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Air Mauritius: Redressement adopté mais pas à l’unanimité
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Air Mauritius: Redressement adopté mais pas à l’unanimité
Nouveau mandat pour Hajee Abdoula et Gokhool
The show goes on. Le tandem Sattar Hajee Abdoula et Arvindsingh Gokhool rempile. Cette fois-ci comme administrateurs de l’acte (deed). Un acte, qui lie le transporteur national, ses créanciers, ses administrateurs et actionnaires, et les administrateurs de l’acte. Comme les créanciers n’ont pas décidé de nommer quelqu’un d’autre lors de la Watershed Meeting, le duo de Grant Thornton devient automatiquement les Deed Administrators.
Des avisés du dossier avaient vu juste. Le Deed of Company Arrangement (DOCA) proposé par les administrateurs Sattar Hajee Abdoula et Arvindsingh Gokhool pour éviter la mise en liquidation d’Air Mauritius (MK) a été adopté à l’issue du vote des créanciers lors de la Watershed Meeting tenue mardi, avec extension du suffrage jusqu’à 11 heures, hier. À 16 heures, les résultats étaient déjà connus.
Si les deux premières catégories, A et B, à savoir les six bailleurs d’exploitation d’avions et les quatre hedge counterparties respectivement ont voté à l’unanimité pour l’injection d’un prêt de Rs 12 milliards du gouvernement dans la société étatique, la catégorie C est, elle, partagée.
Dans cette classe, qui regroupe 2 165 créanciers, dont des employés, tour-opérateurs, compagnies d’assurances, entre autres partenaires, 81,7 % en nombre, représentant 99,5 % en valeur, ont voté pour le DOCA. Et 17,8 % en nombre, soit 0,5 % en valeur, ont opté pour la fin de l’administration alors que 0,4 %, soit 0,1 % en valeur, ont voté pour la mise en liquidation du transporteur national. Quoi qu’il en soit, la majorité requise pour l’exécution du DOCA est là.
Cet acte, une fois signé par la société et les administrateurs, constituera le Deed of Company Arrangement conformément à la Mauritius Insolvency Act 2009. Rappelons qu’avec l’adoption du DOCA, les créanciers seront remboursés comme suit avant le 31 octobre : catégorie A : 35 % de leurs réclamations, catégorie B, 60 % et C, 50 %.
Dans leur rapport, Sattar Hajee Abdoula et Arvindsingh Gokhool font ressortir qu’un total de Rs 9,5 milliards (sous réserve des conversions de devises) sera nécessaire pour financer ces remboursements. Ce montant n’inclut pas les fonds supplémentaires nécessaires à la poursuite des opérations de MK, pour lesquelles un montant de Rs 2,5 milliards a été provisionné par le gouvernement.
Le prêt sera accordé par l’intermédiaire d’une entité appartenant à l’État pour effectuer les paiements aux créanciers et financer les dépenses de la société, engagées pendant l’administration. Toujours selon le rapport, le 31 octobre, tous les montants non réclamés ou non résolus seront alors transférés dans un trust pour une période d’un an, au cours duquel les paiements seront effectués aux créanciers. MK sortira alors de la Deed Administration le 1er novembre 2021.
DOCA, comment ça va fonctionner ?
Le Deed of Company Arrangement (DOCA) doit être signé par la société après l’approbation du conseil d’administration et les administrateurs de l’acte, soit Sattar Hajee Abdoula et Arvindsingh Gokhool, dans les 21 jours suivant l’assemblée des créanciers. Une fois signé, le DOCA lie la société, ses créanciers, ses administrateurs et actionnaires, ainsi que les administrateurs des actes et entrera en vigueur à la date à laquelle toutes les conditions seront remplies. Aux termes d’une lettre de financement, le gouvernement, par l’intermédiaire d’une entité publique, doit avoir mis à disposition une facilité d’un montant au moins égal au montant total à payer en vertu des clauses 3.5.1 à 3.5.4 du DOCA avant le 1er octobre 2021. Avant l’expiration du DOCA, les créanciers ne seront pas autorisés à entamer ou poursuivre une procédure ou un processus d’exécution à l’encontre de MK concernant leurs créances sur la société, sauf autorisation de l’administrateur des actes ou du tribunal. Le DOCA sera contraignant pour tous les créanciers de MK, bien qu’un créancier ait le droit de demander au tribunal d’y mettre fin, conformément aux articles 273 ou 274 de la loi.
Comeback de CAPA
Alors que les yeux étaient rivés sur l’assemblée des créanciers, en coulisses, d’autres choses se tramaient. Il nous revient que Kapil Kaul, le numéro un du Centre for Asia Pacific Aviation India (CAPA) est à Maurice. Il a déjà eu des rencontres à haut niveau, du côté d’Airport Holdings en l’occurrence. Les services CAPA auraient été à nouveau retenus pour la gestion de MK. Oui, l’on parle du même CAPA, qui avait recommandé, depuis 2019, un business model ou plutôt un plan de transformation, comprenant notamment la diversification de MK et la création d’un écosystème susceptible d’absorber les pertes liées à la volatilité des prix du carburant, entre autres facteurs, qui plombent la capacité du transporteur national à dompter ses coûts. Exactement ce dont on est témoin depuis la participation de MK dans l’actionnariat de la Mauritius Duty Free Paradise, puis dans celle d’Airports of Mauritius Ltd dans l’actionnariat de MK, sans compter la réadaptation de la flotte avec la vente de quatre de ses 13 avions pour Rs 273 millions durant l’administration volontaire, pour ne citer que ceux-là.
Réactions
Sattar Hajee Abdoula : «... des débats passionnés d’opérateurs expérimentés et de néophytes»
«Nous sommes soulagés et heureux de l’issue du vote des créanciers, qui vient démontrer leur confiance dans notre plan de redressement. Cette administration a donné lieu à des débats passionnés, tant de la part d’opérateurs expérimentés que de néophytes. Elle a été l’une des expériences les plus laborieuses mais aussi des plus enrichissantes, sachant que nos décisions ont des répercussions non négligeables. En tant qu’administrateurs, nous sommes restés concentrés sur la tâche à accomplir pour que la compagnie puisse poursuivre ses activités à court terme et rester viable à moyen terme et au-delà. Le fait qu’une compagnie aérienne ait survécu à la pandémie de Covid-19 témoigne de l’engagement et des sacrifices consentis par les différentes parties prenantes de l’entreprise. Avec le choix du DOCA, la société dispose désormais d’une base commerciale plus solide pour faire face aux défis qui l’attendent.»
Megh Pillay, ancien CEO d’Air Mauritius : «Dénouement prévisible mais pas de ‘‘rescue plan’’»
«Ce dénouement était prévisible depuis la sortie du DOCA, même s’il ne contient qu’une restructuration de la dette par un prêt de l’État. On n’a pas vu de rescue plan opérationnel permettant à une MK allégée de reprendre son envol. Les Rs 9,5 milliards prêtées par l’État iront presque tout de suite aux créanciers pour honorer les sommes dé- jà dues avant l’arrivée des administrateurs, le 22 avril 2020. Reste à savoir si la perte de Rs 1,7 milliard sous leur gestion au 31 août 2021 sera couverte par le prêt additionnel de Rs 2,5 milliards promis. En temps normal pré-Covid, les dépenses opérationnelles de MK s’élevaient à plus de Rs 20 milliards par an. Ainsi, toutes proportions gardées, il ne resterait presque rien à MK comme working capital. L’État aurait dû prêter Rs 12,3 milliards au lieu de Rs 12 milliards et garder intacte la flotte. Ces quatre avions, en parfait état de marche et d’entretien, appartenant à MK, sont partis pour moins de Rs 290 millions. Ils étaient économiquement exploitables sur plu- sieurs bonnes années, permettant des coûts d’opérations très bas. Avec ces appareils, MK aurait pu redécoller en toute confiance. Il ne lui reste, malheureusement, que des avions coûtant très cher à opérer. La sagesse a prévalu, même tardivement, car MK réprésente beaucoup pour l’économie mauricienne.»
Shezan Laulloo, ex-président de la MALPA :
«J’ai un sentiment un peu mitigé envers tout ça. D’une part, c’est un peu un soulagement car l’adoption du DOCA indique que l’administration, qui a engendré 18 mois de souffrance et de mauvaises surprises, tire à sa fin. Mais d’autre part, il y a un sentiment d’amertume car 50 % des dettes dues aux employés se retrouvent balayées d’un revers de main. C’est de l’argent pour lequel on a travaillé mais qu’on ne reverra jamais pour des raisons, qui ne relèvent pas de notre responsabilité. Il y a aussi la déception qu’une enquête de fond n’ait pas été faite sur les vraies raisons de la situation financière de MK. Je pense que tous les employés avaient beaucoup d’espoir de voir un vrai changement dans la structure de gouvernance et la prise de décisions à MK, pour s’assurer qu’une telle situation ne se reproduise plus. Je m’inquiète, qu’une fois l’administration terminée, ce sera un retour au «business as usual» et que toute la souffrance et les peines subies n’auront servi à rien.»
Yogita Baboo, présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association :
«Ce n’est pas une surprise que le DOCA a été adopté... Le chantage présent depuis le début de l’administration pour mettre les gens à la porte et celui de la liquidation, ont pesé lourd dans la balance. Ce qui a forcé la majorité des travailleurs à voter pour, même si le DOCA ne leur rend pas justice… Il est important de faire ressortir qu’il y a une grosse différence dans le niveau des sacrifices que devra faire chaque groupe de créanciers dans cette administration volontaire. Ce DOCA a été établi sur la sueur des travailleurs de MK, qui malheureusement, vont en payer le prix jusqu’à la fin de leur carrière et même au-delà par rap- port à leur pension.»
Raj Ramlugun, actionnaire et ancien cadre :
«On était devant un fait accompli. Le vote s’est fait sous la contrainte et finalement, des trois options, la moins catastrophique était d’approuver le DOCA. Il y a énormément de questions sur l’exercice accompli par les administrateurs, sur leurs rémunérations et aussi sur la situation de MK aujourd’hui. Les Rs 12 milliards injectés sont l’argent des contribuables. L’État est actionnaire, c’est donc l’argent du peuple. Et 18 mois sous administration, on ne peut pas se réjouir que MK soit sauvé. Il faut prendre des actions concrètes, situer les responsabilités. On ne peut pas injecter de l’argent dans MK à chaque crise. La compagnie opère au petit bonheur. Kan fer pert, personn pa en tor. Kan fer profit koup riban.»
Bissoon Mungroo, actionnaire et ancien membre du «board» :
«C’est un calcul bien fait. D’un côté, il y avait la proposition de 50 % et de l’autre, si on refusait, on perdait tout. Déjà que deux avions ont été bradés. Ils peuvent brader deux autres avions. Faute de mieux, vaut mieux avoir des miettes dans le plat. Les contribuables doivent payer 12 milliards. Cela devient une dette du peuple. Maintenant, c’est au tour de la population de poser des questions. Par exemple, ce qui a été fait pendant ces 18 mois et les administrateurs, qui ont obtenu une rémunération d’environ Rs 200 millions. Le gouvernement va injecter Rs 12 milliards sur la tête de chaque individu. Kapav de zeneration pu contigne peye ale mem. Il y a eu des licenciements. Il faut recruter pour relancer les avions. Pe donn tou kalite drwa aterisaz. Se enn totaleye-wash. La pe vinn ambet nou avek 50 %. Nu pe pey tou maldonn bann administrater.’»
Fabrice David, député PTr et représentant du staff de MK et Airmate :
«Le PTr va tenir une conférence de presse dans les prochains jours, dont une grande partie sera consacrée au DOCA, au vote majoritaire, au rapport des administrateurs et au Watershed Meeting. J’ai une réaction mi-figue mi-raisin. Je suis quelque part soulagé que MK ne soit pas liquidé. Notre compagnie nationale va continuer à opérer mais je déplore les 18 mois d’administration volontaire, qui ont fait beaucoup de tort à la compagnie d’aviation et à ses employés. Il y a un manque de transparence dans la rémunération des administrateurs et la société Grant Thornton. L’administrateur du DOCA va uniquement devoir s’assurer que les dettes soient remboursées aux différentes catégories des créanciers. À deux jours de la réouverture des frontières, on ne sait pas qui va diriger le day-to-day business de MK et définir le Business model. La stratégie opérationnelle et commerciale de MK reste floue. Ce Water- shed Meeting’ me donne l’impression que ça a été fait dans la précipitation, trois jours avant la réouverture.»
Me Khemila Narraidoo, Senior Associate – Barrister chez Juristconsult:
Sa firme représente certains créanciers de la Classe A, c’est-à-dire, des lessors d’avions. «Je suis satisfaite que la majorité des créanciers aient opté pour l’adoption du DOCA, même si ce sont les classes A et B, qui ont voté massivement pour. On ne peut pas se permettre d’avoir notre compagnie nationale d’aviation en liquidation à la veille de la réouverture des frontières. Ce DOCA lui permettra de survivre. Le gouvernement prend certes de gros risques en injectant Rs 12 milliards pour sauver cette compagnie mais je pense et souhaite que les contribuables auront value for money. Je regrette cependant que le DOCA ne donne pas de détails sur le plan de restructuration d’Air Mauritius, plan qui aurait permis de ne pas commettre à nouveau les erreurs du passé. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de plan, mais juste qu’il n’a pas été communiqué.»
Dean Lam, «Managing Director» HSBC Bank (Mauritius):
«Je prends note du vote majoritaire des créanciers en faveur du plan de redressement de MK, privilégiant le DOCA. C’est un vote de soutien à une entreprise, qui demeure un maillon important dans le développement économique du pays.» Pour rappel, HSBC est un des principaux créanciers avec un montant de Rs 860 millions.
Un membre du personnel navigant : «Toujours pas sortie d’affaire»
«J’ai toujours très peur pour MK car elle n’est pas sortie d’affaire. Tout dépendra maintenant des circonstances exogènes, au bon vouloir des administrateurs. Je crains fort que MK brûle ses réserves à vitesse grand V et qu’on se retrouve encore sous administration. Cette fois le coup de canif fera très mal car ils seront dans l’obligation de licencier le millier de personnel identifié comme redondant.»
Caroline Chen, directrice d’Atom Travel :
«On est ravis que MK ait pu trouver un consensus. Maintenant, c’est un nouveau départ. Tout recommence à zéro. MK va apprendre de ses erreurs. On travaillait dans l’incertitude. À présent, on voit une lueur d’espoir que le Paille-en-queue redécollera. Graduellement, MK redeviendra comme avant.»
Umarfarooq Omarjee, directeur exécutif d’Omarjee Aviation :
«C’est une bonne nouvelle. MK est essentielle pour notre île, pour le secteur économique. Que ce soit pour le tourisme ou le cargo. MK a toute une histoire derrière. Je reste quand même assez optimiste pour l’avenir de MK. La compagnie aérienne n’a que des avions neufs. Ce qui signifie moins de consommation de carburant et moins d’entretien. Ce sera beaucoup plus intéressant.»
Nando Bodha, du Rassemblement Mauricien :
«Le DOCA a été voté par les stakeholders. Je pense que c’est tout simplement une solution comptable par rapport aux créanciers. Par ailleurs, c’est une solution politique pour ceux qui veulent absolument contrôler la compagnie nationale. Et on avalise la création de cette fusion monstre entre Air Mauritius, Airport of Mauritius Ltd et la Mauritius Duty Free Paradise, un holding extrêmement complexe, difficile à gérer avec Rs 25 milliards et plus de 6 000 employés. Ce qui est grave, c’est l’absence d’une feuille de route, un véritable business plan, avec une visibilité pour une compagnie nationale, qui reste le véritable moteur de l’industrie touristique, avec un plan de vols, la liste des destinations à être desservies et surtout le sort du personnel.
Ce qu’il fallait faire, c’est prendre les Rs 12 milliards et trouver une solution spécifique pour sauver Air Mauritius et définir son nouveau rôle dans l’industrie touristique de demain. Et surtout, faire une meilleure utilisation de son personnel et éviter un drame humain. On leur a accordé un traitement brutal au profit d’un exercice comptable et une stratégie politique d’accaparement.»
Pravind Jugnauth évoque le rôle de MK sur la MBC
<p>Le Premier ministre a réagi dans le journal de 19 h 30. D’abord, Pravind Jugnauth a parlé du rôle que la compagnie nationale a joué pendant les confinements, malgré son état financier. Il a rappelé que MK a pu transporter des cargos, notamment des médicaments et des appareils médicaux, pour soulager la population. «Laissez-moi rappeler qu’elle a pu ramener au pays des Mauriciens bloqués à l’étranger.» Maintenant qu’Air Mauritius n’est plus sous administration volontaire et que les frontières rouvrent, demain, la compagnie aura pleinement son rôle à jouer. Il faut tout faire pour que sa situation financière s’améliore, estime le chef du gouvernement. Il précise qu’en «temps et lieu», il abordera le sujet.</p>
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