Publicité

Rye Joorawon: «Je suis victime de ma popularité»

29 mai 2021, 21:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Rye Joorawon: «Je suis victime de ma popularité»

Rye Joorawon, le recordman en termes de victoires au Champ-de-Mars, a été entendu par le CCID en début de semaine. Il lui est reproché d’avoir enfreint la Quarantine Act. Auparavant, il a été entendu par l’ICAC par rapport à ses liens avec les Gurroby. Dans cet entretien, il revient aussi sur le décès de son ami Nooresh Juglall et aborde les difficultés des jockeys Mauriciens.

Est-ce vous qui avez demandé aux jockeys de faire une haie d’honneur avec vos cravaches pour rendre hommage à feu Nooresh Juglall, le 16 mai dernier ?
En tant qu’amis de Nooresh, qui a perdu la vie tragiquement, il était de notre devoir, à nous jockeys, et surtout en tant qu’humains, de lui rendre un vibrant hommage. Comme nous, il y avait des milliers de Mauriciens, qui ont participé à ses funérailles et accompagné le convoi mortuaire de sa résidence à Ste-Croix jusqu’à Cipaye Brûlé, en passant par le Champ-de-Mars. Je ne sais pas pourquoi la police n’a vu que les jockeys, qui sont censés n’avoir pas respecté la loi en vigueur et qui ont été interrogés. Pourtant il y avait des milliers de personnes à ces funérailles. Je me demande quel humain n’aurait pas assisté aux funérailles d’un de ses amis? Quant à la haie d’honneur, c’est un groupe de jockeys, qui a pris la décision de l’organiser.

Pourquoi avez-vous été le premier à être convoqué par la police?
Je me pose la même question. «Dan tou zafer Rye mem !» Et là, j’ai dû payer une caution de Rs 10 000 et signer une reconnaissance de dette de Rs 50 000. C’est très injuste.

Pensez-vous être une victime, surtout après votre convocation dans l’affaire de saisie record de drogue à Pointe-aux-Canonniers ?
Vous me donnez une occasion d’apporter une importante précision dans cette affaire de drogue. Quand j’ai été appelé à fournir une explication à l’ICAC, des journaux ont mis ma photo juste à côté d’un article, qui évoquait des saisies de drogue. La perception est que je suis mêlé à ce business parce que je connais les frères Gurroby. Pouvez-vous imaginer, un seul instant, comment ces articles m’ont causé du tort ? Aucun journaliste n’est venu vers moi pour me demander pourquoi j’ai été convoqué par cette institution. Pourquoi on n’a pas cherché à connaître toute la vérité ? Pour répondre à votre question, je pense que je suis victime de ma popularité. Je parle à tout le monde. Faut-il que je demande un certificat de moralité aux personnes que je fréquente? Vous, par exemple, je ne vous connais pas. Même si c’est votre ami qui a fait les présentations, c’est sans hésitation que je vous parle et ouvertement. Chaque fois qu’une personne me voit, elle me demande : «Rye ki position ? Tel cheval ena enn sans. Et mo dire wi li ena enn ti sans». Je ne refuse jamais de parler à quiconque.

Revenons à ce triste accident. Quelle en a été la cause, selon vous ?
Pour moi c’est un accident de courses hippiques. Il y en a eu plusieurs dans le passé, mais cette fois, cela a été fatal.

La piste y est-elle pour quelque chose?
Non, je ne crois pas. Cela fait 22 ans que je monte. Je n’ai rien à reprocher à l’état de cette piste, sauf le lieu où l’accident s’est produit. Parfois, il y a des problèmes avec des chevaux, qui se montrent capricieux lorsqu’ils traversant cette partie de la piste, qui est recouverte d’herbes.

Pensez-vous qu’il faille couvrir cette partie de la piste avec du gazon synthétique ?
Jamais! Avec le synthétique, le cheval glissera. Pour moi la solution, c’est d’interdire l’accès des véhicules au Champ-de-Mars. Mais je peux comprendre quelles en seront les conséquences. Dans aucun hippodrome où j’ai monté, il n’existe un tel problème.

Quelle est la solution ?
Que l’on construise un passage souterrain pour permettre aux véhicules d’entrer et de sortir du Champ-de-Mars.

Pensez-vous que cet hippodrome a fait son temps ?
Non. Cet hippodrome, qui date de plus de 200 ans, est unique. Il faut le préserver. Par contre, je suis pour la construction d’un hippodrome moderne, avec la possibilité que les chevaux aient plus de liberté en plein air et avec une piscine. Ils ne doivent pas voyager de Floréal à Port-Louis, notamment, pour des séances d’entraînement. Aujourd’hui, un cheval reste dans son box pendant 23 heures et il a seulement une heure pour respirer l’air frais et trotter sur une piste. Mais l’hippodrome du Champ-de-Mars doit être maintenu. On peut y organiser quelques courses et surtout l’utiliser quand l’autre est impraticable par mauvais temps.

Parlons de ce lieu qualifié par beaucoup comme le temple des ‘zougader’ et où la rumeur veut que l’on y blanchisse facilement de l’argent sale…
C’est faux. Pourquoi ne parle-t-on que du Champ-de-Mars quand on parle de ces manigances ? Et pas des casinos ou des paris de football ? C’est une mauvaise perception que beaucoup de personnes ont. Aujourd’hui, les paris sont contrôlés. On ne peut pas dépasser un certain seuil au risque d’être interrogé par les autorités.

Ne me dites pas qu’il n’existe pas de courses truquées où sont impliqués des jockeys?
Mais c’est le cheval qui gagne aux courses. Comment peut-on dire que tel cheval est un banker comme vainqueur alors qu’il ne se montre pas appliqué en course? Et si un jockey est soupçonné d’avoir mal monté un cheval, il risque de grosses amendes et une suspension. Et c’est le jockey, qui doit payer cette amende de sa poche, sauf s’il est attaché à plein temps à une écurie où il peut être aidé. Mais nous, jockeys mauriciens, nous sommes presque tous des freelancers. Et beaucoup de personnes ne savent pas combien nous gagnons.

Justement, parlez-nous de vos salaires ?
Pour piloter un cheval à un entraînement, on reçoit Rs 125. Si j’ai deux chevaux à entraîner, cela me fait Rs 250. C’est l’équivalent de mes frais de carburant quand je fais le trajet Grand-Baie-Port-Louis et vice-versa. Pour participer à une course, on reçoit Rs 2 400. Si on remporte une victoire, on obtient 4,5 % du stakes money. Faites un petit calcul. Si la prime est de Rs 160 000, vous saurez combien on gagne. Et savez-vous qu’on doit débourser Rs 5 000 par mois, pour être couvert par une assurance de la Mauritius Turf Club Sports and Leisure Ltd (MTCSL). De mon côté, j’ai souscrit à une assurance personnelle et chaque année, je dois trouver Rs 70 000. Est-ce cela un gros salaire ? D’autant plus que pendant plusieurs mois, il peut ne pas y avoir de courses, comme cela a été le cas durant ces dernières années. Il faut ajouter les sacrifices auxquels nous consentons comme se réveiller à 3 heures du matin pour venir au Champ-de-Mars.

N’est-ce pas à cause de telles rémunérations qu’un jockey peut «arranger» une course?
Vous savez, la tentation est là. Si nous étions bien payés, elle n’aurait pas existé. Mais comme nous sommes surveillés de près par les commissaires des courses, je ne crois pas qu’un jockey essaiera de se faire de l’argent facile. S’il est suspendu, il ne sera pas payé. Nous avons des familles à nourrir.

Que pensez-vous de la «guerre ouverte» entre la Gambling Regulatory Authority (GRA) et la Mauritius Turf Club Sports and Leisure Ltd (MTCSL) ?
J’aurais souhaité que tous les stakeholders, y compris les journalistes, travaillent ensemble pour faire progresser les courses hippiques, qui sont très appréciées du public mauricien et des étrangers. C’est un patrimoine que nous devons préserver.

Que peuvent attendre les turfistes de Rye Joorawon cette année ?
Je suis un des plus anciens jockeys mauriciens toujours en activité. J’ai été 11 fois champion local et j’ai même remporté le championnat des jockeys contre des professionnels étrangers. Je comptabilise 380 victoires. J’aurais voulu établir d’autres records. Cela dit, je resterai toujours ce Rye populaire, qui continuera à parler à tout le monde. N’en déplaise à certains!