C’est un document inédit dans le scandale Angus Road. «L’express» est en présence d’une copie de la déposition d’Anil Nemchand, exemployé de Bel Air Sugar Estate, consignée à l’ICAC en 2014. Dans une autre déposition en 2011, ce témoinclé s’était déjà longuement étalé sur les «property dealings» du Premier ministre à Angus Road. Mais celle de 2014 révèle un élément-clé: en payant Rs 20 millions pour un terrain à Angus Road, Loganaden Govinden n’a même pas exigé un bordereau…

«Eski ti fer bordro pou acha térin de Rs 20 millions ?» demandent le chef inspecteur (CI) Chung Yen de l’Independent Commission against Corruption (ICAC) et le Senior Investigator Seewooduth, le 21 avril 2014 à Anil Nemchand (photo). La réponse de l’employé de Bel Air Sugar Estate : «Non. Pa ti fer okenn bordro. Kan Loganaden Govinden ti vers larzan lor kont Misié Rountree, li pa ti démann pou fer enn bordro ek de mem nou koté. Tou sa inn baz lor konfians.»

Ces échanges qui sont documentés dans un rapport officiel du CI Chung Yen soumis au directeur général de l’ICAC révèlent deux faits importants: d’abord que Loganaden Govinden n’a pas exigé un bordereau. Ce document est un avant contrat qui doit définir les modalités de vente ou encore sécuriser le bien pour que le vendeur ne puisse pas vendre à un tiers en attendant la préparation du contrat d’achat par le notaire de l’acheteur.

Or, selon Nemchand, l’homme qui s’occupait de toutes les transactions immobilières de Bel Air Sugar Estate, Govinden a payé Rs 20 millions en 2001 sans même demander un bordereau. «C’est beaucoup de risque pour beaucoup d’argent», commente un notaire que nous avons sollicité. Autre élément crucial que révèle cette déposition, Loganaden Govinden, toujours selon Nemchand, n’a pas versé l’argent sur le compte de Bel Air Sugar Estate, mais plutôt sur celui de son actionnaire, Patrick Rountree. C’est l’un des reproches de Roshi Bhadain à ce deal. «Bel Air Sugar Estate ki vandé, kas versé dan kont Missié Rountree dan enn lot péi ?», s’est-il toujours insurgé.

La suite de l’histoire (selon la version de Pravind Jugnauth) on la connaît: Loganaden Govinden a laissé ses Rs 20 millions dormir pendant sept longues années sur les comptes de Patrick Rountree avant finalement de décider en 2008 qu’il n’achèterait pas. Il a ainsi, toujours selon la version de Pravind Jugnauth, cédé ses droits d’acheteur – qu’il n’avait techniquement pas puisqu’il n’y avait pas de bordereau – à Pravind Jugnauth qui lui a remboursé ses Rs 20 millions entre 2008 et 2013.

Sauf que Roshi Bhadain a montré un document qui jette un sérieux doute sur cette version de Pravind Jugnauth. Dans un document rédigé par un arpenteur-juré, Pravind Jugnauth se positionnait comme acheteur sur le terrain dès 2004. Or à l’époque, Govinden n’avait pas encore décidé de ne pas procéder à l’achat (selon les propres dires de Pravind Jugnauth) et ses Rs 20 millions dormaient depuis trois ans sur les comptes de Rountree…

Comment Pravind Jugnauth a-t-il payé pour le terrain de rs 7 millions?

Le terrain de Rs 20 millions n’est qu’une partie des zones d’ombre entourant l’achat des terrains d’Angus Road par Pravind Jugnauth. Une autre portion valant Rs 7 millions reste minée de questions. Arvin Boolell a allégué que Pravind Jugnauth a procédé à des paiements conséquents en cash et il avait même fait circuler des reçus au nom du Premier ministre. Or, Pravind Jugnauth a allégué, lors d’une conférence de presse de laquelle il a exclu l’express, que ces reçus sont faux. La question qui en découle est celle-ci : si les reçus sont faux, comment a-t-il donc payé ?

L’express avait posé la question au Premier ministre le 29 novembre dernier. Ce jour-là, le service de presse de Pravind Jugnauth nous avait répondu que «le point de vue du Premier ministre sera dans la plainte qui sera logée en cour». Or, dans la plainte logée, Pravind Jugnauth n’explique pas comment il a payé ces Rs 7 millions. Quand l’express a fait ressortir cela à ses lecteurs, l’avouée de Pravind Jugnauth a répondu via un communiqué pour expliquer que ces détails seront communiqués si l’express fait une demand of particulars dans le procès qui lui est intenté. C’est peut-être la plus longue partie de cache-cache de l’histoire…