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Autour du rien
Peut-on parler pour ne rien dire ? On peut rétorquer de suite que si on parle pour ne rien dire, on dit déjà quelque chose. Et quelque chose, ce n’est pas rien. Or, si quelque chose ce n’est pas rien, quand on parle pour ne rien dire on dit quelque chose, comme le disait le comique franco-belge Raymond Devos. Un des plus anciens paradoxes de la philosophie, qui remonte à l’Antiquité, c’est le rapport entre le langage et la réalité. Le premier ne peut aller sans l’autre, alors que le contraire est plus facilement envisageable. Il peut y avoir de réalité sans le langage, mais de langage sans faire référence à la réalité, c’est souvent impossible. Et d’ailleurs la correspondance entre ce que l’on dit (ou l’on pense) et ce qui est se nomme la vérité. Et bien entendu, la non-correspondance se nomme fausseté (mot que nos politiciens aiment beaucoup employer). Mais là où la difficulté commence, c’est que bien souvent il est difficile de vérifier si ce que l’on dit correspond à ce qui est, difficile de vérifier si la teneur de ce que l’on exprime se range dans cette binarité vrai/ faux. Et c’est en ceci que la grandeur et la complexité du langage humain résident. Si je dis que demain il va pleuvoir, cela ne pourra être que vrai ou faux, il faut attendre demain pour le savoir. Mais si je dis que l’âme, après la mort, quitte le corps pour voyager, on voit bien que ce genre de propos n’obéit pas à la même règle que le précédent.
Peut-on donc ne rien dire ? Cela paraît impossible, car dire c’est déjà dire quelque chose, et, pour aller plus loin, le langage est une réalité en lui-même. Il a ses propres règles, son propre fonctionnement, ses propres atouts et faiblesses, bref il est tout aussi réel… que la réalité elle-même. Ce qui nous amène à dire que sans le langage, nous serions des êtres bien amoindris, nous ne serions pas des hommes. Mais, me direz-vous, comment font ce qui ne peuvent parler ? Ils parlent, si l’on peut dire, par le langage des signes. Il est donc difficile d’imaginer un humain qui ne s’exprime pas du tout. Un film assez incroyable a été réalisé par Dalton Trumbo en 1971, Johnny Got His Gun (adapté de son livre éponyme) et raconte l’histoire d’un soldat américain de la guerre de 1914-1918 atrocement mutilé par une explosion. Il perd la vue, la parole, l’odorat et l’ouïe, il ne peut absolument plus communiquer avec l’extérieur et reste figé sur son lit d’hôpital militaire. Croyant qu’il n’est plus conscient, on lui ampute les deux jambes et les deux bras. Voyant son incapacité totale à communiquer, car il est bel et bien conscient, il se remémore son passé. La seule chose qui lui reste, c’est de tenter de sentir la lumière du soleil sur la peau de son torse. Une infirmière dévouée tente de communiquer avec lui, et voyant qu’il est conscient, le personnel médical doit décider.
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