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Ivan Collendavelloo: «Je reste au sein de l’alliance mais je ne suis pas inféodé»

14 février 2021, 13:30

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Ivan Collendavelloo: «Je reste au sein de l’alliance mais je ne suis pas inféodé»

Ivan Collendavelloo se confie encore à l’express ! Pour juste ça, il risque de faire grimacer Pravind Jugnauth. Mais face à une majorité du MSM fragilisée, l’ex-numéro deux du gouvernement peut se le permettre. Même s’il dément un quelconque chantage et jure allégeance à l’Alliance Morisien, Ivan Collendavelloo démontre encore une fois son exceptionnelle capacité à souffler le chaud et le froid. Il tape, il caresse, il tape, il caresse… Transcription complète d’une interview réalisée au téléphone.

En moins d’une semaine nous avons vu les démissions de Nando Bodha et Yogida Sawmynaden dans des circonstances, et avec des motivations, totalement différentes. Votre regard sur ces deux événements politiques ? 
Dans les deux cas cela me chagrine et pour les mêmes raisons. Ce sont deux personnes avec qui j’ai travaillé et pour qui j’ai beaucoup d’amitié. Je ne laisse pas mes amis tomber. Je suis solidaire avec tous mes amis et c’est pour cela que j’exprime ma solidarité, non seulement avec Nando, mais également envers Yogida même si les contextes sont différents.

Nando Bodha a claqué la porte justement parce que le Premier ministre tolérait Yogida Sawmynaden. Vous ne pouvez pas être solidaire avec les deux sans égratigner un des deux… 
Je parle d’un point de vue strictement personnel. Et d’un point de vue personnel je n’ai aucune difficulté à faire des amalgames. Maintenant lorsqu’on entre dans les raisons qui ont motivé les départs de l’un et de l’autre, c’est vrai que les raisons sont différentes. Le premier, Nando Bodha, paraît être un problème interne au MSM et un problème de personnalité entre le Premier ministre et Nando Bodha. Le deuxième ressemble plus à la raison d’État. Il y a une situation qui amène le ministre à démissionner. Cela ne m’empêche pas au niveau personnel de regretter leur départ.

Politiquement vous êtes dans quel camp ? Celui de Nando Bodha ou celui de Pravind Jugnauth et Yogida Sawmynaden ? 
Je suis dans le camp de l’Alliance Morisien qui a été créé comme une succession à l’Alliance Lepep. Il y a eu beaucoup de problèmes ces derniers temps, mais n’empêche, je suis toujours dans l’Alliance Morisien et il n’y a aucune raison pour que je n’exprime pas ma solidarité, non seulement envers l’Alliance mais également envers tous ses membres.

Vous avez entendu l’appel de Rama Valayden qui vous invite vous aussi à quitter le navire ? 
J’ai entendu beaucoup d’appels y compris celui de Rama Valayden. Je ne suis pas d’accord avec la façon de faire de Rama mais je comprends tout à fait son droit de citoyen, son droit de critique, et son droit d’inquisition car le citoyen a le droit de faire son inquisition pour demander des éclaircissements. Donc je ne réponds pas à son appel évidemment. Il est d’un parti totalement opposé à moi, mais c’est quand même quelqu’un qui a une séniorité en politique. C’est un ancien Attorney General et j’écoute toujours les propos des gens qui comptent sur la scène politique mauricienne. 

Dans ces mêmes colonnes lors de votre dernière interview, vous étiez allé jusqu’à compter le nombre de voix dissidentes nécessaires pour faire passer une motion de blâme contre Pravind Jugnauth. Aujourd’hui vous dites que vous êtes et vous restez dans le camp de la majorité… 
Je vous avais dit cela quand je vous répondais au sujet des foules dans les manifestations contre le gouvernement. Je vous avais répondu que ce n’est pas une manifestation de 50 000 personnes qui allait éjecter le gouvernement du jour. Je vous expliquais qu’il fallait inverser le rapport de forces à l’Assemblée nationale. Voilà comment nous sommes arrivés à faire le compte. La situation est restée exactement la même, sauf que le nombre de dissidents nécessaires a diminué aujourd’hui (NdlR : avec la démission de Bodha). Je vous laisse le soin de faire les mathématiques. 

Cela dit, je suis partie prenante de l’Alliance Morisien, mais cela ne m’empêche pas de m’exprimer non seulement en tant que ML, mais en mon nom personnel. Je ne suis pas inféodé, mais je suis partie prenante à l’action de l’Alliance Morisien, du Premier ministre et des autres membres du gouvernement. Ce n’est pas si difficile à comprendre. Cela veut dire que j’ai un devoir de solidarité, de fidélité et de loyauté que je respecte. Cela n’enlève en rien mon droit de critique si tant et si bien que ce droit de critique s’exerce dans le strict respect de cette solidarité. 

«L’assassinat d’un membre du comité central du parti avec qui je suis en alliance est évidemment quelque chose qui m’interpelle.»

Je vous invite à exercer ce droit de critique tout de suite. Quel est votre premier reproche au gouvernement et à la majorité que commande Pravind Jugnauth ? 
Je réserve ces critiques en mon for intérieur pour le moment. Je vais en parler… (il se reprend). J’en ai déjà discuté avec le Premier ministre mais je crois que le respect que je lui dois impose que je lui parle d’abord avant de rendre cela public. Mais vous aurez déjà tout compris. 

L’affaire Sawmynaden a affaibli l’Alliance Morisien ? 
Abé certainement ! L’affaire Sawmynaden a affaibli le gouvernement comme toute affaire. Le Premier ministre a très, très bien géré les affaires du pays, mais moi je ne comprends pas les allégations qu’il y a sur Sawmynaden. Je pense que l’on prend les affaires d’une enquête judiciaire qui est devenue maintenant presque une commission d’enquête. S’il faut une commission d’enquête sur la STC et Sawmynaden, qu’on le fasse. Qu’on mette une commission d’enquête et qu’on enquête sur tout et que cette enquête soit menée par un juge indépendant et non pas comme maintenant cela semble se faire, par des avocats qui sont partie prenante d’une des parties dans le procès. Il ne faut pas oublier que l’enquête judiciaire est censée déterminer les causes du décès de M. Kistnen et non pas enquêter sur les contrats alloués. 

Si jamais la mort de Kistnen est justement liée à ces contrats, c’est le devoir de la magistrate de la cour de Moka de fouiller dans cette direction, n’est-ce pas ? 
Je n’ai pas à me prononcer sur ses devoirs et ses droits. C’est à elle de déterminer. Je suis sûre que la magistrate a dû bien peser les éléments avant de permettre aux avocats de se lancer dans cette enquête. Je suis ainsi obligé de me plier aux décisions de la magistrate tout en me réservant le droit de mon opinion personnelle.

Vous ne vous pliez pas à sa décision quand vous dites sur un ton critique que cette enquête judiciaire est devenue presque une commission d’enquête… 
Mais cela ressemble à une commission d’enquête. N’oubliez pas qu’une enquête judiciaire c’est précisément cela. Une enquête. La magistrate a les coudées franches pour enquêter sur n’importe quoi. J’ai été magistrat il y a très longtemps, et c’est comme cela que je menais des enquêtes. Je ne m’attachais pas uniquement à ce que la police me produisait. C’est un magistrat-enquêteur. Ce qui est assez rare dans notre droit. Dans le système anglais nous avons le coroner. À Maurice nous avons le magistrat-enquêteur, en France nous avons le juge d’instruction qui comme son nom l’indique, instruit.

Donc pour résumer, l’affaire Sawmynaden n’est pas suffisante pour que vous quittiez le navire de l’alliance… 
Oh oui. C’est exactement cela le sens de ma pensée car je crois que les faits révéleront qu’il n’y a pas d’affaire Sawmynaden. Tout au moins tant qu’il s’agit de l’assassinat de Monsieur Kistnen. 

Et l’affaire du Constituency Clerk ? 
Ah ça, c’est une bêtise ! Ce n’est pas ça qui mène à la démission d’un ministre. Ce qui devrait intéresser la population et le MSM, c’est l’assassinat de quelqu’un qui a été après tout, un membre de leur comité central. 

Vous avez vu l’insistance de la police sur la thèse du suicide alors qu’aujourd’hui l’assassinat est déjà établi. Ça vous a frappé ? 
Je ne sais pas. J’ai tendance à prendre note, c’est une des pratiques de ma profession d’avocat. Mes confrères devant l’enquête judiciaire ont, avec raison, contesté cette thèse. Ce sera à la magistrate d’en décider et de faire son rapport au DPP. Je ne peux pas faire de commentaire. Par contre mon commentaire était politique. L’assassinat d’un membre du comité central du parti auquel j’appartiens est évidemment quelque chose qui m’interpelle et qui devrait beaucoup m’interpeller. Tout le monde doit s’inquiéter de la cause de l’assassinat. Cela dit, je m’insurge contre ceux qui pensent que Yogida Sawmynaden pourrait être mêlé de près ou de loin à l’assassinat de Kistnen.

«Il y a une petite cabale contre le Muvman Liberater et cer tains ministres y participent malencontreusement. J’ai déploré cette situation auprès de Pravind Jugnauth »

C’est une conclusion hâtive. Vous devancez la magistrate… 
Oui je devance la magistrate parce que jusqu’à l’heure, il est impossible de dire que Yogida est mêlé à ça. Il peut avoir été mêlé à un tas de choses, mais nous parlons là d’une judicial enquiry into the cause of death deM. Kistnen.

Même si vous concédez que l’affaire Sawmynaden embarrasse son gouvernement, vous faites preuve de finesse et de diplomatie envers Pravind Jugnauth et Yogida Sawmynaden. On ne peut pas en dire autant des autres ministres. Eux ne vous font aucun cadeau. Cette semaine Soodesh Callychurn a parlé de «preuves» et de «documents» dans l’affaire Saint-Louis. Comment encaissez-vous cela ? 
J’ai été surpris par les propos de Soodesh Callychurn. Alors qu’il tient une conférence de presse sur la démission de Yogida Sawmynaden et la STC, il vient dire la chose suivante : «Il y a beaucoup de choses qui ne tournent pas rond à la STC et le Premier ministre m’y envoie pour mettre de l’ordre.» C’est le droit du Premier ministre et c’est le droit de Soodesh. Mais mon premier élément de surprise c’est qu’il semble donner raison à Rama Valayden, ce que je ne comprends pas très bien. La deuxième chose c’est qu’il fait un amalgame entre la STC et le CEB. C’est un amalgame malheureux. La première partie de son intervention est une intervention qu’il lit d’un script préparé. Il a son papier en main et il ne dit pas grand-chose dans cette première partie. C’est dans la deuxième partie en réponse à une question d’un journaliste qu’il se laisser aller et dit qu’il y avait des documents à la base de la révocation du board du CEB. Cela m’interpelle puisque j’étais le ministre responsable du CEB à l’époque. Il n’y avait absolument aucun document à la base de la révocation du board. 

Je dois vous dire, et vous informer de ce fait. Soodesh m’a téléphoné pour me dire qu’il s’est laissé aller suite à la question du journaliste et que ce n’était nullement son intention de le dire, et je le crois. Il m’explique que ses mots ont dépassé sa pensée.

Ah bon ? Il vous a appelé pour s’excuser ? 
Excuse est un mot fort. Je peux vous dire qu’il a également appelé Seety Naidoo (NdlR : membre du ML et chairman viré du CEB, dans le sillage du Saint-Louis Gate) et il a tenu à peu près, de ce que je comprends, les mêmes propos. Soodesh est un ami. Et quand je revois cette conférence de presse, c’est clair et évident qu’il lit un script préparé par un conseiller quelconque. Cela n’est point le problème. 

Le problème est le suivant : depuis huit mois ce n’est pas la première fois que j’entends cela. Manish Gobin, depuis le 10 décembre 2020, avait dit que comparé à Yogida Sawmynaden, contre Ivan Collendavelloo il n’y avait pas que de simples allégations. Il a repris ce même discours lors d’une émission radio quand il débattait avec Reza Uteem. Il a réaffirmé qu’il y avait des preuves contre moi. Et là maintenant Soodesh Callychurn se laisse aller. Cela semble indiquer qu’il y a une petite cabale et que certains ministres tombent dans cette cabale. J’en ai parlé au Premier ministre pour lui exprimer mon mécontentement. 

C’était quand ? Avant l’incident impliquant Soodesh Callychurn ? 
Oui c’était avant, et c’était au sujet des interventions de Manish Gobin. Mon point est très simple. On ne peut pas pendant huit mois, continuer à dire à l’opinion publique qu’il y a des preuves contre moi et contre le board du CEB, sans qu’on fasse état de ces preuves. Pendant huit mois, personne n’a montré des preuves de ce qui a été avancé. J’espère, et j’espère que ce soit plus tôt que plus tard, que l’ICAC m’appelle et me dise «voilà Monsieur les preuves qu’il y a contre vous».

Le résumé d’enquête de la Banque Africaine de Développement, document que vous avez vu, n’est pas une preuve ? 
C’est un statement qui vient dire qu’elle pense que Collendavelloo et Bérenger sont parmi les officiers. Ça, ce ne sont pas des preuves. Il faut apporter des preuves. Alors on se base sur un document non signé, que j’ai vu. À part cela, il y a le rapport de la BWSC. J’aurais cru que la moindre des choses aurait été de me montrer ce rapport. D’ailleurs le ministre Lesjongard a estimé que ce rapport devrait être rendu public. Je le pense aussi. 

Ivan Collendavelloo, je vois les choses de cette perspective, et vous me dites si vous êtes d’accord ou pas : qu’un ministre fraîchement nommé au Commerce, cite par inadvertance le Saint- Louis Gate et par la suite prend le soin de vous appeler ainsi que Seety Naidoo pour s’excuser, cela veut dire que le MSM, avec une majorité fragilisée, a peur de l’incident diplomatique avec le ML. Vous êtes donc en position de force aujourd’hui bien que vous soyez un backbencher. Vous êtes d’accord ? 
Non. Je ne suis absolument pas d’accord. Je vous explique pourquoi. Je pense qu’il y a certains depuis longtemps qui n’aiment pas notre présence au sein de l’alliance et qui continuent à monter une cabale contre le ML et ils continueront ainsi. Je ne dis pas que Soodesh ou Manish en font partie. Je ne vise aucunement les ministres du gouvernement, ni le Premier ministre. Mais heureusement que l’alliance est solidaire comme toujours. Cette attitude donne lieu à des dérapages. Je note et j’apprécie l’appel et les propos de Soodesh Callychurn. Je dis cela car mon autre ami Manish Gobin lui s’en est bien gardé de le faire. 

Demain quand Pravind Jugnauth lira cette interview que vous accordez à l’express – de surcroît à l’express – pour dire que vous n’appréciez pas les propos de certains ministres, il risque d’interpréter cela comme une forme de menace. “Si sa kontiniye mo clak la porte ek to mazorite ankor pli menase”… 
(Il hausse le ton). Absolument pas ! Premièrement, je ne suis pas homme à chantage. Je ne suis pas homme à menaces. Je suis resté silencieux pendant tout ce temps. Tant que ces attaques étaient contre ma personne, cela ne me gênait pas. Mais maintenant on commence à attaquer des membres du board du CEB, et cela, je n’accepte pas. Ce sont des gens honorables qui ont fait leur travail, dans des conditions parfois difficiles, et je crois qu’il faut faire amende honorable, ce que je fais à la place des autres.