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Échangeur à Phoenix et pont de Sorèze: choix et frais de consultants suspects
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Échangeur à Phoenix et pont de Sorèze: choix et frais de consultants suspects
L’utilité de ces titanesques et coûteux projets est régulièrement remise en question car il est connu que les bouchons ont la fâcheuse tendance à être transférés plus loin. De plus, avec les difficultés économiques du moment, on se demande quelle est l’urgence de ces investissements. C’est sans parler de la défiguration par ces masses de béton du paysage censé être paradisiaque aux yeux des touristes. De plus, lorsque l’on apprend le coût, c’est encore plus scandaleux, nous dit Osman Mahomed. Mais ce dernier est encore plus révolté sur l’opacité autour des «consultancy fees» pour ces deux projets.
Dans son discours sur le Construction Industry Development Board (Amendment) Bill de vendredi dernier, le député travailliste et ingénieur de formation a parlé de la Korea Expressway Corporation (KEC) dont les services ont été retenus à la suite de décisions du Conseil des ministres du 1er avril 2016 et du 21 octobre 2016, c’està- dire sans passer par des appels d’offres. Bien que le financement des projets ne provienne pas de la Corée du Sud mais des fonds propres de l’État mauricien, le contrat de Rs 500 millions pour les services de consultants a été alloué sous le mode Government to Government (G2G), c’est-à-dire, en court-circuitant les procédures habituelles.
Sollicité, l’ancien ministre des Infrastructures publiques, Nando Bodha, a été très coopératif. Il affirme qu’il y a bien eu des appels d’offres, «une expression of interest (EOI) lancée le 16 juillet 2015 de même que deux requests for proposals (RFP), séparées, datées du 13 octobre 2015 et du 27 janvier 2016 respectivement, lancées par la Road Development Authority (RDA) pour retenir un consultant indépendant. Ce dernier aurait pour tâche la gestion de l’exercice d’appel d’offres relatif à l’embauche d’un engineering & design contractor pour le projet Dowlut-Jumbo Phoenix. Cependant, pas un seul consultant qualifié n’a répondu à l’exercice».
Quid du pont Sorèze-Coromandel ? L’ex-ministre nous informe par la suite que les services de consultants couvraient aussi ce projet et ceux de tunnel sous la montagne des Signaux et la Ring Road… Ces consultants coréens sont-ils si généreux ? Pourquoi aucun autre appel d’offres n’a été lancé après l’échec des trois premiers ? Réponse : «Nous avions déjà perdu une année en attendant les procédures ayant trait aux trois exercices d’appels d’offres pour trouver un consultant. Le Public Sector Investment Programme (PSIP) du ministère des Finances avait déjà identifié des fonds pour la mise en application de ce projet et le Conseil des ministres avait décidé qu’il fallait aller de l’avant, sans délai additionnel, étant donné le besoin urgent de décongestionner les routes et éventuellement diminuer les pertes économiques y relatives.»
Diminuer les pertes économiques en investissant Rs 5 milliards ? Donc, c’est le Conseil des ministres, cette entité qui n’a pas de visage et où les décisions sont prises collectivement, qui a décidé qu’il «fallait aller de l’avant». Comment aller de l’avant ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Nando Bodha nous explique que la Public Procurement Act (PPA) n’autorise pas le gouvernement à choisir ou à sélectionner un consultant ou opérateur spécifique et nous n’avions pas eu de soumissionnaires – ni compagnies locales, ni partenariat avec des étrangers. L’autre possibilité que la PPA autorise, dit Bodha, «était d’avoir recours à un accord G2G et c’est précisément ce qui a été fait entre la RDA et la KEC».
Qui a choisi la KEC ? Le gouvernement sud-coréen, nous dit l’ex-ministre… C’est donc le gouvernement coréen qui a sollicité le gouvernement mauricien, pas l’inverse, alors que Bodha nous avait dit précédemment qu’il a visité la Corée. Ce qu’a d’ailleurs confirmé Min Jeong de la direction de KEC. À cela, Nando Bodha rétorquera : «J’étais en visite officielle.» Donc, pour parler de tout, sauf de KEC. Le fait que la belle-fille de l’ancien directeur de la RDA, Claude Wong So, soit Coréenne n’est-il pour rien dans le choix de ce pays et de cette firme ? Réponse de l’ancien ministre : «Non...»
«Due Diligence Committee» à la place du CTB
Donc qui a approuvé l’offre de KEC ? Selon Nando Bodha, «un Due Diligence Committee a été mis sur pied par le Conseil des ministres […] Parmi eux, des représentants du State Law Office (SLO), du Procurement Policy Office (PPO), de la RDA, de la Traffic Management and Road Safety Unit (TMRSU) et du ministère des Infrastructures publiques. Ensuite, […] le High-Powered Committee (HPC), établi par la PPA, et comprenant le Secretary to Cabinet, le Financial Secretary et le Solicitor General a analysé les retombées du Due Diligence Committee et soumis ses recommandations au Conseil des ministres pour une décision finale». Le rôle de ce comité est donc crucial et ses membres choisis par la même figure abstraite qu’est le Conseil des ministres.
Rs 500 M (ou Rs 328 M) en frais de consultants !
Osman Mahomed, toujours dans son discours de vendredi dernier, trouve ces frais trop élevés – 10 % du chiffre du projet – alors que dans un projet G2G, on s’attendrait à un meilleur «deal». «When one ought to expect a G2G agreement to benefit the country, the exact opposite has occurred here.» Rappelons que Bobby Hurreeram, dans son discours mardi, n’a point touché ce sujet. Quid du prix ? Nando Bodha ne se rappelle pas trop. «Autant que je m’en souvienne, le contrat octroyé à la KEC était pour la somme fixe de USD 10.833 M, soit Rs 328 M à l’époque et, donc, pas Rs 500 M.» Qu’est-ce qui a causé cette soudaine inflation ? Notre question au ministre Bobby Hurreeram est restée sans réponse sur le prix final du consultant.
Pour Nando Bodha, «cette somme représentait 7,7 % du coût total estimé du projet. À savoir que KEC nous avait accordé une remise de plus de Rs 100 millions. Le contrat comprenait trois composantes : (a) Engineering & Design ; (b) Project Management & Supervision ; and (c) Defects Liability pendant une année, des études sur le trafic et des analyses géotechniques ainsi que tous les coûts liés aux voyages et à l’hébergement du personnel.» Personnel qui en fait ne serait composé que de cinq à six experts coréens, nous dit-on à la RDA. «À titre de comparaison», continue Nando Bodha, «les taux internationaux pour des contrats semblables dans la région, selon les normes du manuel FEMA, sont à hauteur de 12 % à 15 % du coût total du projet. Le prix de KEC représentait donc à peu près la moitié de la référence des coûts pratiqués à l’échelle internationale.»
Vu qu’aucun candidat approprié ne s’est qualifié aux appels d’offres de 2015 et 2016, on ne saura jamais si le prix de KEC est raisonnable ou pas, car impossible à comparer aux autres soumissionnaires. Selon des ingénieurs locaux, cependant, le coût des consultants pour le pont Dowlut ne serait que de Rs 50 millions. Osman Mahomed se demandait au Parlement si ces consultants seraient toujours là, en cas de découverte de défauts de construction après la garantie, s’il y en a une. «What will happen if tomorrow something goes wrong. One surely knows the difficulty in laying hands on a foreign consultant, once the project is over.» Lorsque nous lui faisons savoir que la garantie contre des défauts de conception n’est valable que pour une année, Osman Mahomed est surpris. Pour lui, en tout cas, il faut sérieusement réfléchir à imposer des appels d’offres même pour les projets au financement G2G, que ce soit pour la construction ou le choix de consultants dont le coût est parfois énorme. Il nous rappelle le projet de Metro Express et celui du complexe sportif de Côte-d’Or.
Astuce pour échapper au PPA
Nando Bodha n’a pas tari d’éloges sur la firme coréenne. «KEC compte parmi les firmes les plus douées et expérimentées du domaine de la construction dans le monde. KEC est détenue à hauteur de 100 % par le gouvernement (à l’instar de la RDA). Elle opère sous l’égide du ministère des Infrastructures routières et du transport. Le Due Diligence Committee a pris note du bilan impressionnant de KEC et de ces engineering contractors (Cheil Engineering and Kyongdong Engineering).» Cependant, on ne comprend pas pourquoi la RDA et Nando Bodha se sont adressés à KEC alors que cette dernière n’est qu’une institution gouvernementale comme la RDA. Pourquoi ne s’est-on pas adressé directement à Cheil Engineering et Kyongdong Engineering, si ce n’est un autre ? Le prix n’en serait-il pas moins ? Un ingénieur du privé nous fournit une explication : «C’est peut-être juste pour qualifier le deal de G2G et ainsi échapper au PPA.» Si c’est vrai, chapeau à l’artiste qu’est Nando Bodha, qui maintient que toutes les procédures ont été suivies. «Le design & engineering du projet Dowlut a été soumis par KEC. En ligne avec les termes standards et conditions de n’importe quel accord G 2G, le contractor peut déléguer une partie des tâches qu’il doit accomplir à un partenaire ou une sister company mais assume pleinement la responsabilité et est accountable par rapport aux travaux. Donc, je suis certain que le design & engineering ont été faits selon les termes de l’accord G 2G.»
Conception sous-traitée et conception à la poubelle
Mais il y a plus… Pour le pont Sorèze-Coromandel, non seulement KEC aurait sous-contracté le design, mais le design effectué et payé aurait été mis à la poubelle. Le constructeurTransinvest-GCC-Bouygues n’était pas d’accord avec la conception coréenne et a dû en refaire une autre. Payée par la RDA ? Si oui, a-t-on réclamé à KEC et reçu un remboursement ? Réponse de Nando Bodha, toujours pas sûr de lui : «À ma connaissance, il n’y a pas eu de paiement additionnel pour le final design qui est basé sur la conception et le design détaillé de KEC.»
Comment se débarrasser de soumissionnaires ?
Les appels d’offres concernaient-ils les deux projets de ponts – Phoenix et Sorèze – de sorte que, si un soumissionnaire n’est pas apte à exécuter le projet de Sorèze mais apte pour le projet Dowlut, il sera exclu des deux projets ? À cela, Nando Bodha nous invite à contacter la RDA, qui nous a référé au ministre actuel des Infrastructures publiques. Contacté, l’attaché de presse de Bobby Hurrerram ne nous a pas répondu. Il a d’ailleurs bloqué notre journaliste sur WhatsApp.
Quelle amélioration pour la circulation ?
<p>Une étude d’impact sur la circulation routière a-t-elle été effectuée ? Si oui, par qui ? avonsnous demandé à Nando Bodha. <em>«Oui, autant que je sache, plusieurs études ont été entreprises. Une a été faite par M. Maynard, par le consortium PLAN – c’était par l’ancien gouver nement avant 2014 – qui avait proposé de construire le Dream Bridge, de même que le rond-point de Phoenix et les projets A1-M1. Ensuite, des études ont été réalisées par KEC et la TMRSU, ou alors par les deux entités ensemble.»</em> La firme choisie comme consultant pour le projet qui fait elle-même l’étude d’impact ? On aura tout vu !</p>
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