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La note de Rs 140 M pour l’Hôtel de ville de Curepipe risque d’être plus salée

19 octobre 2020, 10:57

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La note de Rs 140 M pour l’Hôtel de ville de Curepipe risque d’être plus salée

La reconstruction de ce patrimoine national, après sa démolition complète non prévue au départ, est bien enclenchée par la firme de Bhooshan Ramloll. Le consultant prévoit des coûts additionnels alors que le maire maintient qu’ils sont inclus dans le budget.

«C’est le climat curepipien qui a affecté l’Hôtel de ville», n’arrête-t-on pas d’entendre dire. Pourtant, depuis son érection en 1903, le bâtiment tout en bois et fer forgé, qui servait de salle de noces et abritait régulièrement des concerts musicaux, a tenu pendant toutes ces années face aux mêmes conditions d’humidité, au temps pluvieux et même aux cyclones. Que s’est-il passé depuis ?

Solange Jauffret, ancienne conseillère municipale, a une explication. «Auparavant, les maires étaient d’une autre trempe. L’entretien était fait régulièrement par les employés. Depuis les dernières décennies, comme en toute chose d’ailleurs dans ce pays, on laisse la situation se détériorer jusqu’au point où l’on doit tout remplacer.» Ces accusations de laisser-aller et de négligence reviendront sur les lèvres de tous ceux interrogés. Certains remettent aussi en question la qualité de la précédente rénovation, en 1995.

Toutefois, pour un ancien chef des travaux, l’abandon de l’entretien des infrastructures a commencé quand la municipalité est devenue juste une boîte qui ne fait qu’octroyer des contrats au privé non seulement pour de nouveaux projets mais aussi pour l’entretien. «Que ce soient les charpentiers, les menuisiers, les soudeurs, les jardiniers, agents d’entretien, etc., leur travail a été petit à petit pris en charge par le privé. Ils n’ont plus beaucoup de responsabilités et en attendant qu’un contrat soit alloué, un bâtiment comme l’Hôtel de ville va se délabrer jusqu’au point de non-retour.»

De restauration à démolition

Sa décrépitude a en fait commencé depuis plusieurs années avant 2016, quand la mairie décida de fermer l’accès au public et à certains officiers qui y avaient des bureaux. On se souviendra du moisi, suivi des champignons puis d’herbes folles avant que même des arbustes n’élisent domicile sur le toit. Ce délabrement avait fait son œuvre sous l’œil bienveillant et indifférent des autorités, notamment des maires successifs. Selon les informations sur le site de la municipalité de Curepipe – informations qui y sont toujours affichées d’ailleurs –, les travaux ne devaient concerner que «la réparation de la toiture, le plancher, les corniches et les charpentes de parois, les structures en fer forgé et la peinture du bâtiment». Or, lors de ces travaux, on aurait découvert que ce n’est pas seulement le corps de l’Hôtel de ville qui était affecté mais aussi ses entrailles. C’est en tout cas ce que nous a dit Bhooshan Ramloll, joint au téléphone. Mais comment est-ce possible que l’on ne s’en soit pas rendu compte au départ ?

Selon le consultant, Jayesh Desai,«il y a toujours des travaux supplémentaires à faire dont on n’a pas idée au départ», malgré le fait qu’il compte des spécialistes du travail du bois dans son équipe.

«Mais, tente-t-il de rassurer, ce n’est pas parce que l’entrepreneur nous dit que le travail sera plus compliqué et donc plus cher que l’on acceptera. Tout est vérifié à notre niveau.»

Toutefois, il ne peut ou ne veut nous donner un chiffre du surcoût éventuel. De son côté, le maire, Hans Margueritte, maintient que le contrat de Rs 140 millions inclut tout frais additionnel même les fameux «coûts imprévus» (contingency costs). La conseillère et ex-maire PMSD, Nathalie Gopee, le rejoint pour dire que le conseil ne décaissera pas un sou de plus. Pourtant, Bhooshan Ramloll n’exclut aucun surcoût (voir l’express du 13 septembre 2020).

Questions de charpentiers 

À part la question de savoir si les coûts vont exploser ou non, d’autres observations troublantes ont surgi. Ainsi, un ancien officier des travaux de la mairie nous dira que «les planchers, cloisons, fresques et autres décorations intérieures ont été affectés après le début des travaux, car exposés aux intempéries après la démolition du toit et des cloisons externes». Il souligne que les bois et métaux à l’intérieur n’étaient pas faits pour résister à la pluie et l’humidité. Or, ils sont restés de longs mois à l’air libre.

Répondant à cela, Shivajee Dowlutrao, du National Heritage Fund, nous dit que ces bois intérieurs ont bien pu être affectés avant le début des travaux. On revient à la première question : pourquoi ne s’en est-on pas rendu compte au début ? D’ailleurs, une autre question turlupine les charpentiers : où sont passés les anciens bois ? «Ceux qui sont en bon état ont été réutilisés dans le bâtiment et on s’est débarrassé de ceux qui sont abimés», nous assure le consultant, «sous la supervision des officiers du National Heritage Trust Fund». Ce que nous confirmera Shivajee Dowlutrao.

De leur côté, des employés de la municipalité maintiennent que le bois utilisé en remplacement, le balao, n’a pas la valeur et la solidité du bois noir, teck ou palissandre d’origine. «Les nouveaux matériaux utilisés ont ôté un peu de la qualité patrimoniale du bâtiment», dira un ancien charpentier de la municipalité. Tout comme le béton utilisé pour la super-structure et les linteaux. «Ce ne sera plus le vrai Hôtel de ville», ajoute-t-il. Shivajee Dowlutrao reconnaît qu’«il s’agissait aussi d’une question de coûts». Bhooshan Ramloll déclarait pour sa part : «Je suis un entrepreneur responsable qui ne lésine pas sur la qualité des matériaux. Il y va de notre réputation et ensuite cela concerne le patrimoine.» (voir l’express du 13 septembre).

Autre reproche fait : les nouvelles poutres de soutènement sont assemblées non par tenon et mortaise mais par des plaques en fer. Selon un charpentier, «ces plaques sont certes galvanisées, mais elles ont quand même une durée de vie limitée» . «Rappelez-vous de la structure du marché du Forum dont on avait vanté à l’époque la robustesse car utilisant le fer galvanisé», nous dit l’ancien officier des travaux de la municipalité. «Pourtant, après une dizaine d’années, la structure a commencé à rouiller malgré toutes les garanties sur papier.» Notre interlocuteur souligne le danger à utiliser le fer pour retenir de grosses poutres. «Car si le fer cède, même s’il n’est pas complètement rouillé, on risque un effondrement.»

Notre photographe a pris d’autres photos qui interpellent. Certaines poutres en bois ne sont pas couvertes durant les travaux. On peut s’en rendre compte sur place malgré la barricade installée autour du chantier depuis les protestations d’un groupe de Curepipiens. Du budget de Rs 140 millions, Rs 40 millions ont déjà été décaissées et elles proviennent du gouvernement. Des Rs 100 millions restantes à débourser, selon Nathalie Gopee, Rs 40 millions sont issues du budget du Forum. Donc, pas de budget prévu pour le remplacement du marché démoli ? «Si, nous répond Hans Margueritte, la reconstruction du Forum est toujours en projet…»

Interrogé le 4 avril par l’express sur sa présence sur plusieurs chantiers de l’État, Bhooshan Ramloll avait dit que «c’est grâce à l’expertise, au savoirfaire, à 27 ans d’expérience dans le domaine et à la confiance des clients». Tout en ajoutant que «tout businessman doit avoir des relations politiques des deux côtés».