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MK | Raj Ramlagun: «Ce qu'on fait aujourd'hui est pire que le scandale de la caisse noire»

23 février 2022, 13:00

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MK | Raj Ramlagun: «Ce qu'on fait aujourd'hui est pire que le scandale de la caisse noire»

Notre interlocuteur, qui refuse de vendre ses actions de la compagnie d’aviation, se dit pour la privatisation d’Air Mauritius (MK) vu l’incapacité de nos gouvernements qui se sont succédé à gérer l’entreprise.

Vous vous battez pour qu’Airport Holdings Ltd (AHL) ne puisse racheter vos actions. Pourquoi ? 
Nous sommes un groupe d’actionnaires minoritaires d’MK qui ne veulent pas vendre nos actions pour une question de principe. Même si AHL est une compagnie privée, elle est financée presque en totalité par l’argent de la population. AHL n’a pas encore obtenu 100 % des actions. Elle n’a même pas une adresse e-mail.

Que pensez-vous de ces transactions «asté-vandé» d’avions chez MK ? 
La commande de six avions avait été passée juste avant les élections de 2014. Elle avait été condamnée par le gouvernement de l’Alliance Lepep, qui avait promis de la revoir et même de l’annuler. Vous vous souvenez des fameuses enquêtes annoncées, des intermédiaires, dont Gleeson et Mr Sharp, évoqués. Or, une fois arrivé au pouvoir, le gouvernement Jugnauth a non seulement confirmé ces commandes de six avions A350 mais a ajouté deux A330 Neo à la liste. Les enquêtes ? Oubliées ! MK avait-elle les moyens de se payer huit avions neufs ? Y avait-il une étude de faisabilité et de rentabilité effectuée au préalable ? Megh Pllay n’était pas d’accord avec ces achats. Rs 42 milliards envolées ! Même avant le Covid, on a compris qu’MK n’aurait pas besoin de deux A350 commandés qui furent loués à South African Airways et, vu la situation de cette compagnie sud-africaine, on se demande combien on a été payé, si cela a été fait.

Il y a eu aussi les fameux «retrofitting» au coût de plusieurs centaines de millions… 
Selon mes renseignements, au moins un milliard a été dépensé pour rénover sept avions dont les deux A319 et deux A340 qui seront soldés à USD 6 millions et USD 350 000 respectivement par les administrateurs, avec des pertes de Rs 3,4 milliards, selon l’express qui avait fait le calcul. Alors que l’on aurait pu continuer à utiliser ces A340 et même les A319. Ce n’est pas fini ! Les administrateurs se sont débarrassés de deux A330, dont un, toujours selon l’express, vole pour la compagnie d’aviation yéménite. Et l’autre a été envoyé dans un cimetière d’avions en Arizona, alors que l’on aurait pu le récupérer au lieu d’en acheter de nouveaux, selon Megh Pillay. On a bradé six avions d’un seul coup et Air Mauritius, qui disposait de 15 aéronefs avant l’administration, s’est retrouvée avec seulement six avions. 

Le Deed of Company Arrangement (DOCA) des administrateurs justifiait ce délestage en disant : «In the case of Mauritius, where traffic is mostly international, recovery to the pre-COVID-19 level may be expected to take longer», c’est-à-dire après 2023. Il ne s’agit pas de se montrer «wise after the event». Mais si les administrateurs et leurs consultants ont prévu un «worst-case scenario», pourquoi n’ont-ils pas prévu un «best case scenario» également ? Presque toutes les compagnies au monde l’ont fait. 

On a vidé MK non seulement de ses avions, mais aussi de ses pilotes, du personnel navigant et autre personnel commercial et du planning expérimentés. Pour se rabattre sur des consultants qui «zis bez kas ale», alors que la direction et le staff sont responsables à long terme. Maintenant, on découvre que l’on a besoin d’avions, entre autres !

Il semble que MK compte acquérir trois nouveaux A321 Long Range… 
Si c’est vrai, on aura donc payé des centaines de millions à ces administrateurs et experts et perdu des milliards lors des ventes d’avions pour qu’ils fassent une prévision complètement ratée ! Ce qui les intéressait, c’est évident, c’était «aste-vande». Ou alors les administrateurs se seraient contentés d’un pur exercice de «bean-counting» et je me demande même si cela a été bien fait ou l’on n’a pensé qu’à certains intérêts particuliers ! Y avait-il nécessité de vendre ces avions quand on sait que Sattar Hajee Abdoula, très proche du gouvernement, ne pouvait pas ne pas savoir que l’État allait quand même injecter plus de Rs 25 milliards dans Air Mauritius

En résumé donc, une petite compagnie d’aviation comme MK a dépensé Rs 42 milliards pour l’achat/ location de huit avions, un milliard en «retrofitting», perdu Rs 3,4 milliards dans les ventes d’avions qu’on aurait pu garder et compte investir plus de Rs 11 milliards dans trois nouveaux appareils. Cela, en l’espace de sept ans ! Vous ne voyez pas que c’est démesuré ? On a un appétit gargantuesque avec l’argent des autres ! Et aucune question ne trouvera de réponse grâce au montage du monstre AHL privatisée avec l’argent du peuple. C’est un pas de plus vers une «state capture».

On a essayé de temps en temps de réformer la compagnie… 
C’est Sattar Hajee Abdoula luimême, qui était consultant avec d’autres consultants comme le fameux CAPA de l’Inde, qui avait recommandé cette opération «déshabille Airports of Mauritius» pour «habiller» superficiellement les comptes de MK en juillet 2019. Il y a eu le Transformation Committee de Sherry Singh et CAPA 1.0 qui n’a rien donné. Ajouté à toutes ces gabegies, il y a eu l’ouverture intempestive du ciel aux compagnies prédatrices, les Rs 5,4 milliards perdues dans les hedgings calamiteux etc. Le bouc-émissaire c’est qui ? Les employés ! Rappelez-vous que Sattar Hajee Abdoula lui-même avait reconnu, en juin 2020, que le Covid n’a été que le coup fatal pour MK. D’autres personnes disent que le coup fatal avait déjà eu lieu avant la pandémie mais on a maquillé les comptes grâce aux transactions avec Airports of Mauritius Ltd (AML) que je viens d’évoquer.

Que faire alors ? 
Je ne suis pas un défenseur de la privatisation et je pense que certains fleurons comme MK (ou plutôt exfleurons) devraient rester sous le contrôle de l’État pour permettre à ce dernier de récupérer des dividendes, créer des emplois et de la valeur ajoutée et surtout aider notre secteur touristique. Je précise : notre secteur touristique pas celui des autres. Malheureusement, c’est le peuple qui est appelé à chaque fois à aider MK au lieu de l’inverse, sans que l’économie en général n’y gagne, avec les gaspillages, les détournements, les corruptions et l’incompétence. C’est pour cela que je pense qu’il faut songer sérieusement à privatiser Air Mauritius. Nous n’avons pas de dirigeants politiques qui possèdent le leadership, l’intégrité et la compétence qui existent par exemple à Singapour, où la compagnie d’aviation nationale, Singapore Airways, est contrôlée par l’État et est l’une des plus prospères au monde. L’État mauricien ne peut rien gérer. Montrez-moi une seule compagnie où il n’y a pas eu de scandales par milliards.

Privatiser au profit d’une compagnie étrangère ? 
Non, en partenariat avec des compagnies internationales venant de pays qui nous apportent des touristes et autres businesses, pas des compagnies prédatrices. Nous avons des investisseurs et talents locaux pour s’allier avec des «players» internationaux. Je me rappelle comment une compagnie locale a été empêchée de décoller et a atterri pour de bon.

On a vu dans le passé que le partenaire local a cannibalisé MK, non ? 
Avec recul, le scandale de la caisse noire, certes blâmable, n’est rien comparé à ce qui se passe actuellement, où des milliards sont jetées par le hublot. Il ne faut pas juste condamner la caisse noire, il faut changer pour que d’autres scandales encore plus graves ne se produisent. Air France et British Airways ne voulaient pas augmenter leur capital chez MK. Mais si ces compagnies voient des progrès dans la gouvernance, je suis sûr qu’elles viendront. On aime citer l’Inde mais je n’entends personne parler d’Air India. Le gouvernement indien n’a pas hésité à s’en laver les mains en la confiant au groupe Tata qui avait fondé cette compagnie dans les années trente. Et à voir les commentaires, cette privatisation est acceptée.

Un mot sur la campagne visant à faire entrer d’autres compagnies étrangères dans le ciel mauricien ? 
J’espère que le gouvernement pourra au moins résister aux lobbies. Les vautours tournoyaient déjà au-dessus d’une MKmoribonde. Ce n’est pas après que l’État a mis des dizaines de milliards dedans qu’il va envoyer des émissaires rencontrer des patrons de compagnies étrangères prédatrices. Allons plutôt vers des partenaires qui ne vont pas nous bouffer tout cru, comme ce fut le cas pour Air Seychelles.