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Affaire Mike Brasse: le trafiquant accusé maintenant de complot… mais avec qui ?

26 janvier 2022, 13:00

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Affaire Mike Brasse: le trafiquant accusé maintenant de complot… mais avec qui ?

Pour qu’il y ait complot, il faut au moins être deux. La police essaie-t-elle de coincer Mario Nobin en poussant le trafiquant Mike Brasse à «avouer» ce complot, comme ce fut le cas avec l’homme d’affaires Rakesh Gooljaury ? Ou, du moins, essaie-t-elle de mettre l’ex-commissaire de police (CP) dans l’embarras ? Selon nos informations, celui-ci ne semble pas être inquiet d’un aveu ou d’une éventuelle condamnation de Mike Brasse pour complot. Il est possible aussi que la police, qui est sous ordres, veuille embarrasser quelqu’un d’autre ? Un politicien, par exemple ? Surtout à un moment où l’on parle de l’union de l’opposition. C’est certes très grave si Mike Brasse a pu bénéficier de faveurs et de pressions venant de personnes d’influence. Mais à voir l’enquête menée contre l’ex-CP, on est en droit de se demander si elle mènera à quelque chose de concret. 

Revenons sur cette enquête. La police soupçonnait, depuis un certain temps – on ne sait pas quand exactement –, Mario Nobin d’avoir facilité la démarche du trafiquant de drogue Brasse pour l’obtention rapide d’un nouveau passeport après qu’il aurait égaré l’ancien. Mais c’est en fait une enquête menée par Axcel Chenney, de l’express, en 2019, qui avait mis au jour l’implication de Mario Nobin dans cette affaire, surtout à la suite des réponses incohérentes fournies par ce dernier au journaliste. 

Mario Nobin affirmait ainsi que toutes les demandes dérogatoires pour l’émission en urgence d’un nouveau passeport en cas de perte de l’ancien passent obligatoirement par lui en tant que CP. Or, cela n’est pas vrai. Puisque les Division Commanders ont le pouvoir de recommander directement au Passport and Immigration Office (PIO) l’émission urgente d’un nouveau passeport quand le cas tombe sous les exceptions comme lorsque le demandeur doit aller se faire soigner ou reprendre son travail à l’étranger. 

Or, le Divisional Commander en question, l’ex-assistant commissaire de police (ACP) Vinod Domah, a redirigé la demande de Mike Brasse vers le CP de l’époque, arguant que cela se fait normalement. «Le dernier mot revient au CP», arguait-il. Une première infraction à la loi et aux directives émises par voie de circulaires par le précédent CP Rampersad en 2012 et en 2014. Le service de presse de la police nous a confirmé que, dans ce genre de cas, le Divisional Commander doit envoyer sa recommandation directement au PIO. 

L’ACP Domah a justifié la transmission du dossier de Mike Brasse aux Casernes centrales en disant qu’il n’avait pas les moyens de s’assurer que le trafiquant avait un bateau à récupérer à La Réunion. Comme-ci une fois ce point confirmé par le CP, Mike Brasse aurait droit à un nouveau passeport tout de suite et qui sera alors recommandé par le CP. L’ex-ACP Domah renverra aussi la balle dans le camp du chef inspecteur en charge de la région de Grand-Baie, en affirmant : «J’ai agi à partir des recommandations du chef inspecteur. Je ne suis au courant de rien. Je ne sais pas si l’officier avait de bonnes relations avec Mike Brasse.» Autre raison avancée par l’ACP Domah pour avoir transmis le dossier au CP, «je ne pouvais pas garder la requête du chef inspecteur. Je devais channel la lettre vers le CP». 

L’ex-ACP Domah dira aussi que «je n’étais pas au courant que Brasse était surveillé par les autorités réunionnaises». Et si c’était le cas, il aurait refusé la demande ou, on le pense, signalé ce fait au CP. Mario Nobin, n’a-t-il, lui, pas trouvé étrange qu’on lui envoie un dossier qui tombe carrément en dehors des dérogations ? Visiblement non, puisqu’il a retransmis la demande au PIO en demandant de faire le nécessaire selon la procédure. L’ex-CP enfreindrait ainsi à son tour la procédure. Infraction qu’il reconnaît faire de temps en temps. 

Si l’on s’en tient strictement aux documents échangés dans cette affaire, Mario Nobin n’aurait pas trop de souci à se faire, sauf d’avoir violé la procédure en traitant un dossier qu’il ne devait pas. Et ce qu’il justifie, de même que Vinod Domah, comme un usage fréquent. Sa «recommandation» écrite n’en est pas vraiment une. Puisqu’il écrivait seulement de faire le nécessaire en suivant les procédures. 

C’est en fait le témoignage de l’ASP Narendrakumar Boodram, du PIO, qui met Mario Nobin dans une situation délicate et qui expliquerait en même temps la prise en charge par l’ex-CP du dossier de demande de Mike Brasse comme bien plus qu’une innocente et usuelle violation des règlements. Narendrakumar Boodram déclare en avril 2019 avoir reçu des instructions au téléphone, donc verbales, de l’ancien CP pour émettre le passeport. Mais aucun enregistrement n’a été produit. 

L’ex-CP, de son côté, nie être intervenu en faveur de Mike Brasse auprès de Narendrakumar Boodram et accuse ce dernier d’être celui qui a approuvé de son propre chef l’octroi du passeport. Mario Nobin a rappelé que Narendrakumar Boodram n’est redevable qu’envers le bureau du Premier ministre. Pas au CP. À la question d’Axcel Chenney, concernant la raison pour laquelle il n’a pas objecté à la demande de Mike Brasse vu que celle-ci ne tombait pas dans la catégorie des dérogations, l’ex-CP s’est défendu, en disant que c’est au PIO de décider. Cela, en dépit des directives de 2012 et 2014 selon lesquelles c’est aux Divisional Commanders (même pas le CP) de faire le tri et les enquêtes nécessaires avant d’envoyer au PIO. Et pourquoi, s’est interrogé le journaliste, Mario Nobin n’a-t-il pas objecté, sachant que Mike Brasse est un trafiquant de drogue ? L’ex-CP dira qu’il n’était pas au courant. Bien que l’ICAC ait confirmé à l’express qu’elle était bien au courant des activités de Mike Brasse depuis plusieurs années. 

L’enquêteur Seebaruth, du Central Criminal Investigation Department, a, lui aussi, déclaré en cour, en juin 2021, que Mario Nobin était au courant que Mike Brasse se trouvait sous la surveillance de la police depuis janvier 2016 (le passeport sera émis en septembre 2016). Cependant, on ne sait pas si l’enquêteur Seebaruth a des preuves de ce qu’il a avancé. Sa déclaration intervenait dans le cadre de l’arrestation, le 29 décembre 2020, de Mario Nobin sous une accusation de complot et de making use of office for gratification (undue influence). 

Devant tous ces «pa mwa sa, li sa», tout comme dans l’affaire Molnupiravir, on se demande à la fin qui a approuvé la demande de passeport de Mike Brasse. Et qui sera sanctionné, s’il le sera ? D’aucuns se demandent d’ailleurs si ces «arrestations spectaculaires», y compris celle de Mike Brasse ce 24 janvier pour complot pour l’obtention de son passeport en 2016, ne trahissent pas le souhait de certains au pouvoir de simplement embarrasser un politicien à travers l’aveu éventuel du trafiquant. 

Mais quel aveu ? D’avoir comploté avec Mario Nobin ou avec le politicien ? Ou avec les deux ? Si Mike Brasse est disposé à «avouer» quoi que ce soit contre l’ex-CP, celui-ci sera-t-il disposé à dire qu’il y a quelqu’un d’autre, un ancien ministre par exemple, qui lui a demandé cette faveur ? Tout en sachant que si Mario Nobin le fait, il risque aussi la prison ou, du moins, la condamnation à une amende. Si l’ex-CP et le politicien nient tout, ce sera leur parole contre celle d’un trafiquant de drogue dure. Cette histoire nous rappelle curieusement d’autres de ce genre récemment…