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Enquête judiciaire: «C’est condamnable si un avocat fait des signes à un témoin…»

27 février 2021, 18:53

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Enquête judiciaire: «C’est condamnable si un avocat fait des signes à un témoin…»

Me Azam Neerooa, représentant du directeur des poursuites publiques, a été agacé par le comportement de Me Ganessen Mooneesawmy, watching brief du témoin Deepak Bonomally, et l’a fait savoir en cour de Moka mardi. C’était dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen. Qui est Me Mooneesawmy, que risque-t-il et quel est le rôle d’un watching brief ?

Mardi, en cour de Moka, Me Mooneesawmy a fait des signes à son client pour l’aider à répondre aux questions embarrassantes de Me Rouben Mooroongapillay. «He is coaching his client!», a dit Me Neerooa, qui a affirmé que ce petit jeu a commencé dès le matin quand il interrogeait le témoin et avait le dos tourné aux avocats de ce dernier. À un certain moment, Me Mooneesawmy aurait secoué ou hoché la tête pour indiquer à son client de répondre par l’affirmative ou par la négation. Des journalistes et des membres du public l’ont vu et l’ont rapporté. 

Un de ses confrères, sous couvert de l’anonymat, le décrit comme une personne très réservée. D’autres avocats, que l’express a sollicités, ne connaissent pas cet homme de loi, qui se fait tout petit au quotidien, conservant ses dossiers à la main en se rendant soit à la New Court House soit en Cour suprême, pour représenter ses clients dans des affaires de litiges. 

«Il est toujours bien entouré de ses pupils. C’est enn bon garçon, apprécié par d’autres avocats», ajoute un confrère. La preuve, avance-t-il, Me Mooneesawmy a décroché 115 voix lors des dernières élections du Bar Council et 130 voix au cours de ces mêmes élections l’année précédente. 

Mais que risque cet homme de loi, soupçonné de n’avoir pas respecté le code d’éthique ? Un avocat déclare qu’un watching brief n’est pas autorisé à coacher son client pendant une audition. «He cannot put words or make signs to his client who is deponing. Sinon, il risque de faire l’objet d’une accusation de perverting the course of justice ou peut faire l’objet d’une disqualification ou d’une suspension comme membre de la Mauritius Bar Association.» 

Déplorant ce qu’il considère «un conflit d’intérêts», Me Rouben Mooroongapillay avait auparavant fait une déclaration en cour dans laquelle il avait demandé à la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath de donner un avertissement à Me Mooneesawmy. «…the Court to warn Me Mooneesawmy not to act unethically and not to reveal the deposition of Bonomally to Vinay Appanna in as much as his niece is married to Vinay Appanna». 

Sollicité, Me Rama Valayden, qui a été le Pupil master de Me Mooneesawmy, il y a sept ans, confie que ce serait «un stratège» au niveau des affaires commerciales. «90 % des pupils respectent à vie leur Pupil master, qui leur a prodigué de bons conseils. C’est enn garçon trankil et droit. Mais j’ai été surpris d’apprendre par la radio, qu’il a fait une virulente sortie contre nous, les Avengers, nous qualifiant de scavengers.» 

Serait-ce un manque de respect envers son ancien Pupil master ? Me Valayden répond par l’affirmative. «Je pardonne très vite mais je me suis dit que c’était peut-être sa première intervention sur les ondes d’une radio ou qu’il a émis des commentaires sur nous par manque de maîtrise d’une bonne communication ou par manque d’expérience», avance Me Valayden. 

Le Senior Counsel (SC) Yousuf Mohamed indique, pour sa part, qu’un watching brief est tout simplement un observateur en Cour. «Il est là pour s’assurer que les règles soient respectées et ne doit aucunement intervenir ou poser des questions. Bien sûr qu’il peut faire des suggestions à la magistrature mais son rôle est de veiller à ce que les droits de son client soient respectés», explique le SC. 

A-t-il pour autant le droit de faire des signes à un témoin qui se trouve dans le box ? Me Mohamed estime que c’est totalement illégal. «Ce n’est pas digne d’un avocat. C’est condamnable par le code d’éthique. Il ne faut pas qu’il se mette dans la peau de son client. Faire des signes à ce dernier représente un outrage à la Cour.» Il ajoute avoir également appris «que le témoin Bonomally tenait un portable pendant qu’il témoignait. C’est condamnable. Un témoin peut être confronté à un document au cas où sa mémoire doit être rafraîchie mais pas plus que ça.» Pour lui, si le cas a été rapporté au Bar Council, le chef juge peut intervenir ou l’affaire être référée au bureau de l’Attorney General. 

Me Tony Gokhool, qui a travaillé comme Executive officer pour le ministre de la Justice à Londres pendant plusieurs années, abonde dans le même sens. «Un watching brief ne peut interroger ou contre-interroger un témoin. C’est unethical ou je dirai ‘inélégant’ si un avocat agit de la sorte. Ce qui serait Perverting the course of justice. Il ne peut donner des indications à son client.» 

Même son de cloche du côté de Me Siddhartha Hawoldar, qui est d’avis qu’un chien de garde doit plutôt être un soutien moral pour son client. «Sur le plan actif, son rôle est minime. Il doit tout simplement s’assurer que les droits du témoin ne soient pas bafoués mais ce dernier ne peut consulter ses notes en Cour.» 

Que risque Me Mooneesawmy ? Me Hawoldar parle d’un avertissement. Quant au témoin Deepak Bonomally, qui a eu un avertissement de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath, qui lui a demandé de ne dire que la vérité, il risque d’être inculpé sous une accusation de Speaking a lie under oath, délit pour lequel une peine d’emprisonnement de moins de cinq ans peut être imposée. 

Le président du Bar Council, Me Yatin Varma, indique qu’aucune plainte contre Me Mooneesawmy n’a été reçue jusqu’ici. «Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de plainte que le Bar Council ne peut intervenir. Mais attendons plutôt les conclusions de la magistrate Mungroo-Jugurnath et de visionner les images des caméras CCTV. Ensuite, le Bar Council décidera.» 

L’express a tenté en vain d’avoir la réaction du principal concerné. Toutefois, à sa sortie de la cour de Moka, Me Mooneesawmy devait dire qu’il n’est pas embarrassé et nie tout conflit d’intérêts par rapport à ses liens de parenté avec Vinay Appanna, partenaire d’affaires de Deepak Bonomally. 

Pressé de questions après les auditions de mardi sur les critiques à son égard, l’avocat demande aux journalistes de respecter le rôle de la magistrate Mungroo-Jugurnath, sans pour autant donner une réponse claire. «Il faut laisser la Cour faire son travail.»