat un pavillon de complaisance. Le MV Wakashio a été enregistré le 29 mars 2007 au Panama. Ses certifications de navigation, qui le rendent seaworthy, expirent le 22 avril 2021. Le navire est classé par la Nippon Kaiji Kyokai, qui fait partie des plus grandes International Associations of Classification Societies (IACS), instance qui regroupe les plus grandes sociétés de classification mondiales dont la Lloyd’s, le Bureau Veritas, la Germanischer Lloyds, la Nippon Kaiji Kyokai, etc… Tous les navires ont une assurance spéciale avec un Protection and Indemnity (P&I) Club, qui entre en jeu au moment des réclamations en cas d’équipage blessé, de déversement d’hydrocarbures etc. Celui du MV Wakashio est l’un des plus réputés du Japon, le Japan P&I Club.