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«Les parents sont contents d’avoir des livres gratuitement, mais voyez combien cela coûte aux contribuables»

23 avril 2021, 18:15

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«Les parents sont contents d’avoir des livres gratuitement, mais voyez combien cela coûte aux contribuables»

Aujourd’hui, 23 avril, c’est la journée mondiale du livre et du droit d’auteur. À deux mois de la rentrée scolaire, Ahmad Sulliman, directeur des Éditions Le Printemps et président de la Booksellers and Stationery Owners Association (BSOA) s’inquiète du «gros retard» concernant les listes de manuels scolaires pour les Grades 10 à 13. Tout en déplorant le contrecoup combiné de la pandémie et de la décision «électorale» des autorités de fournir gratuitement des manuels scolaires jusqu’en Grade 9. 

La journée mondiale du livre s’écrit avec le Covid-19 pour la seconde année consécutive. Mais contrairement à l’an dernier, les librairies ont été autorisées à ouvrir pendant le confinement.   
Cette année, quelqu’un a plaidé la cause des libraires. Je ne vous dirais pas son nom mais il a tapé fort. L’an dernier, nous n’avions pas eu le droit d’ouvrir du tout alors que d’autres commerces avaient pu opérer. 

Nous avons obtenu un Work Access Permit sauf qu'à Vacoas, où se trouve notre siège et Curepipe où il y a l’une de nos librairies, ont été classés en zone rouge pendant plusieurs semaines. Cela a affecté la fréquentation. En zone rouge, combien de personnes pouvaient venir à nous ? Juste les gens du quartier.

Vous aviez également obtenu l’autorisation exceptionnelle d’ouvrir à la veille des examens. Cela vous a aidé ? 
Comparé à l’année dernière, nous avons un répit. Ces cinq jours d’ouverture nous ont aidés et par la suite on nous a laissés travailler. Au moins 50 % du personnel a eu le WAP. Nous avons pu travailler en ligne et livrer des commandes de Port-Louis à Curepipe. Il y a eu beaucoup de demandes. 

Que recherchait le public en cette période ? 
Les demandes concernaient surtout la section papeterie. Les parents étaient stressés, ils cherchaient des fournitures scolaires pour leurs enfants, surtout ceux qui devaient prendre part aux examens de dessin. Ce sont des fournitures qu’on ne trouve pas forcément dans les supermarchés. 

Mais certains parents attendent souvent la dernière minute. À Vacoas, le jour des examens il y avait la queue à la librairie, pour ces fournitures. 

Faites-nous un bilan de l’impact du confinement sur ce secteur. 
L’année dernière, nous n’avons pas travaillé pendant trois mois. Cette année, la même chose pendant presque deux mois, plus le classement en zone rouge. Quand vous ajoutez tout cela, cela fait mal. Et l’année dernière, il n’y a pas eu que le Covid-19. Il y a aussi eu la décision électorale du gouvernement d’offrir des manuels scolaires gratuitement aux élèves de Grade 7 à 9. Cela a sonné le glas pour notre business. Les éditeurs ont pratiquement disparu. 

Il existait toute une chaine du livre dans ce créneau des manuels scolaires pour les Grades 7 à 9, avec des auteurs, des correcteurs, des profs retraités en freelance, ceux qui font la mise en page, etc. L’activité éditoriale est fermée pour les Grades 7 à 9.

Sauf que les manuels gratuits ne le sont pas. Ce n’est pas le gouvernement qui paie, mais les contribuables qui mettent la main à poche pour ces livres. Et quand les contribuables paient, c’est plus cher. L’an dernier, nous avions proposé aux autorités d'offrir les livres aux Grades 7 à 9, à travers les librairies, contre un bon de Rs 1000. Ne me dites pas que l’État allait trouver mieux que 12 manuels pour Rs 1000. Ça non. La distribution aux écoles, le stockage des livres, ça ne coûte pas de l’argent ? Les libraires avaient proposé de se charger de cela contre un bon de Rs 1000. Mais toutes ces requêtes ont été jetées à la poubelle par les autorités.

Les librairies ont-elles pu écouler l’important stock de manuels de Grade 7 à 9 qu’elles avaient constitué avant que les autorités ne décident de donner des livres en cadeau ? 
Vous vous souvenez que pendant deux années consécutives, ce sont les Éditions de l’Océan Indien qui ont raflé l’appel d’offres pour fournir les livres. Sauf que par la suite, nous avons retourné ces livres au ministère à 50 % moins cher. Par exemple, un livre qui se vendait à Rs 125, le ministère l’a racheté pour Rs 50. Nous n’avions pas le choix. Encore une fois, c’est une perte de 50 % sur le prix d’achat. Nous avons souffert et nous continuons de souffrir.                    

Comment s’annonce la prochaine rentrée scolaire dans deux mois ? 
Quand la grande rentrée était encore en janvier, les autorités exigeaient que les écoles soumettent la liste de livres aux importateurs, à l’association des libraires dès le mois de juillet. C’est-à-dire cinq mois avant la rentrée. Nous parlons bien évidemment des manuels pour les Grades 10 à 13, qui ne sont pas donnés en cadeau. 

À lundi dernier, sur 135 écoles, nous n’avions eu qu’une seule liste. Depuis le 15 avril dernier, nous avons écrit au ministère de l’Éducation pour alerter aussi bien la ministre, le Permanent Secretary, le Chief Technical Officer etc. Nous leur avons dit que si les importateurs ne reçoivent pas de liste au plus vite, nous risquions de ne pas avoir de livres à la rentrée. 

Vous avez eu une réponse ? 
Vous rêvez ? Même pas un accusé de réception pour ce courrier envoyé par la BSOA. 

Aujourd’hui, c’est la journée mondiale du livre mais quelle tristesse pour nous. Le fret avion a triplé, le fret bateau a quasiment doublé. Ce que je payais £ 1,50 le kilo (environ Rs 85,3) avant la pandémie me coûte aujourd’hui £ 6,80 le kilo (environ Rs 387). Cela vous donne une idée de nos misères. Les parents sont contents d’avoir des livres gratuitement, mais allez voir combien cela coûte vraiment aux contribuables. Pour les autorités, le métier de libraire est peut-être obsolète. Ce sont des gens qui n’aiment pas les livres. Ils sont insensibles aux livres et aux éditeurs. C’est pour cela qu’on nous ignore. Combien de vrais libraires y a-t-il à Maurice ? 

Je vous retourne la question, combien de membres compte la BSOA ? 
Environ une trentaine. Mais de vrais libraires, il n’y en a pas beaucoup. Pour la majorité, ce sont des gens qui vendent des livres de façon saisonnière et qui font autre chose à côté pour gagner leur vie. Ils y sont obligés.