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Charu Bissoondoyal Deelchand s’élève «contre cette récupération politique du Bissoondoyalisme par les Jugnauth»
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Charu Bissoondoyal Deelchand s’élève «contre cette récupération politique du Bissoondoyalisme par les Jugnauth»
Basdeo Bissoondoyal a choisi le prénom Charu pour sa fille en hommage à l’un de ses professeurs d’université. Charu signifie en Sanksrit pureté. Sept décennies plus tard, Charu vient défendre le Bissoondoyalisme, tel qu’elle l’a connu à travers son père et son oncle, Sookdeo. Son franc-parler risque de froisser, mais au nom de la vérité, elle ne veut pas se taire et laisser à d’autres le loisir de récupérer l’immense travail d’éveilleurs de conscience qu’ont accompli les frères Bissoondoyal. N’est pas Bissoondoyaliste qui veut…
Vous êtes la fille de Basdeo Bissoondoyal mais vous avez refusé d’assister au récent lancement du documentaire réalisé en son honneur, “Man of the People: Professor Basdeo Bissoondoyal”. Pourquoi ?
De tout temps, j’avais dit à mes proches que je ne souhaitais pas que ce film soit lancé dans un tel contexte politique. Je me doutais que certains seraient tentés de récupérer le travail des frères Bissoondoyal à leurs viles fins politiques. Je m’élève avec force contre cette récupération politique du Bissoondoyalisme par les Jugnauth. Mais on ne m’a pas écoutée. C’est pour cela que nous n’y sommes pas allés, mes deux enfants et moi. Je ne peux pas parler pour mes frères et sœurs, mais ma petite famille est résolument contre l’exploitation politicienne du grand courant politique prôné par mon père Basdeo et son frère Sookdeo qui a façonné l’histoire du pays…
C’est le timing du lancement qui vous pose problème…
Pas que. Le film était prêt depuis un bon moment. Pourquoi avoir attendu ce moment où le pouvoir actuel sent que le terrain lui glisse sous les pieds pour le lancer? N’est-ce pas une tentative de détourner l’attention des scandales qui se succèdent ces derniers temps?
En tout cas, pour moi, cela en a tout l’air. Surtout quand on entend les intervenants du documentaire: sir Anerood Jugnauth, lady Jugnauth et Leela-Devi Dookun raconter l’immense travail de mon père. Cela m’horripile. J’ai envie de leur dire : prenez-en de la graine. Votre façon de gouverner n’a absolument rien à voir avec les enseignements et la philosophie de Basdeo et Sookdeo Bissoondoyal. Le MSM est bien bien loin du Bissoondoyalisme…
Comment vous définissez le Bissoondoyalisme ou le Bissoondoyaliste…
Jugnauth dir li enn Bissoondoyaliste, sa ve dir ki li enn bon dimunn! Sa ve dir li fer bon travail, tout le long de sa vie! Moi je dis qu’on n’a pas le droit de s’approprier ainsi du terme Bissoondoyalisme. Ce mot est écrit en or dans la mémoire collective et je ne veux pas qu’on vienne aujourd’hui le polluer, avec des références inexactes.
C’est un fait que sir Anerood a commencé sa carrière politique au sein de l’Independent Forward Bloc…
Il était un jeune avocat inconnu quand grâce au soutien de l’IFB il a battu en 1963 le travailliste et ténor Unnuth Beejadhur à Rempart. Sans le soutien de l’IFB des frères Bissoondoyal, qui était la plus grande force de l’opposition contre le régime travailliste, et qui faisait élire ses membres, Jugnauth aurait-il pu réaliser cet exploit politique?
Cette période est méconnue de la jeune génération…
C’est dommage et c’est pour cela que je salue l’initiative du film qui contient par ailleurs des faits historiques majeurs, déterminants. Le mouvement porté par mon père Basdeo et son jeune frère Sookdeo, je l’ai vécu. Je porte le film en moi. C’est l’histoire de la propagation du savoir, de la connaissance, à ceux qui étaient dominés et qui n’avaient pas de voix.
Mon père disait qu’on peut faire une salle de classe, ou carrément une école, sous un arbre. À travers le pays, il fait peut-être 200 écoles, peut-être plus sous des arbres, dans la nature. Il a appris aux laboureurs, aux artisans, aux villageois comment lire, raisonner, réfléchir, s’instruire, se cultiver, se divertir sainement, à un moment où ils n’avaient même pas le droit de voter, où personne ne se souciait d’eux, car c’était uniquement leur labeur dont on avait besoin. Il ne prenait pas un sou pour ce travail…
Influencé par Dayanand, Tagore, Gandhi et Chandra Bose, le professeur Basdeo nous a laissé une œuvre riche et abondante. Il a traduit Paul et Virginie et des œuvres de Hugo, La Fontaine en hindi. Il a pris par la main et amené des dizaines de milliers au suffrage universel (passant de 11 747 votants à 72 000 aux élections générales de 1948). Comment a-t-il commencé son parcours ?
Mon père était un fils de charretier. Sa famille est originaire du Sud, de Tyack. Mon grand-père paternel savait que l’éducation était la seule issue pour ses trois fils, Soogrim, Basdeo et Sookdeo, et sa fille, Manti. Il a donc emmené sa famille dans la capitale pour profiter du système éducatif. Les trois fils, qui voyaient le sacrifice de leurs parents, ont toujours brillé à l’école, pour faire honneur à la famille. Les trois frères sont naturellement devenus enseignants à leur tour.
Les trois frères ont fait un pacte: chacun à son tour ira à l’étranger pour poursuivre leurs études. Faute de moyens, les trois ne pouvaient pas aller en même temps. Soogrim, le grand frère, était le mentor. Il encadrait Basdeo et Sookdeo. Le choix pour partir en premier se porte sur Basdeo qui part pour l’Inde en 1933 pour faire un BA, puis un MA. Il avait choisi les langues, y compris le sanskrit.
Pendant ses études, Soogrim décède. La famille ne dit rien à Basdeo, qui prenait part à des examens. Il le saura bien plus tard et cela sera un grand chagrin pour lui. Depuis, il a pris le rôle d’aîné à son retour au pays en 1939, prenant sous son aile Sookdeo, qui, lui, se prédestinait à des études d’avocat. Dès lors, la relation entre les deux frères est devenue fusionnelle… Ils étaient inséparables, et échangeaient sans cesse, se refilant des notes de lecture.
Basdeo et Sookdeo habitaient la même maison, à Port-Louis…
C’est une harmonie parfaite, une distribution de rôles comme on en a jamais vu, que ce soit à la maison, où mon père vivait surtout retranché avec ses livres et s’occupait de la petite imprimerie de la famille, qui imprimait journaux et pamphlets, alors que Sookdeo s’engageait dans la politique et s’occupait des enfants, de la famille, avec une admiration sans borne pour son grand frère Basdeo. Sookdeo prenait soin de l’éducation des 12 enfants, les huit enfants de Basdeo (dont moi-même, cinquième de la fratrie) et ses quatre enfants. Tout ce beau monde sous pratiquement un seul et même toit.
N’y avait-il pas de conflits entre les deux frères, pas de rivalité, aucune divergence…
Comme dans le Ramayana, il y avait Ram et Lakshman, deux corps, un esprit. Basdeo et Sookdeo étaient ainsi. Chacun s’occupait à quelque chose de différent, mais le tout était complémentaire. Mon père était le penseur, le concepteur, le philosophe si vous voulez. Sookdeo, tout en étant lui aussi un grand intellectuel, avait lui choisi la politique (qu’il commence activement en 1946), et traduisait en action les réflexions de Basdeo pour l’émancipation des laboureurs, le bien-être de tous.
Les deux frères menaient, entre autres, un combat sans relâche contre le système des castes, le fameux «grand nations ti nations». D’ailleurs, les deux se sont mariés en dehors de leur caste, car ils voulaient rompre avec des traditions, qui, disaient-ils, nous retenaient en arrière.
Le vrai Mauricien devait faire abstraction de cela. Tout en prenant le meilleur de la culture indienne, il fallait rejeter ce qui nuisait… Ils ne mettaient pas l’accent sur la religion, mais sur la culture. Je n’ai pas de souvenir de Basdeo et de Sookdeo en train de participer à une séance de prière. Ils mettaient l’accent sur le Divali en revanche, sur les fêtes qui rassemblaient, qui éclairaient, pas sur ce qui divisait.
Ils avaient compris que la religion divisait les gens et pouvait les pousser à s’entredéchirer…
Kan ou malin, ou conné, ou trouv derrière miraille. Ils utilisaient les sermons pour éveiller la conscience populaire, quitte à faire de la prison – ils ont tous les deux fait de la prison à quatre reprises – et se posaient en challenger des autorités coloniales britanniques. Ils avaient un courage que seuls les intellectuels peuvent en avoir et se battaient à leur façon pour changer le destin de leur pays et de ses habitants, pour les arracher du joug britannique. En prison, papa (Basdeo) et chacha (Sookdeo) ont fait pas mal de grèves de la faim pour améliorer le sort des détenus. Où ils passaient, ils se battaient contre l’injustice. Dans le journal Zamana, vous pouvez lire leurs prises de position. Les Anglais faisaient saisir leur journal, souvent écrit en hindi, sanskrit et français pour tromper l’administration britannique.
Votre sortie contre le régime actuel risque d’être perçue, dans la logique manichéenne mauricienne, comme un move pour soutenir le Parti travailliste…
Je le répète s’il le faut: je ne suis pas travailliste, ni pour les Jugnauth, je suis bissoondoyaliste, dans la mesure où j’essaie de vivre selon les préceptes de Basdeo et Sookdeo. Je vis une vie tranquille, avec mes deux enfants, au milieu de mes plantes. Je sors de mon silence car je refuse que le grand héritage des frères Bissoondoyal soit récupéré à des fins de partisanerie politique.
Ce que mon père et mon oncle ont semé n’a rien à voir avec la façon dont ce pays est géré. Je suis pour la vérité. Je ne suis pas détentrice de la science infuse, mais j’invite ceux qui se disent bissoondoyalistes à venir me confronter, pour me dire pourquoi je ne devrais pas m’élever contre la tentative de détourner du bissoondoyalisme.
Attention, je ne dis pas qu’il faut être un membre de la famille des Bissoondoyal pour s’autoproclamer Bissoondoyaliste, loin de là. Je dis simplement que par respect pour leur immense travail, il ne faut pas s’approprier leur philosophie pour des gains politiques. En d’autres mots, ce gouvernement, en raison de la gouvernance actuelle, aurait dû avoir honte d’essayer d’en tirer un capital politique, digne d’une œuvre propagandiste.
Votre souhait pour Maurice?
Que Maurice redevienne un paradis et soit débarrassé de son lot de pourritures. Ce qui se passe en ce moment, c’est du jamais vu à Maurice. Même les Anglais ne tuaient pas les Mauriciens comme cela semble être le cas, avec ces cadavres que l’on découvre. En 70 ans, je n’ai jamais vu une telle défiance du peuple envers un régime. Basdeo n’aurait pas aimé voir son pays dans un tel état. Lakaz mo papa pe pran difé…
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