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Dépréciation délibérée de la roupie: la Banque de Maurice de nouveau à la rescousse de l’État ?

7 avril 2021, 16:15

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Dépréciation délibérée de la roupie: la Banque de Maurice de nouveau à la rescousse de l’État ?

Économistes et spécialistes financiers s’élèvent contre la politique délibérée de la dépréciation de la roupie prônée depuis des mois par la Banque de Maurice (BoM). En une année, elle a perdu 8 % vis-à-vis du dollar et 15 % contre l’euro. Une situation qui inquiète l’ex-ministre des Finances aujourd’hui leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, qui relève une dépréciation allant jusqu’à 17 % de la monnaie locale face au billet vert. Une tendance baissière de la valeur de la roupie qui permet d’une part au Trésor public de doper au bout du compte ses recettes fiscales à la douane et à la BoM, d’autre part de disposer de gains réalisés sur l’évaluation de ses actifs en devises étrangères. 

Du coup, les spécialistes se demandent si la Banque de Maurice est en train de faire le jeu du gouvernement en opérant comme une agence fiscale au lieu de se conformer à son mandat qui est d’assurer la stabilité de prix. «Il faut comprendre qu’en laissant la roupie se déprécier pendant une longue période, la Banque de Maurice fait en sorte que la valeur en roupie des produits importés augmente naturellement la recette fiscale, notamment à travers les droits de douane qui y sont imposés alors que la TVA à 15 % est calculée sur la valeur incluant les droits de douane», explique Imritt Ramtohul, analyste financier. 

Mais il y a mieux avec des réserves en devises de la BoM, qui se chiffrent à plus d’USD 7 milliards aujourd’hui. Une dépréciation de 17 % de la roupie vis-à-vis du dollar, soit de Rs 6 (un taux de change de Rs 35 au début de l’année de 2020 contre une moyenne de Rs 41 aujourd’hui), c’est quelque Rs 42 milliards qui tombe dans l’escarcelle de la BoM sous forme de Special Reserves Fund (SPF). 

Certes, l’institution régulatrice bancaire attendra au terme de l’année fiscale en juin prochain pour actualiser le SPF sur la base d’un exercice de réévaluation de ses actifs en devises. «Aujourd’hui, la stratégie délibérée de la Banque de Maurice est de poursuivre la dépréciation de la roupie. Est-ce la raison derrière sa cadence d’intervention sur le marché forex ces derniers jours pour racheter le dollar à plus de Rs 40 ?» soutient un spécialiste du forex. 

Faut-il s’attendre à ce que le locataire du Trésor public se tourne une nouvelle fois vers la BoM Tower pour financer son budget de développement ? Face à une contraction du PIB de 14,9 % en 2020 et aux mesures prises pour financer les employés du secteur privé et les travailleurs indépendants au coût de Rs 18 milliards durant les deux confinements, la tentation est forte pour le ministre des Finances de s’approprier le SRF pour limiter la casse. Même si la direction de la BoM avait clairement fait comprendre l’année dernière que c’était une contribution one-off. 

Les spécialistes s’appuient sur la conjoncture actuelle, avec une ouverture économique opérant en deçà de sa capacité et une majorité d’opérateurs forcés au confinement, pour rappeler l’urgence économique du moment et l’étroitesse de la marge de manoeuvre de Renganaden Padayachy à quelques semaines des préparatifs budgétaires. D’où le recours possible à une nouvelle manne de la Banque de Maurice, soulignent des observateurs. 

Cela d’autant que la voie proposée par le secrétaire financier, Dev Manraj, dans une circulaire adressée aux Supervising Officers des ministères à l’approche de l’exercice budgétaire, reste difficilement applicable. Il propose en fait une baisse de 25 % des dépenses courantes de l’État pour l’année financière 2021-22 par rapport à celle de 2020-21. Ce qui reviendrait à un montant de Rs 33 milliards sur des estimations de Rs 133 milliards au 30 juin 2021. Or, il se trouve que deux postes de dépenses soit, les salaires de fonctionnaires (Rs 31 milliards) et les bénéfices sociaux (Rs 44 milliards) occupent 56 % des dépenses courantes du gouvernement.

Résultat des courses, il sera techniquement impossible pour Dev Manraj de sacrifier ces deux dépenses au risque d’enfoncer Maurice dans une nouvelle ère d’austérité que le pays a connue au début des années 80.

En chiffres

<p><strong>Dépréciation de 12,7 % de la roupie face au dollar américain en six ans.</strong></p>

<p>Ce mardi 6 avril 2021, il fallait présenter Rs 40,85 aux comptoirs des banques pour obtenir un seul dollar américain. Entre le 16 mars 2015 et le mardi 6 avril 2021, la valeur du dollar face à la roupie mauricienne a accusé une hausse de 12,7 % soit Rs 4,60.</p>

 

Arif Currimjee, vice-président de la mexa: «La politique du taux de change, l’outil le plus important» 

<p>Pour une économie comme la nôtre qui dépend énormément des échanges commerciaux pour sa survie, le vice-président de la MEXA, Arif Currimjee estime que la politique du taux de change est sans doute l&rsquo;outil le plus important entre les mains des décideurs politiques dans un contexte où le taux d&rsquo;intérêt pratique est relativement bas.&nbsp;<em>&laquo;Dans une situation où on assiste à d&rsquo;importants flux de capitaux qui sont dans le même souffle imprévisibles, la gestion du niveau de la roupie mauricienne constitue un défi de taille pour la Banque de Maurice. C&rsquo;est un facteur qui peut sensiblement influencer ses comptes.&raquo;</em>&nbsp;Pour Arif Currimjee, l&rsquo;impact d&rsquo;un dollar fort par rapport à la roupie peut être positif pour les exportateurs.&nbsp;<em>&laquo;Cela dépend du niveau de la valeur ajoutée locale de même que la devise dans laquelle les transactions sont réglées. Comme dans la plupart des cas, l&rsquo;importation des matières premières s&rsquo;effectue en dollar américain et que les transactions autour des exportations se règlent en euro et en livre sterling, un dollar fort comparativement à ces devises peut avoir un impact négatif à moins que ces exportateurs n&rsquo;aient eu recours à une assurance contre les risques de fluctuation de la valeur des devises.&raquo;</em>&nbsp;Arif Currimjee estime qu&rsquo;une hausse de la valeur du dollar américain peut aboutir à une hausse des coûts libellés en roupie mauricienne et cela en raison de l&rsquo;impact de l&rsquo;inflation importée ou bien en tenant compte de la possibilité d&rsquo;une hausse des salaires, les avantages recueillis dans le cadre d&rsquo;un taux de change ne seront que de courte durée. D&rsquo;où son appel pour que les décideurs puissent s&rsquo;assurer que la valeur réelle de la roupie mauricienne reflète les fondamentaux économiques et reste compétitive afin d&rsquo;encourager des activités associées à l&rsquo;exportation.&nbsp;</p>