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Brian Holiday: si les mentalités n’ont pas évolué par rapport au sexe, c’est la faute à la politique

11 octobre 2020, 12:05

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Brian Holiday: si les mentalités n’ont pas évolué par rapport au sexe, c’est la faute à la politique

Cela fait des années que le Ritz Club, à Baie-du-Tombeau, est plongé dans le noir. Plus de lumières, plus de filles qui tournoient autour des barres, plus de musique. De temps en temps, les rumeurs sur sa réouverture ont fait surface, causant un frémissement chez les anciens habitués, qui n’attendent que cela. Mais cela ne s’est jamais fait. Et aujourd’hui, avec l’annonce de la vente du lieu, c’est tout un pan de l’histoire de la libération des mœurs à Maurice qui s’éteint. Brian Holiday, celui qui avait bousculé les traditions en 2004 en ouvrant le club, a finalement accepté d’en parler. Du haut de ses 75 ans, il revient sur l’aventure et l’évolution de la société mauricienne.

Commençons par la fin. Donc, 16 ans après l’ouverture du Ritz Club, êtes-vous toujours connu comme M. Strip-tease ?

Pas vraiment. On m’appelle toujours le patron du Ritz Club et je n’en ai pas honte. J’en suis même fier, vous savez. Personne n’a osé faire ce que j’ai fait, et personne ne l’a fait à ce niveau. J’avais créé un club unique à Maurice, différent de ce qu’il y avait sur le marché…

… mais qui n’a pas duré. Vous avez fermé. Pourquoi ?

Ce n’était pas très rentable, soyons francs. On ouvrait les mercredis, vendredis et samedis. Cependant, je devais payer les employés pour toute la semaine. Il n’y avait pas seulement ceux qui étaient littéralement au-devant de la scène, mais il y avait les employés du restaurant, la sécurité et tout ce qui va avec une telle boîte. Ailleurs dans le monde, ce type d’entreprise tourne toute la semaine, parfois même 24 / 7. Malheureusement, ici, ce n’était pas possible.

Pourtant, il y a une demande. Où était le problème ?

Parlons de la demande. La jeunesse locale n’a pas de distractions. Regardez le succès des happy hours. C’est uniquement parce qu’il n’y a absolument rien d’autre qui est proposé. Les jeunes sortent, ils vont prendre quelques verres entre amis et rentrent. C’est quelque chose qu’ils peuvent aussi faire chez eux. Mais comme il n’y a pas le choix, la vie sociale se cristallise autour de ces événements.

Même le tourisme souffre de ce manque de loisirs. Je me souviens d’une fois où je jouais au tennis dans un hôtel. Il y avait trois couples étrangers en lune de miel. Ils s’ennuyaient et me regardaient. Des touristes, qui ont payé une fortune pour voyager, en sont réduits à me regarder sur un terrain, faute de mieux. Et tous les touristes ne voyagent pas pour les plages ou les bains de soleil. Ils cherchent autre chose qu’on ne propose pas. À Maurice, depuis des décennies, nous proposons du «sea sun and sand» alors que d’autres îles, comme les Maldives, proposent la même chose en mieux. Je maintiens qu’il faut une variété de divertissements. Mais malheureusement, il y a encore ce tabou autour de ce que je proposais, et c’est le problème majeur.

Même 16 ans après ?

Sans détour, je répondrai oui. Nous vivons dans une société hypocrite, surtout lorsqu’il s’agit de ce type de divertissement. Aujourd’hui encore, les gens perçoivent le sexe comme sale et mauvais. Mais il n’y a rien de tout cela. C’est la perception de certaines personnes qui pose problème. Si vous avez l’esprit mal tourné, oui, le sexe sera sale. Prenez le Kâma-Sûtra par exemple. Le chef-d’œuvre date de quelques millénaires et parle explicitement de sexe. Est-ce sale, vulgaire ou obscène ? Non. Pourquoi cela l’est ailleurs, alors ? C’est à cause de cette différence de perception que je parle d’hypocrisie.

Pourquoi associez-vous le Ritz au sexe ?

Pour ceux qui ne savent pas de quoi je parle, au Ritz, il y avait tout. C’était un lieu unique. Il y avait du pole-dancing, du strip-tease, des jacuzzis. Il y avait aussi le restaurant sur place et des chambres, et je précise que ces chambres étaient réservées pour les clients qui avaient trop bu pour prendre le volant.

Mais il n’y avait pas que ça. Nous avions des danseurs africains, des soirées Bollywood, il y avait de la danse du ventre. Il n’y avait pas que la nudité et ce serait mal de réduire tout ce que nous proposions à cela. N’oublions pas la qualité artistique des filles. D’ailleurs, nous avons de la chance, à Maurice, d’avoir tant de talent.

Malgré les associations qui ont été faites au fil des années, je maintiens que le Ritz Club n’était pas du sexe, mais un divertissement. Laissez-moi vous dire que nous avions organisé 75 enterrements de vie de garçon et plusieurs enterrements de vie de jeune fille. Est-ce que ces garçons ou filles qui étaient venus s’amuser ne se sont pas mariés par la suite ? Évidemment que si, et encore aujourd’hui, ils sont très heureux dans leur mariage. Une fois sorti du club, tout est oublié. Ils ont passé un bon moment, se sont amusés et c’est tout. C’était ça l’idée. Rien de sexuel.

Revenons au tabou. «L’express» avait publié un texte sur le Ritz, et la chute était «souhaitons que ces endroits puissent contribuer à ‘défrustrer’ certains sadiques qui ont des yeux rivés sur les fesses des femmes dans la rue ou au bureau…». Vous dites qu’en 16 ans, les mentalités n’ont pas évolué. Pourquoi ?

Cela va paraître bizarre, mais c’est la faute de la politique. En faisant de sorte que les choses ne bougent pas pour ne pas froisser leur électorat et grappiller quelques voix par-ci par-là, ils ont maintenu cette mentalité. Il faut un changement de la classe politique pour que cela change.

En 2020, il est inconcevable que dans un pays, il n’y ait pas de limitation de mandats et le leader d’un parti reste en position à vie. Cela ne favorise pas le changement, et c’est comme ça qu’on se retrouve avec des politiciens qui annoncent une alliance à midi et une autre alliance avec la partie adverse à 13 heures. Ou encore ceux qui sortent de l’ombre sont propulsés ministres et bulldozent les maisons dans la foulée. Et puis, il y a ceux qui réclament le changement mais lorsqu’ils étaient eux-mêmes ministres, n’ont pas eu le courage d’en parler.

On nous parle de démocratie, de liberté de penser, mais croyez-vous que le 3 novembre prochain (NdlR, date de la reprise du Parlement), il y aura un membre de la majorité qui osera questionner son Premier ministre quant à l’octroi d’un contrat de Rs 381 millions à Liverpool par les temps qui courent ? S’il le fait, il sera exclu, banni et vilipendé. Où est la démocratie ? Ici, on peut dire que c’est la démocratie qui est sale. Pas le sexe.

Encore une fois, on mettra tous les maux sur le dos des politiciens ?

Le changement de mentalité commencera par eux, il n’y a pas à sortir de là. Prenez cette loi de «dealing in obscene matters», par exemple. Dans les années ’50, nous n’avions pas de femmes qui se promenaient topless sur les plages. C’était considéré comme étant obscène. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il n’y a rien d’obscène à propos de la nudité ou des plaisirs sexuels.

De toute façon, la définition d’obscénité évolue. Aujourd’hui, il faudrait tout revoir pour permettre, par exemple, l’ouverture d’un sex-shop. Peut-être que certains seront surpris de l’apprendre, mais un sex-shop ne vend pas de sexe. On y trouve des crèmes et autres produits pour le plaisir. Si on interdit cela, autant interdire les aubergines et autres concombres. Puis bon, ce n’est pas parce que quelqu’un qui a le pouvoir décisionnaire estime que c’est obscène, pour lui, qu’il doit imposer sa vision à tout le monde. Sauf, bien sûr, s’il veut se la jouer dictateur.

Était-ce difficile d’avoir les autorisations pour l’ouverture ?

 Absolument pas. On a simplement demandé un permis pour l’ouverture d’un club privé. Nous avons respecté les règlements et nous n’avons jamais eu de problème.

Et la perception du public ? Même aujourd’hui, les gens qui me croisent ne cessent de me demander «Brian, kan pou réouver sa klub -la ?»

Il y a le public qui demande ce type de divertissement. Je tiens à rajouter qu’au-delà du divertissement, c’était une échappatoire pour beaucoup. La tension sexuelle est un instinct et les hommes comme les femmes ont besoin de l’évacuer. C’est cette répression et la tension non-évacuée qui cause les nombreux cas d’attouchements, de viols et de harcèlement. Ici, je parle de ‘casser’ cette frustration par le divertissement, mais d’autres pays sont allés plus loin en légalisant la prostitution.

Croyez-moi, cela va grandement aider la société. Tout d’abord, les travailleuses du sexe seront protégées. Il y aura un contrôle sur leur santé. La prostitution permet à des personnes qui n’ont rien d’autre de subvenir à leurs besoins et encore une fois, dans ce domaine, le sexe est très mal vu par les hommes alors que la prostitution a été inventée par l’homme et non la femme.

Vous qui avez vu l’évolution de la mentalité, est-ce que la société est prête à accepter un tel pas de géant ?

La société est prête pour un changement, et les dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté dans les rues dernièrement en sont la preuve. Il est temps de cesser les discours et de passer à l’action. La société ne veut plus de ce système de gouvernance et des lois dépassées. Même la diaspora, du Canada à l’Australie, a exprimé le même sentiment. Pourquoi ne pas avoir un référendum sur le sujet et voir ce que souhaitent les Mauriciens au lieu de laisser une poignée de personnes décider selon leurs envies ?

Avec une telle mesure forte, le taux de criminalité va chuter. Les hommes n’auront plus peur de se faire arrêter. Les femmes n’auront plus peur de se faire violer. La tension va baisser. De plus, des mesures comme cela forceront les mentalités à évoluer et espérons-le, voir les établissements comme le Ritz d’un autre œil.

 Vous dépeignez un paysage bien noir…

 Le changement n’est pas compliqué. Il faut un peu de courage, c’est tout. Aujourd’hui, il nous faudrait un sir Gaëtan Duval dans ce pays. Personne n’a réalisé ne serait-ce que 10 % de ce qu’il a fait. Vous avez vu la vidéo où il roule en décapotable et il y a des enfants qui s’asseyaient sur son capot ? Voyez-vous un politicien actuel accepter qu’un enfant soit sur sa voiture ?

 Il faudra des politiciens ouverts d’esprit pour parvenir à un changement. Mais malheureusement, nous sommes le seul pays au monde où quatre dynasties cohabitent…

Après toutes ces années, quel est votre meilleur souvenir ?

 Je suis heureux de penser à tous ces gens qui ont passé un très bon moment au Ritz Club. Mais il n’y a pas qu’eux. Il y a aussi ceux qui ont évacué leurs tensions et frustrations au Ritz Club. Puis, il y a tous les employés qui ont pu vivre grâce à l’établissement. La moitié des filles qui travaillent pour moi étaient des mères célibataires. Aujourd’hui, il n’y a pas de grandes possibilités d’avancer pour une mère avec un enfant et qui n’a pas de qualifications. Grâce à ce travail, elles ont pu élever leurs enfants, subvenir aux besoins de leurs familles et se faire plaisir. Je pense qu’avec le Ritz, j’ai rendu un service à la société à plusieurs niveaux.

Si c’était à refaire en 2020, vous auriez changé quoi ?

Pas grand-chose. J’aurais certainement moins de 26 chambres et ce serait un endroit très classe car le public mauricien demande cela. Il y a certes les touristes, mais ils n’ont jamais été ma première préoccupation. Les touristes, eux, ont ce qu’il faut chez eux.

Et finalement, dites-nous comment l’aventure a commencé…

J’ai quitté Maurice en 1966 pour devenir infirmier en Angleterre. C’était courant. J’ai travaillé là-bas et dans plusieurs autres pays. Puis, en 2003, je suis venu à Maurice et je cherchais une idée, un secteur dans lequel investir. Un gentlemen’s club était la dernière chose que j’avais en tête. Lors de mes recherches, je suis tombé sur ce bâtiment, à Baie-du-Tombeau et j’en suis tombé amoureux. Petit à petit, je me suis rendu compte du manque de ce type de divertissement à Maurice et de la demande croissante qu’il y avait. Le Ritz a ouvert ses portes en 2004 et c’était une belle aventure.

Et maintenant, vous allez faire quoi ?

J’ai déjà un autre business spécialisé en perte de poids à Maurice. C’est un programme dont j’ai acquis la franchise en 2012. Tout comme j’avais constaté le manque de loisirs auparavant, j’ai aussi remarqué que la population souffre d’obésité. C’est un business qui marche, il y a des clients qui ont perdu jusqu’à 45 kg. Je vais désormais me focaliser dessus…