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Services financiers: la montée fulgurante du centre du Gujarat force Maurice à revoir sa stratégie
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Services financiers: la montée fulgurante du centre du Gujarat force Maurice à revoir sa stratégie
Face au jeune concurrent indien capable de lui ravir des fonds d’investissement, la juridiction mauricienne cherche à se repositionner en misant sur ses atouts qui sont, notamment, sa stabilité politique, la panoplie de services qu’elle offre, son importance par rapport au développement des services financiers sur le continent africain, sa prédisposition à avoir recours à de nouveaux produits comme des actifs virtuels.
Il y a trois ans, personne ne pouvait imaginer qu’en aménageant un centre financier dans l’État du Gujarat, où il a servi comme Chief Minister entre 2001 et 2014, Narendra Modi, l’actuel Premier ministre de l’Inde, allait atteindre son objectif de doter cette région d’une infrastructure capable de rivaliser avec les grandes destinations des services financiers internationaux tels Singapour, Dubaï ou Maurice. Trois ans après, le Gujarat International Financial Tec City (GIFT - city), qui ne cache pas son ambition d’être une ville intelligente où le recours aux dernières technologies innovantes n’est qu’un jeu d’enfant, fait peur.
«Le but clair et évident, appuie Marc Hein, président et fondateur du cabinet d’avocats d’affaire, est de nous concurrencer et d’attirer vers ce centre les fonds qui normalement se seraient domiciliés à Maurice ou Singapour, pour après investir en Inde.» En introduisant de nouvelles lois, en 2020, devant favoriser la mise en place de nouveaux règlements afin que les fonds d’investissement puissent s’établir dans le nouveau centre financier international du Gujarat, la Grande péninsule n’a fait que s’inscrire dans la tendance empruntée par les grandes économies du monde. Pour Samade Jhummun, Chief Executive Officer de Mauritius Finance, société qui regroupe les principaux acteurs du secteur, l’initiative du gouvernement indien n’a pas été sans conséquence pour le centre mauricien des services financiers. «Dans le contexte indien, Maurice a perdu quelques-uns de ses atouts majeurs et décisifs quand nous avons signé le nouveau traité fiscal avec la Grande péninsule, en 2016. Aujourd’hui, nous sommes logés à la même enseigne que d’autres juridictions concurrentes comme Singapour, Dubaï et même l’Inde. Dans une certaine mesure, nous sommes même pénalisés, ayant été les premiers à renégocier notre traité fiscal. Alors que d’autres pays continuent à bénéficier du régime préférentiel de leur précédent traité avec l’Inde.Il faut aussi préciser que nous ne disposons pas du même écosystème ni des ressources disponibles au sein des centres financiers internationaux les plus développés.»
Mahen Seeruttun, ministre des Services financiers et de la bonne gouvernance, nuance cependant cette appréciation : «Nous travaillons sur l’ébauche d’un plan de collaboration où les deux juridictions peuvent bénéficier des expériences de part et d’autre, compte tenu des investissements importants réalisés par Maurice en Inde.»Les relations bilatérales entre les deux pays l’emportent sur les autres considérations. «Les relations Maurice-Inde se reflètent dans les interventions de nos dirigeants. La coopération et la synergie entre les deux pays sont essentielles pour le progrès des deux centres financiers internationaux. Nous avons beaucoup plus à gagner si les deux centres financiers se voient comme des alliés.» Une posture qui ne l’empêche de voir la réalité en face. «Nous mesurons la vitesse à laquelle GIFT - City est en train d’évoluer mais nous sommes confiants de notre approche pour développer notre centre international financier mauricien.»
Faut-il pour autant s’avouer vaincu face à un concurrent dont la force de frappe ne doit être sous-estimée tenant compte du potentiel de l’intelligentsia indienne ? Selon Marc Hein, Maurice n’est pas dépourvu d’atouts pour faire face à n’importe quel type de concurrence. «Maurice garde cependant des attraits car, par exemple, les investisseurs internationaux aiment bien avoir une structure intermédiaire intercalée entre leur propre entité juridique et celle du destinataire où l’investissement se fera. Cela s’applique à l’Inde comme à d’autres destinations. Ces structures intermédiaires sont nécessaires par ailleurs pour limiter la responsabilité civile ou pénale de l’investisseur en Inde et la responsabilité civile ou pénale des directeurs ou hauts responsables de la compagnie lançant l’investissement.»
Pour le Chief Executive Officer de Mauritius Finance, il ne faut pas s’inquiéter outre mesure mais voir les choses en face. «Malgré tous ces changements, de nombreux clients continuent à privilégier Maurice en raison de la qualité des services que nous proposons mais aussi de leur compétitivité. Le pays est aussi une juridiction financière qui a fait ses preuves et établi une solide réputation depuis deux décennies. Nous ne pouvons toutefois pas nous laisser aller, car la concurrence est rude et va le rester. Chaque centre financier international doit désormais se démarquer des autres par ses atouts et prestations uniques. Le centre financier international mauricien en a de nombreux et doit les mettre en valeur afin de proposer le meilleur niveau de service dans les secteurs où nous opérons.»
Elle est longue, selon Mahen Seeruttun, la liste d’atouts dont dispose Maurice :
- La solide base dont dispose le centre mauricien des services financiers.
- La sortie de Maurice des listes du Groupe d’action financière, de la Grande-Bretagne et de l’Union européenne des juridictions faisant l’objet d’une surveillance accrue, en octobre 2021, après avoir achevé son plan d’action avant le délai fixé, a renforcé la position de la juridiction sur le plan mondial. -
Le classement de la juridiction à la 73e place dans le cadre du dernier rapport du Global Financial Center Index 30, comparativement au centre du Gujarat, classé à la 76e place.
- La proximité historique et géographique de la juridiction pour assurer la réalisation de projets d’investissement sur le continent.
- Les différents instruments bilatéraux avec la Chine et l’Afrique qui, selon lui, positionnent Maurice comme une plateforme d’investissement idéale vu qu’en 2019 devant l’Inde, le continent est devenu la principale cible d’investissement en termes du nombre de compagnies offshore.
- La stabilité de la vie politique du pays quel que soit le gouvernement au pouvoir.
- La confidentialité et la protection des investissements.
«Depuis l’an dernier, nous nous sommes attelés à mettre en application les recommandations du Blueprint qui devrait créer les conditions devant permettre au secteur financier de doubler sa contribution au Produit intérieur brut d’ici 2030. Les recommandations vont permettre au secteur des services financiers de se diversifier dans d’autres pôles d’activités où la Gujarat International Financial Tec City ne serait plus une concurrente pour Maurice mais plutôt une alliée.»
Mais entre-temps, qu’est-ce que la juridiction devrait entreprendre pour ne pas se laisser distancer par le centre international du Gujarat ? «Nous devons impérativement,soutient Marc Hein, être réactifs et tout le temps être présents avec des solutions rapides. Pour faire mieux, être en permanence procréatifs et innovateurs. Cela est-il le cas en ce moment ? Il y en aura toujours d’autres qui voudront nous remplacer comme conduit des investissements vers l’Inde et on ne peut dormir sur ses lauriers en pensant qu’on s’en sortira de par nos relations privilégiées avec l’Inde.»
Pour Samade Jhummun, le salut de la juridiction face aux concurrences auxquelles elle fera face s’articule autour de trois axes d’action. Il s’agit premièrement d’avoir un œil vigilant par rapport aux stratégies qu’adoptent les concurrents, deuxièmement se fixer comme objectif que les clients actuels continuent à privilégier la juridiction et enfin veiller que l’amélioration du niveau d’efficacité et la détermination à se réinventer face à la concurrence soient à l’ordre du jour de ses priorités. «La diversification de nos services est importante. Il nous faut proposer une palette de services diversifiés, spécialisés et compétitifs. Pour cela, plus que jamais, nous devons former des professionnels dans des secteurs très spécialisés de la finance et, dans certains cas, nous assurer d’attirer les talents de l’étranger qui nous permettent de développer une offre compétitive dans ces services niches à forte valeur ajoutée.»
Pour le ministre des Services financiers, il est indispensable de prendre les initiatives susceptibles de permettre au pays de faire la différence. «Maurice, par rapport à l’Inde, est en train de mettre en application des dispositions du projet de loi portant sur les services d’offres d’actifs virtuels et de jetons initiaux. Le projet de loi sur la cryptomonnaie en Inde est toujours attendu. Déjà, c’est un secteur très porteur où Maurice peut certainement se positionner en tant que hub régional. Le secteur mondial des affaires à Maurice devrait augmenter de 5,0 % en 2021, un rebond significatif par rapport à la contraction de 10,3 % en 2020. Le taux de croissance pour 2021 pourrait potentiellement être davantage soutenu par les évolutions positives de ce secteur. Les radiations des listes grise et noire sont des étapes importantes dans le renforcement de la réputation de Maurice en tant que juridiction solide et crédible pour les investissements transfrontaliers.»
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