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Mort de Kistnen: l’enquête judiciaire met la main sur le fameux Ravi

15 juin 2021, 08:45

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Mort de Kistnen: l’enquête judiciaire met la main sur le fameux Ravi

Yogida Sawmynaden a été acculé hier, lundi 14 juin, au tribunal de Moka face aux questions de Me Bhadain. La séance a aussi permis d’entendre pour la première fois le fameux Ravi, cité par Koomadha Sawmynaden. L’ancien ministre du Commerce revient ce mardi matin.

Roshi bhadain n’a pas attendu pour passer à l’attaque dès le début de l’audience, hier, lors de l’enquête judiciaire sur le meurtre de Soopramanien Kistnen au tribunal de Moka. On se rappelle que Yogida Sawmynaden avait affirmé vendredi qu’il était passé à son bureau les samedi et dimanche 17 et 18 octobre 2020 rien que pour allumer une lampe devant des icônes religieuses dans son bureau. Il est reparti avant de l’éteindre.

Or, lorsque Me Bhadain l’a confronté aux données prouvant que l’ex-ministre est resté dans les environs d’Ébène entre 10 h 30 et 12 h 30, ce dernier dit s’être rendu dans la région de Floréal pour acheter du pain et des gâteaux.

Roshi Bhadain l’a ensuite interrogé sur ses appels téléphoniques. Il faut savoir que l’avocat a eu tout le loisir d’étudier les relevés téléphoniques de Yogida Sawmynaden, plus tôt. «Avez-vous appelé un certain Ravi ?» Réponse du député : Non. Quand Roshi Bhadain lui donne le numéro, Yogida Sawmynaden se souvient mais dit que c’est un certain Subash. Mais on ne saura pas pour le moment s’il savait que cet ami de 16 ans s’appelle aussi Ravi.

Dans la région d’Ebène et Belle-Rose le 16 octobre

Toujours selon les relevés téléphoniques, l’ex-ministre semble avoir circulé dans la région d’Ebène et même vers Belle-Rose, le 16 octobre 2020, le jour de la disparition de Kistnen. Mais il maintient qu’il est resté à son bureau.

Yogida Sawmynaden a dû par la suite avouer qu’il a bougé de son bureau car sinon, les relevés n’auraient pas indiqué un changement de relais téléphoniques. Il conviendra alors qu’il s’est déplacé vers Belle-Rose, à Amma Shop, pour s’approvisionner en objets de prière.

Rires et murmures dans la salle. Ce qui n’est pas du goût du témoin qui proteste : «On ne peut pas rire à chaque fois que je parle de prière, comme vendredi.» Pourtant juste après, c’est lui qui va rire sous cape ou plutôt sous masque. Comme quand Roshi Bhadain lui demande pourquoi ce n’est pas son garde du corps qui est parti faire ses achats.

Ou alors, lorsque Bhadain lui demandera pourquoi il a appelé Ravi le 16 octobre. «J’ai l’habitude de l’appeler et je ne sais pas pourquoi», a déclaré le témoin.

Ravichand Leelah et le sang de poulet

On apprendra par la même occasion que le désormais illustre Ravi, de son nom complet Ravichand Leelah, est un prêtre qui est responsable d’un kalimaye mais qui a, dans le passé, aussi été inquiété dans l’enquête sur le meurtre de la mère d’un politicien.

Selon Roshi Bhadain, la femme avait disparu et son corps avait été retrouvé six jours plus tard dans un champ de cannes. Et le sang retrouvé dans la voiture de Ravi serait celui de poulet, aurait conclu la police à l’époque.

Les questions commencent alors à pleuvoir sur le mobile de l’assassinat présumé de Kistnen. Et les réponses du témoin Sawmynaden ne varieront pas. Kistnen voulait-il dénoncer Yogida Sawmynaden au Premier ministre (PM), le 1er octobre ? ; Kistnen voulait-il rencontrer le même Pravind Jugnauth le 16 octobre lors des funérailles d’un activiste du MSM, connu comme Garçon ? ; a-t-il reçu un appel du PM le même jour à 10 h 52 ? ; était-il au courant que Kistnen allait le dénoncer à l’ICAC ? «Non» ou «pas au courant» seront les réponses de Yogida Sawmynaden.

Ce qui étonnera encore plus, c’est que l’ex-ministre dit ne pas être au courant des allégations faites par Navin Ramgoolam lors d’un meeting à Kewal Nagar. «Je n’écoute pas ce que l’opposition raconte sur moi.» Pour rappel, Ramgoolam avait affirmé que Kistnen lui aurait fait part de l’obligation de verser 50 % de commission à Yogida Sawmynaden pour tous les contrats qu’il obtenait grâce aux «mots touchés» par l’ex-ministre.

Kistnen aurait aussi informé Ramgoolam de l’affaire des 1 200 Bangladais qui auraient voté lors des élections générales de 2019. Et Kistnen les aurait même personnellement véhiculés vers les centres de vote au no 8.

«Complot politique»

«Complot politique», sera la réplique de Yogida Sawmynaden. Autre révélation de taille, la concubine de Ravi aurait bénéficié d’un emplacement dans le bâtiment de Sawmynaden à la rue Mère Barthélemy, Port-Louis.

C’est à ce moment précis que Me Azam Neerooa, représentant du Directeur des poursuites publiques, s’est mis debout pour demander à la magistrate que le témoin Ravi soit convoqué toutes affaires cessantes «avant qu’il ne soit trop tard». Il s’est dit aussi surpris que la police n’ait pas enquêté dans cette direction.

La magistrate ordonnera aussitôt la convocation du policier en charge de l’enquête Kistnen, de Ravi et de Kiran Gokhool de Mauritius Telecom.

Comment les contrats sont alloués aux petits copains ?

Alors que l’ex-ministre avait affirmé que Kistnen utilisait Sam Building à la rue Mère Barthelemy, comme adresse pour les compagnies Rainbow construction & Final Cleaning sans qu’il n’en soit au courant, Me Bhadain l’a, hier, confronté à plusieurs correspondances de ses compagnies avec l’adresse de la rue Mère Barthelemy. Yogida Sawmynaden a maintenu qu’il n’en savait rien.

On a appris par la même occasion que Kistnen avait servi une mise en demeure à Metex, compagnie appartenant à Ravissen Naidoo, autre ami d’enfance de Sawmynaden, pour une dette de Rs 6,9 millions ; Rs 4,5 millions était aussi dues à Rainbow Construction par Clear Ocean LTD pour le projet de Pomponette ; Rs 4,6 millions facturées par Rainbow Construction au conseil de district de Moka pour la construction de drains sous l’Emergency Procurement. Toujours sous cette procédure, Rs 2,6 millions pour un autre contrat de construction à Moka a été alloué en pleine campagne des élections 2019.

«Vous n’avez pas juste touché un mot pour que Kistnen obtienne ces contrats», lui fait remarquer Me Bhadain : «Vous avez même préparé ses lettres.» Je les ai juste corrigées, répond Yogida Sawmynaden. Et lorsque l’avocat lui montre des corrections que Kistnen a effectuées, l’ex ministre est resté sans voix.

Un ministre qui corrige des lettres

La magistrate Vidya Mungoo-Jugurnath intervient alors : «Vous êtes ministre et vous corrigez des lettres ?» Réponse : «Même ministre, je demeure un citoyen qui aide ses amis.» La magistrate le reprend : «Pourtant, l’anglais de Kistnen est excellent !» Rires dans la salle.

Et les autres questions de la magistrate suivent : «Mais pourquoi vous avez dit que vous n’avez jamais aidé Kistnen dans ses démarches auprès du gouvernement ? Comment peut-on croire que vous ne l’aidiez pas en corrigeant ses lettres ?»

Et lorsque Me Bhadain revient à la charge avec un e-mail échangé entre un fournisseur de Covid Test Kits, Sailesh Mathuriah, et Yogida Sawmynaden lui-même, celui-ci dira que c’est Kistnen qui a donné son adresse e-mail au fournisseur et que lui, il ne faisait que «forward» les messages reçus vers le ministère concerné, juste pour rendre service.

Enter le fameux Ravi

Après la pause déjeuner, place au Ravi, que tout le monde recherchait et attendait après les révélations de Koomadha Sawmynaden lors de sa comparution en début d’année. Le vieil homme a tenu à rappeler d’abord qu’il s’appelle Subash mais aussi Ravichand et non Ravi. Où était-il les 14, 16, 17 et 18 octobre 2020 ? lui demande Me Neerooa.

«À la maison ou en prières» car monsieur est très pieux et s’occupe d’un kalimaye à Beaux Songes – C’est là que l’ex-ministre avait dit s’être rendu le 17 octobre – et d’un mandir à Palma.

Il reconnaît cependant avoir été arrêté en 2001 pour le meurtre présumé de la mère d’un Private Parliamentary Secretary, dont le corps avait été retrouvé dans un champ de cannes à Morcellement St-André.

Oui, il venait de parler à Yogida Sawmynaden il y a quelques jours de cela et il lui parle souvent. De quoi ? s’interroge Me Neerooa. «De prières», répond le témoin. Et pourquoi Yogida Sawmynaden l’a-t-il appelé quatre fois le 16 octobre ? «Pour l’organisation de prières.»

La police exaspère

Oui, sa concubine a un snack dans le bâtiment de l’ex-ministre à Port Louis, mais depuis trois mois seulement. À une question de Me Bhadain, on apprendra aussi qu’il s’occupe d’un terrain à St-Martin pour le compte de Yogida Sawmynaden, qui le loue en bail. On ne sait pas si c’est un terrain de l’État.

Sa fille a obtenu un emploi à la poste mais sans l’intervention de l’ex-ministre, jure Ravi. Et le sang retrouvé dans sa voiture en 2001 ? «Du sang de cerf.» Pas de poulet. Après tous ces échanges, la magistrate ordonne à la police de prendre sa déposition, qui aurait dû être prise depuis longtemps, signale-t-elle à Vikash Seebaruth, en charge de la Major Crime Investigation Team.

Les réponses évasives de l’enquêteur

Passant à la barre donc, l’ASP Seebaruth, policier en charge de l’enquête, finira par agacer la magistrate après ses réponses évasives à Me Azam Neerooa. Et quand elle lui demande pour quelles raisons l’enquête tarde, pourquoi le relevé téléphonique de Yogida Sawmynaden n’a été obtenu que vendredi dernier et surtout pourquoi la police n’a pas interrogé Ravi depuis tout ce temps, le policier dira, un air las, il est vrai : «On est débordé.» Ou «on vérifiait les alibis» ou encore «c’est peut-être une autre unité de la police qui s’en est chargée.»

La magistrate n’a pu s’empêcher alors de s’écrier: «C’est un service déplorable ! Vous faites preuve d’un laxisme incroyable.» Réponse de Seebaruth : «Euh Euh.» Après un court interrogatoire par Me Rama Valayden, on apprendra que c’est probablement un seul enquêteur qui s’occupe de l’affaire Kistnen et que Seebaruth a oublié de saisir l’IPad de l’ex-ministre…

Cette prestation du policier a provoqué une lassitude visible chez les avocats. Me Azam Neerooa se prendra la tête à deux mains, Me Roshi Bhadain se retournera d’un air découragé en jetant son stylo avec force. Il nous dira après qu’avec une police comme ça, il y aura toujours des crimes et des fraudes.