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Covid-19 et santé: au cœur du problème des dialysés et cancéreux
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Covid-19 et santé: au cœur du problème des dialysés et cancéreux
Il a fallu que 11 patients dialysés décèdent pour que le gouvernement se décide. Enfin. Un «fact-finding committee» pour faire la lumière sur cette hécatombe sera finalement mis sur pied. C’est ce qu’a annoncé le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, qui la veille pourtant ne voulait pas en entendre parler…
Le triste sort des dialysés a été évoqué au Parlement mardi. Le leader de l’opposition, Xavier Duval, a axé sa Private Notice Question sur ce dossier. Tout en déclarant que Maurice était classé dès 2017 par la revue scientifique The Lancet comme l’un des ‘pires’ pays au monde en ce qu’il s’agit des problèmes rénaux.
Pis. Le nombre de patients dialysés (ayant contracté le Covid ou pas) décédés en mars et avril – soit 76 – chiffre annoncé par le ministre Jagutpal, hésitant à souhait, au Parlement toujours, choque. Tout en sachant qu’à l’heure actuelle, 1 579 patients suivent des traitements de dialyse, dont 1 285 dans des hôpitaux et 294 dans des cliniques privées (voir plus loin).
Coup de théâtre donc vendredi 24 avril au soir : même si le ministre de la Santé persistait à dire partout qu’il n’y a pas lieu d’enquêter, il a dû annoncer, tout penaud, la mise sur pied d’un «fact-finding committee» sur les dialysés. Cerise sur le gâteau : Jagutpal ajoute que la décision du Cabinet est «très bonne»…
Graves manquements
Mais revenons à tous ces épisodes qui ont conduit, finalement, à cette enquête. Selon des membres du personnel soignant et des proches des 11 décédés, il semble bien qu’il y ait de graves manquements à plusieurs niveaux.
À commencer par la décision ‘malavisée’ selon plusieurs, de placer des dialysés en quarantaine même ceux testés négatifs au Covid. Cette décision, le ministre de la Santé l’a condamnée sans le savoir lorsqu’il a déclaré, glorieusement il est vrai, au Parlement : «[In Europe and America]There has been no attempt to isolate these patients in quarantine centres. Patients are self-isolated at home and travel to and from the Dialysis Centre by organised transport”…
Selon les membres des familles touchées et des dialysés eux-mêmes, la quarantaine obligatoire pour les dialysés aura été un des facteurs qui ont contribué à ces décès. «Enfermés, seuls, loin de leurs proches et livrés à eux-mêmes, ils étaient devenus plus vulnérables.»
Rappelons-le, selon le témoignage de la femme d’Habib Unjore, 72 ans, patient dialysé décédé et testé positif au Covid-19, ce dernier était obligé de faire sa propre lessive en quarantaine et devait se débrouiller pour prendre ses médicaments, sans aucune aide.
Hygiène douteuse
Puis, comme il a été dit et redit par les proches des défunts, l’hygiène, cruciale pour les dialysés, laissait souvent à désirer pour le moins qu’on puisse dire. Certains étaient abandonnés dans leur vomi et d’autres dans leurs selles, détails scabreux révélés par les patients qui témoignent de leur calvaire.
Par ailleurs, Kishna Ramsamy, le veuf de la 11e victime, Sarojini, a mis au jour ce que l’on soupçonnait déjà : Sarojini avait arrêté de s’alimenter car on ne lui servait que du chou cru, une pomme de terre bouillie et autres plats insipides alors que ses proches la nourrissaient bien tout en respectant la diète des dialysés.
Des anciens patients de l’hôpital de Souillac – antre de l’infection – ont raconté en live jeudi soir, sur la page du député Shakeel Mohamed, l’état déplorable des infrastructures. «Finn met nou dan enn lasal, lakaz zaregné partou, dra sal, tas lor la partou...»
Dialyse entre 22 h 30 et 2 heures du matin
Et que dire des machines. Il faut savoir tout d’abord que la section dialyse de l’hôpital de Souillac est opérationnelle depuis 2012 et elle est dotée de 16 machines pouvant soigner jusqu’à 90 patients. Au début de la deuxième vague du Covid en mars, 87 personnes s’y faisaient dialyser. Trois ont été transférés par la suite vers l’hôpital de Rose-Belle.
Ainsi, les appareils de Souillac devaient être utilisés par 84 personnes, les négatifs passant avant les positifs. Ce qui fait que parfois, les patients positifs faisaient leur dialyse entre 22 h 30 et 2 heures du matin.
Cependant, l’on ne sait pas si cette procédure était suivie dès le début. De plus, bien que Jagutpal ait affirmé que les machines de dialyse se ‘désinfectent’ automatiquement après chaque séance et qu’une fumigation est entreprise chaque nuit dans la salle après une journée de dialyse, on ne sait pas si la surface des machines et la salle elle-même avec tous ces meubles, sont nettoyés.
Pour un des patients «pa ti pe dezinfek ni masinn ni plas la». D’ailleurs, si la fumigation est faite chaque jour, personne ne sait à quelle heure exactement sur place. «Zamé pann trouvé…»
Problème de shift
Comment les dialysés ont été contaminés ? C’est la question que se posent plus d’un. Si les proches parlent de contamination à travers le personnel soignant à Souillac, des infirmiers sur place indiquent, eux, que leur shift pose également problème.
Ils doivent reprendre du service et être en contact avec d’autres patients après avoir été en contact avec des dialysés positifs, pendant 21 jours, sans passer par la quarantaine. «Pé dir tou staff report to work zis apré sa 21 zourla. Nou fami oussi an danze.»
S’agissant du transport des dialysés du centre de quarantaine vers Souillac, là aussi, on nous a rapporté l’absence de distanciation sociale, en tout cas au début, avant que la presse n’en parle. La clim aurait même été utilisée, ce qui pourtant est extrêmement dangereux, comme l’a dit le Dr Satish Boolell dans un entretien précédemment.
Et cela, on le savait depuis le début de la pandémie en 2019. Il paraît même selon le journal Le Monde que la première contamination se serait produite en Chine dans un restaurant … climatisé.
Réaction des proches au «fact-finding committee» : pas en avant vs scepticisme
Pour la majorité des proches, la mise sur pied de ce comité d’enquête équivaut déjà à un pas en avant. Même si le scepticisme demeure. Krishna Ramsamy, l’époux de Sarojini Ramsamy, préfère attendre les retombées de ladite enquête avant de décider de la marche à suivre. «On laisse le ministre ‘faire’ son ‘fact-finding committee’. Et puis on verra quoi faire. Pour le moment, on observe notre période de deuil.» Pour rappel, son épouse est décédée mercredi 21 avril…
De son côté, Vimi Beesoo a le cœur gros juste à l’idée de penser à son époux, Darmamand Beesoo, parti le 7 avril. C’est à travers ses proches qu’elle a appris la mise sur pied de ce comité qui étudiera les différents scénarios. «Finalement, les autorités ont accepté de faire la lumière sur ces décès. C’est ce que nous recherchons.» Elle voulait justement aller de l’avant dans cette quête de justice. «Les moyens me font défaut, sinon je serai déjà allée de l’avant. Ces personnes méritent toutes que justice leur soit faite. Elles ne méritaient pas de mourir ainsi.»
«Négligence de la santé»
En revanche, cela n’empêchera pas Kevin Hanzary, le gendre de Neman Jeebun, d’aller encore plus loin, dans sa soif de vérité. «Certes, c’est une bonne décision pour y voir plus clair. Mais de l’autre côté, nous avons perdu notre proche et nous n’allons plus la revoir... C’est à cause d’une négligence médicale qu’aujourd’hui elle n’est plus parmi nous. Si, depuis le début, le travail avait été fait comme il faut, il n’y aurait eu aucune défaillance.»
Il ne décolère pas depuis la tragédie qui a frappé sa famille, le 11 avril. «Je pense que le Premier ministre a pensé à toutes ces familles qui ont perdu un proche pour aller de l’avant avec cette enquête. J’espère qu’elle sera ‘genuine’ et que le dossier ne va pas se perdre au fond d’un tiroir.»
En tout cas, il compte suivre de près les travaux du comité. «On aurait aimé que l’ancien directeur de la santé, le Dr Gujadhur, puisse siéger sur ce comité.» Cette enquête est importante également pour tous ces autres patients dialysés qui recherchent leur guérison face au Covid-19, précise notre interlocuteur. «Ainsi, on pourra les soigner correctement.»
La famille de Neman Jeebun, une fois la période de deuil passée, compte poursuivre le gouvernement en justice. «Nous ne sommes pas à la recherche d’une compensation car nous avons déjà perdu notre proche. Nous voulons démontrer la négligence du ministère de la Santé.»
L’hôpital de Souillac souillé
Puisqu’il est question d’hygiène plus haut, voici à quoi ressemble l’hôpital de Souillac.
Des proches de malades nous ont envoyé ces photos montrant des sacs poubelles empilés les uns sur les autres et débordant même du lieu où ils sont normalement entreposés en attendant les services de voierie. Les mouches, bien sûr, étaient au rendez- vous et l’on ne sait pas si les rats se sont invités eux aussi. En tout cas, l’odeur était insoutenable hier, samedi 24 avril.
Question dès lors : où sont passés les éboueurs ? Au conseil de district de Savanne, on nous explique que leurs employés ne peuvent accéder à l’intérieur de la cour de l’hôpital sans personal protective equipment (PPE), qui doit être fourni par l’hôpital. Un haut cadre du conseil de district nous dit même qu’il n’était pas au courant Du fait que les poubelles débordaient. «Nous leur avons pourtant dit de nous faire savoir quand l’on pouvait venir récupérer les déchets et de préparer les PPE.»
Il nous prie de passer le message à la direction de l’hôpital. Voilà qui est fait. Car le responsable de l’hôpital, justement, M. Doomun, s’est contenté de nous dire que «pa gagn drwa komanté»...
Le combat des malades du cancer
Une patiente atteinte de cancer de Roches-Bois a été testée positive au Covid-19. En sus des Mauriciens sous dialyse, cette catégorie de malades est plus vulnérable face au coronavirus. Comment vivent-ils cette situation ? Se sont-ils fait vacciner ? Comment leur traitement pour le cancer est-il altéré en cas de contamination ?
«Le Covid-19 fait peur. Plusieurs patients cancéreux sont décédés. Cela m’inquiète. Je porte toujours mon masque et désinfecte ma maison régulièrement. Si on n’est pas vigilant, on peut contracter ce virus et risquer encore plus notre vie déjà vulnérable avec un cancer», confie Marie-France Jean. Depuis sept ans, elle se bat contre cette malade diagnostiquée par un médecin au dispensaire. Tout bascule. Après une première intervention, s’enchaînent radiothérapie, chimiothérapie, effets secondaires entre autres.
Effectuant un suivi à l’hôpital de Candos, elle redouble de prudence face au Covid-19. «Lorsque vous partez en traitement ou êtes dans l’autobus, vous voyez souvent des personnes parler sans masque ni distanciation. Aussi, moi je m’enduis les mains de sanitizer et espace mon siège. Au-delà du réflexe, ces gestes sont devenus comme une seconde nature», déclare-t-elle.
Le coronavirus a bouleversé sa vie. Car en sus des traitements et interventions dont la dernière remonte à septembre 2020, elle s’interroge sur la vaccination contre ce virus. «J’ai une artère obstruée dans la tête et comme je viens d’être opérée, j’ai peur du vaccin. Je ne le ferai qu’après l’avis de mon médecin. En attendant, je dois maximiser sur les gestes barrières.»
Incertitude
Ce sentiment d’incertitude a longtemps hanté Mirella Méguel, traitée pour un cancer de l’estomac à l’hôpital. «Après un accident, j’ai développé des caillots sanguins. J’étais très réticente à dévoiler mon cancer au médecin, ne voulant pas accepter la maladie ni de traitement. Finalement, j’ai tout dit, ce qui m’a apporté un nouvel espoir», explique-t-elle.
Après de lourds traitements pour le cancer, cette patiente reprend vie petit à petit. «Chaque matin, il fallait se rendre au département de radiothérapie à Candos pour un cycle de 25 jours. En apprenant pour des patientes positives au Covid-19 au département que je fréquentais quotidiennement, ça vous fait froid dans le dos.»
«J’étais totalement perdue»
Immédiatement, la sexagénaire rembobine les images de ses passages à l’hôpital pour traquer tout risque de contamination auquel elle aurait pu s’exposer. Adhérant à des soins anti-coagulant contre les caillots sanguins et le cancer, sa tête fourmille de doutes sur la vaccination anti-Covid-19. «Certains médecins disaient que les patients cancéreux ne devaient pas être vaccinés. D’autres exhortaient à le faire. J’étais totalement perdue.»
Sa visite médicale au New Cancer Hospital en mars 2021 lui apporte enfin sa réponse. Son spécialiste lui recommande la vaccination et fait des démarches pour qu’elle y adhère au plus vite. Un soulagement pour cette patiente qui a complété sa deuxième dose vaccinale et a aussi été soumise à un test PCR qui s’est révélé négatif.
Le Dr Devi Tanooja Hemoo, consultant in charge au New Cancer Hospital, confirme d’ailleurs que les personnes cancéreuses ont plus de risque de développer des formes graves du Covid-19 puisque leur système immunitaire est affaibli face au traitement de chimiothérapie ou de radiothérapie. «Le risque de complications est plus important pour certains cancers d’ordre hématologique», déclare-t-elle.
Ainsi, une étude réalisée par deux universités britanniques montre que les personnes souffrant de cancer hématologique (leucémies, myélomes, lymphomes) sont plus vulnérables au coronavirus que d’autres patients cancéreux. Hélas, ces derniers peuvent nécessiter des traitements plus lourds comme la ventilation et les soins intensifs. Parallèlement, ceux atteints d’un cancer du poumon, pathologie souvent associée à des troubles respiratoires, ont un risque accru d’aggravation par l’infection au Covid-19.
Comparées aux femmes ayant un cancer du sein (type de cancer qui semble être le moins propice aux complications graves en cas d’infection au coronavirus), les personnes souffrant d’une leucémie courent un risque plus élevé de 57 % de développer une forme sévère de Covid-19. Ainsi, la vaccination est prioritaire pour les patients cancéreux, indépendamment de leur âge, poursuit-elle.
Traitement affecté
Comment le traitement est-il affecté si un patient cancéreux est positif au Covid-19 ? Pour la sécurité du patient, du personnel soignant et des autres usagers des centres oncologiques, l’initiation ou le retour au traitement de chimiothérapie ou de radiothérapie après un épisode de Covid-19 ne devrait pas être considéré tant qu’il n’y a aucune certitude que le patient est guéri et que le virus n’est plus présent.
Pour les patients nécessitant un traitement anti-cancéreux mais toujours positifs au Covid-19 de façon prolongée, la situation doit être discutée avec des experts, ajoute-t-elle. «Le retour au traitement ne devrait pas se faire avant 21 jours suivant le début du Covid-19. Il faut, pour cela, une absence de fièvre et symptômes depuis 48 heures et avoir deux tests PCR négatifs», avance-t-elle.
Et lors de la reprise du traitement, une attention particulière doit être portée pour repérer tout symptôme indiquant une résurgence du virus ou l’apparition d’une infection secondaire. «Les patients positifs au Covid-19 et qui nécessitent un traitement de radiothérapie sont traités en dernier et par la suite, l’appareil est désinfecté», précise-t-elle.
Plus de 6 000 Mauriciens vivent avec le cancer
Selon le Dr Devi Tanooja Hemoo, 1 700 patients suivent un traitement actif pour cancer, comme la radiothérapie et la chimiothérapie. 6,000 Mauriciens sont en suivi régulier pour cette maladie. 9 patients cancéreux ont été atteints de Covid-19 dont 3, en phase terminale sont décédés. Les autres sont guéris de la pandémie et continuent leur traitement pour le cancer.
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