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Jean Claude de L’Estrac: «La base indienne d’Agalega: le bruit des bottes ?»
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Jean Claude de L’Estrac: «La base indienne d’Agalega: le bruit des bottes ?»
Le Premier ministre affirme qu’Agalega n’est pas une base militaire indienne, d’autres sources disent le contraire. Qu’en est-il vraiment ?
Entendons-nous d’abord sur les mots. Qu’est-ce qu’une base militaire ? C’est un site sur lequel sont construits des bâtiments et des infrastructures dédiés à une armée. Cela comprend souvent une piste d’atterrissage capable de recevoir des avions militaires et des facilités portuaires pour des navires de guerre. Ces équipements sont gérés par des militaires qui mènent des opérations extérieures.
Est-ce bien cela qui est prévu à Agalega ?
Exactement. En vertu de deux accords signés entre le gouvernement de l’Inde et celui de Maurice, un Memorandum of Understanding intitulé «Improvement in Sea and Air Transportation Facilities at Agalega Island», signé en 2015, et plus significativement, un Security Maritime Agreement tenu secret, signé en 2017, l’Inde dispose de facilités à Agalega qui lui donnent les moyens de renforcer considérablement ses moyens de reconnaissance maritime dans l’Ouest de l’océan Indien. Certains analystes militaires n’hésitent pas à dire que les travaux à Agalega ne sont pas – je cite – «sans rappeler les facilités que les autres nations opèrent, comme la base anglo-américaine de Diego Garcia». La présentation qu’a faite le Premier ministre au Parlement mardi, de travaux uniquement destinés à améliorer les conditions de vie à Agalega, cherche à occulter totalement la dimension militaire des nouvelles infrastructures.
Quelles sont ces facilités ?
Si le Security Maritime Agreement de 2017, en contrepartie d’une ligne de crédit de $500 millions, reste largement secret, la presse indienne, de même que des stratèges militaires, ont levé bien des voiles tant sur les travaux en cours à Agalega que sur la stratégie de l’armée indienne. On sait aujourd’hui que l’Inde construit une piste d’atterrissage longue de 3 000 mètres, rien à voir avec les besoins de la connectivité interîles. En fait, cette nouvelle piste sera capable de recevoir les nouveaux avions de patrouille maritime, des Boeing P-81, qui sont des avions de patrouille maritime et de lutte anti sous-marine. L’armée indienne vient de prendre livraison de six de ces avions, achetés des États-Unis. Elle en possède déjà près d’une vingtaine. La piste pourra accommoder également des B-737-900 et des Airbus 32, avions de transport militaire, de même que des avions de chasse Rafale achetés de la France.
La base comptera aussi un centre de communications et un transpoder, un système capable d’identifier des navires et qui reçoit et transmet des signaux. L’Inde construit également des facilités portuaires qui n’ont rien à voir avec les besoins des pêcheurs d’Agalega. Une étude de Lowry Institute en Australie estime que les travaux indiens en cours à Agalega coûteront environ Rs 3 milliards. Ce qui quand même est sans commune mesure avec les investissements américains à Diego Garcia.
Mais pourquoi Agalega, précisément ?
En raison de la position géostratégique de l’île, au cœur d’un océan Indien où l’Inde voit arriver avec appréhension la puissante marine chinoise. Agalega se trouve au milieu du Sud-Ouest de l’océan Indien, face aux Seychelles au nord, aux Maldives et à Diego Garcia à l’est, à Madagascar et la côte orientale africaine à l’ouest.
Pendant des décennies, l’Inde a considéré l’océan Indien comme «l’océan de l’Inde». Delhi voit sa prééminence menacée aujourd’hui par son rival de toujours. La Chine entend désormais déployer sa flotte sur les routes maritimes de l’océan Indien, arguant de la nécessité de protéger ses activités commerciales d’import et d’export et notamment ses importations de pétrole qui transitent par l’océan Indien. Les Indiens y voient une «intrusion» et une «menace» de containment. Ils se préparent au pire ; les Chinois aussi.
Il en résulte une course aux armements, à des partenariats militaires et à l’établissement de bases ou de facilités portuaires dans les pays du pourtour de l’océan Indien, et même à la constitution stratégique de stocks de carburant en prévision d’un conflit.
Pour faire face à la «menace» chinoise – le président Xi Jinping vient de lancer un mot d’ordre à son armée, «be prepared to fight», a-t-il dit – l’Inde s’est rapprochée des États-Unis avec qui elle a signé un large éventail d’accords militaires, notamment un Logistics Exchange Memorandum of Agreement en vertu de quoi les deux pays acceptent de donner accès à leurs facilités militaires à l’autre partie pour des besoins de ravitaillement notamment. C’est ainsi que l’Inde a accès désormais à Diego Garcia. Mais elle entend néanmoins garder une certaine autonomie, d’où la recherche de «bases» qu’elle veut gérer en toute indépendance.
D’où Agalega ?
Oui, une base aéronavale qui s’inscrit dans une stratégie connue sous l’acronyme SAGAR, pour Security and Growth for All in the Region, que le président Modi avait décrite lors de sa visite à Maurice en mars 2015. La participation active de Maurice dans cette stratégie implique que Maurice pourrait accueillir, dans le nouveau port d’Agalega, sur son territoire donc, des sousmarins nucléaires, en violation du Traité de Pelindaba que le pays a signé et ratifié.
En tout cas, le pays se trouve désormais au cœur de la rivalité Inde-Chine. Ce ne sera pas sans conséquence
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