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Parlement: du «Bolchoï» à «b** to l* do p*»
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Parlement: du «Bolchoï» à «b** to l* do p*»
L’injure lancée en pleine séance de l’Assemblée nationale mardi dernier, lors des débats sur le Mental Health Care (Amendment) Bill, occupe toujours les conversations alors que son auteur n’a pas encore été identifié. Depuis l’ère préindépendance jusqu’à nos jours, l’hémicycle a plusieurs fois été témoin de propos politiquement incorrects (ou «unparliamentary») dont voici un florilège…
Saisie record de drogue, intempéries et autres calamités ont été reléguées au second plan par le «gro zouré» proféré au Parlement cette semaine. L’affaire a pris tellement d’ampleur qu’elle a suscité des démentis, des enquêtes, mobilisé la police et fait pleuvoir une multitude de réactions. Cependant, même si l’identité de l’auteure de cette expression fort connue dans «nou langaz mama» fait toujours débat, ce n’est pas la première fois que nos honorables laissent libre cours à leurs connaissances en langage fleurie au sein de l’Auguste assemblée.
Post-indépendance : des joutes verbales de classe
Les piques et autres joutes verbales – c’est un euphémisme – ne datent pas d’hier. Les plus anciens se souviennent déjà qu’à l’ère pré-indépendance et même dans les années qui ont suivi mars 1968, les parlementaires usaient déjà d’un langage assez coloré. Les plus anciens évoquent toujours sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR), qui était généralement calme et affable, mais qui avait quand même estimé que les propos d’un de ses adversaires politiques étaient du bullshit en pleine séance parlementaire.
Ce qualificatif avait provoqué des interruptions – mot utilisé dans le Hansard (NdlR: document dans lequel sont retranscrits les travaux du jour) pour dire que les députés font du bruit. Le Chief Minister (le poste de Premier ministre n’existant pas encore) a été rappelé à l’ordre par le speaker d’alors, sir Harilal Vaghjee, et il a été sommé de retirer ses propos jugés unparliamentary. Ne se laissant pas démonter, SSR a répondu qu’il n’a pas dit bullshit mais plutôt Bolchoï, considéré par les connaisseurs comme le théâtre le plus prestigieux au monde. La réponse avait suffi pour détendre l’atmosphère. Les observateurs politiques affirment qu’à l’époque les députés étaient assez cultivés pour connaître le Bolchoï et apprécier l’astuce utilisée par SSR.
Ce n’était pas le seul incident qui a opposé SSR et le Speaker Vaghjee. Même si ce dernier était issu des rangs du PTr, dans un devoir de neutralité, il rappelait souvent le Père de la Nation à l’ordre. Il y a même une fois où le speaker a été contraint de menacer le chef du gouvernement d’un ruling contre lui. À voix basse, SSR avait murmuré «You can apply any damn ruling…» Il n’y a jamais eu de suspension pendant toute une session.
L’histoire de la dent en or avait aussi causé pas mal de jeux de mots. Nous étions toujours dans la deuxième moitié des années 70. Lorsque le rapport du Public Accounts Committee a été déposé, les parlementaires s’étaient rendu compte que le ministre sir Harold Walter s’était offert une dent en or lors d’une mission à New-York. Au frais du contribuable. Kader Bhayat, député du MMM, se rappelant du goût prononcé du ministre, qui était un ancien officier dans l’armée britannique, pour le corned-beef, avait déclaré qu’il pouvait encore entendre «a gold tooth rattling in a corned beef can».
Les «gro zouré»
Mais les choses n’ont pas toujours volé si haut. En 1976, le ministre Eliézer François, qui était un candidat battu du PMSD en 1967 et repêché comme Best Loser pour ensuite rejoindre le camp des rouges, était à l’origine d’un des incidents les plus spec- taculaires au Parlement. Un jour, lors d’un échange de propos assez musclé avec le député du MMM Krishna Lloyd Baligadoo, ce dernier a parlé de p****, connue par tout le monde dans le nord de Port-Louis. Au milieu du brouhaha, Paul Bérenger a franchi les sièges pour s’approcher du ministre Eliézer François, mais il a été stoppé par les parlementaires des deux camps. L’histoire ne dit pas ce qui se serait passé sinon… Toujours est-il que face au bazar, sir Ramesh Jeewoolall, le speaker, avait effectué un walk-out.
Bond en avant dans les années 90. Kishore Deerpalsing était le ministre de la Santé. Lors d’une séance parlementaire, il avait lancé des chapelets d’insultes à Dany Perrier, députée mauve de l’opposition et l’a même traitée de «gran p****». Cette fois-ci, personne n’a rien pu faire et le ministre a eu une claque retentissante – littéralement – de Jean-Claude Barbier. Les années se suivent et les choses n’évoluent pas. En 2008, c’est Nita Deerpalsing qui a été la cible des attaques. Pour défendre Rama Valayden, qui était l’Attorney General d’alors, la députée PTr avait lancé à l’attention des députés du MMM que Maurice est le seul pays où un meter reader peut devenir millionnaire. «Rod enn mari pou maryé li do», avait répliqué Paul Bérenger.
Nous sommes maintenant le 12 avril 2011. L’alliance PTr-PMSD-MSM est au pouvoir. Pendant que Vasant Bunwaree, ministre de l’Éducation, répond à une question, Showkutally Soodhun, ministre du Commerce et de l’industrie, avait traité un membre de l’opposition de fam. Françoise Labelle attire l’attention du Deputy Speaker, qui demande au ministre MSM de retirer ses propos. Au lieu d’obtempérer, Showkutally Soodhun en rajoute une couche en lançant : «Se enn kompliman pou ou sa.» Face à la situation, Nita Deerpalsing, qui était aussi dans les rangs du gouvernement, et Sheila Bappoo, qui occupait le poste de ministre de l’Égalité du genre, avaient pris position tout de suite et insisté pour que les mots soient retirés. «These kinds of words are not to be tolerated in this House», avait lancé Sheila Bappoo.
En 2014, l’alliance avait volé en éclats et le MSM était désormais dans l’opposition. Mahen Jhugroo avait posé une question à Sheila Bappoo, qui occupait à ce moment-là le portefeuille de la Sécurité sociale et les débats portaient sur l’école D.Y. Patil. À un moment, Mahen Jhugroo a demandé à la ministre qui était le directeur de l’établissement. «The Managing Director is someone else, if you mean it is my spouse! My spouse is not going to accompany me! Is the hon. Member going to accompany me?» avait répondu Sheila Bappoo sans détour. Le ‘member’ du MSM devait alors répliquer qu’il avait une «charmante épouse à la maison» et qu’il n’avait pas besoin d’accompagner un «poutou rassi»…
Plus près dans le temps encore, avant le «gro zouré» de cette semaine, un autre incident avait retenu l’attention le 23 juin 2020. Alors que le Dr Kailesh Jagutpal répondait à une question, les piques habituelles fusaient entre les deux camps. À un moment, Bobby Hurreeram, ministre des Infrastructures publiques, est sorti de ses gonds. Hors de lui, il a quitté sa place et a lancé : «Si to piti torpa, nwal CID» en gesticulant au milieu du Parlement. Avant cela, il a lancé «bouffon» au moins quatre fois, selon le Hansard.
Quant aux autres fois où bouffon, batiara, menter et autres roses verbales ont été lancées, on ne les compte plus…
«Cela peut constituer un contempt of parliament» dit Me Ajay Daby
Face à ce «gro zouré» dont personne ne veut assumer la paternité, ou plutôt la maternité, comment se passe l’enquête ? Me Ajay Daby, ancien speaker de l’Assemblée, donne des explications.
Selon lui, il faut avant tout que l’identité de la personne soit établie. Comment faire ? Me Ajay Daby explique que le système des micros du Parlement est équipé d’un système de brouillage. Même si plusieurs micros sont allumés, d’ordre général, il n’y a que le son de l’élu qui doit parler qui est capté. Dans le live de cette séance, dans l’intervalle où la phrase a été dite, trois voix, dont celle du Speaker, sont audibles.
Après avoir identifié l’auteure de la phrase – puisqu’on est d’accord qu’il s’agit d’une voix féminine, pas vrai ? – plusieurs options s’offrent au président de l’Assemblée. «Il peut demander à la personne de retirer ses propos et de présenter des excuses», explique-t-il. Mais l’affaire peut aller plus loin. «Le speaker peut juger qu’il y a eucontempt of Parliament et référer l’affaire au DPP.»
Ou encore, référer l’affaire à la police s’il juge que les propos tenus vont au-delà de la vulgarité et constituent de la violence verbale. Quant à celui ou celle vers qui le «gro zouré» était adressé, il ou elle peut porter plainte pour Breach of ICTA.«Toutefois, l’élue pointée du doigt dans cette affaire peut clamer l’immunité parlementaire», précise Ajay Daby
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