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Cindy et Clifford Christine: mon père, ce héros de la farine

2 novembre 2021, 09:27

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Cindy et Clifford Christine: mon père, ce héros de la farine

Rue Abattoir, ou plutôt «route Labatwar». Roche-Bois, pas trop loin des guitares du roi Kaya et de son fidèle Berger Agathe, emportés par une histoire révoltante. 

Il est 8 h 53. Je descends et salue une dame, (elle a fêté ses 34 ans le samedi 30 octobre), qui s’active derrière sa vitrine les mains prises ; l’une par une belle paire de dalpuri, tout fumant, d’un jaune apaisant, pas trop gras, ni trop sec ; et l’autre par une grosse cuillère qu’elle va plonger dans un bol de piment écrasé, rouge, et costaud. C’est Cindy Christine, l’une de ces Mauriciennes qui travaillent dans l’ombre, au quotidien avec une histoire, qu’elle voulait partager, parce que son père, casquette rouge vissée sur la tête, a, il y a 34 ans, a pris le chemin contraire. 

Sous la vitrine, sur une façade en tôle, qui repose sur quatre roues rotatives ayant manifestement servi de longues années, on peut lire : «Chez L’amitié» (en gros). Et en plus petit, presque modestement, «Roti, Dholl Puri Special. Sur commande pour toutes occasions.» Plus bas, à gauche, deux numéros de portable. Ils ne l’ont pas écrit, mais ils font aussi, le matin, si vous n’êtes pas en retard, et que tout est parti en fumée, des rotis blancs, qui sont presque transparents, brillants d’huile. C’est comme les tipuri, mais en plus grand. C’est le préféré de beaucoup, car il se marie bien avec le curry dhal et la rougaille, et en plus si vous demandez un petit extra de piment... tant pis pour les ulcérés ! 

Alors qu’on croyait depuis des années que «les Mauriciens vivent dans la berceuse du cliché de la coexistence pacifique», et qu’ils ne manifestent aucune curiosité pour la culture du voisin, à la route Labatwar, à Roche-Bois, allez saluer Clifford Christine, qui a choisi de mettre la main à la pâte pour confectionner toutes sortes de rotis, quand sa fille Cindy est née, le 30 octobre 1987, ou un peu avant ou après. Il ne pouvait plus subvenir aux besoins de sa famille avec son job de manev mason. Sur la gare Victoria, il a su, avec d’autres marchands notoires de la place, se créer une culture malgré sa différence, en apprenant sur le tas de farine. 

Tout comme son père, Cindy est une artisane de la farine et du bonheur. C’est naturellement qu’elle a choisi le même métier, qu’ils font ensemble, au quotidien, avec le gentil Anthony Lagaule, l’époux de Cindy. «C’est grâce à lui que nous avons pu ouvrir notre emplacement ici à Roche-Bois. Papa n’a plus besoin de rouler sa bosse dans la capitale…» 

Un marchand de dhollpuri n’oublie jamais ses clients, même si ces derniers peuvent l’oublier, surtout si on déménage, ou qu’on vit aux States pendant des années, sans dalpuri, ni roti. «Mes premiers pas dans ce nouvel univers ont été faits sur le difficile terrain de la raillerie, de la moquerie, y compris de mes proches. À l’époque, un créole comme moi ne pouvait pas gagner sa vie en devenant marchand de dalpuri. Je n’avais pas la tête de l’emploi, le profil pour transformer la farine en roti ou dalpuri. Moi j’étais prédestiné à battre le ciment, avec du rocksand et de l’eau, ou poser des blocs là où l’on me dit, entre deux ficelles sur un chantier avec mes semblables…» 

Un jour suffit pour changer de trajectoire, pour suivre une intuition, en forçant la main du destin, et en acceptant toutes les conséquences de ce changement de cap. Clifford et son épouse Mirella l’ont fait pour leur fille Cindy. Ces habitants de Baie-du-Tombeau, qui ont le coeur sur la main, sont des exemples d’une harmonie interculturelle, pas multiculturelle. Le brassage, le métissage, le mélange de la farine, le bon dosage, les secrets de fabrication. 

Alors que Divali s’invite dans nos villes et villages, il faudrait, comme les Christine, réfléchir sur le sens de la transmission entre un père et sa fille. Cindy me raconte avec des yeux qui brillent qu’elle a «tout appris» de son père. Les différentes variétés de rotis. Les qualités de farine, les choix des clients, et pourquoi il faut toujours sourire, pour dire bonjour. Tous les jours c’est Divali à Roche-Bois…