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Jean-François Nellan: «Cette expédition n’est qu’une comédie et non un relogement assuré»
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Jean-François Nellan: «Cette expédition n’est qu’une comédie et non un relogement assuré»
L’organisation «Chagossian Voices» s’est positionnée contre l’initiative mauricienne pour le voyage à Blenheim Reef. Son trésorier estime que cette opération «marketing» s’est faite sans consultation avec les principaux concernés.
Cinq de vos compatriotes ont visité leur terre natale, Peros Banhos, sans surveillance «grotesque» des militaires américains, contrairement à votre visite en février 2020 ?
Les cinq personnes accompagnant la délégation mauricienne ne sont pas de vrais compatriotes. Elles sont à la solde du gouvernement mauricien et vont vous raconter n’importe quoi. Le Royaume-Uni organise déjà des heritage visits pour toute la communauté depuis 2017 et personne n’a été froissé par les militaires jusqu’à présent. Ce n’est pas cette actuelle comédie qui va nous donner envie, puisque ce n’est qu’une visite et non un relogement assuré. Quand j’étais aux Chagos, en février 2020, je ne me sentais pas sous surveillance des militaires américains.
Les Anglais sont en charge des îles et ce sont eux qui organisent les sorties dans l’île lors des heritage visits. Nous ne sommes pas obligés de nous y engager. J’avais moi-même pris un vélo et je me suis aventuré tout seul. Mais bien sûr il y a des endroits où les militaires s’entraînent avec de vraies munitions et il est dangereux de s’y aventurer.
Olivier Bancoult et les autres n’étaient pas sous la surveillance grotesque des militaires mais il n’empêche qu’ils étaient accompagnés d’officiers «grotesques» du gouvernement mauricien. Ce n’est peut-être pas de la surveillance comme avec les militaires mais peut-on vraiment parler de liberté quand on doit suivre le protocole de l’État à la lettre ? À la base, le Premier ministre n’avait même pas parlé de visite mais l’annonce officielle faisait état d’une expédition scientifique. Si les îles sont aussi bien préservées jusqu’à présent, c’est un peu grâce à cette surveillance qualifiée de grotesque.
«The Guardian» a aussi rapporté la présence d’un navire britannique de protection de la pêche, le «Grampian Frontier», qui suivait le «Bleu de Nîmes» à distance constante…
Le Grampian Frontier, aussi connu comme le BIOT patrol vessel, est le patrouilleur des eaux du British Indian Ocean Territory pour contrer des activités illégales comme le trafic humain et la pêche illégale. Sa mission est d’arrêter les occupants des bateaux illégaux avant de détruire leur embarcation. Pendant mon séjour aux Chagos, j’ai eu l’occasion de monter à bord du Grampian Frontier.
Sinon, il ne faut pas oublier que les journalistes couvrant l’expédition étaient eux-mêmes sous la houlette du gouvernement mauricien pendant le voyage tous frais payés. C’est clair qu’ils seront biaisés. Si c’est vrai que le Grampian Frontier suivait le Bleu de Nîmes, ils auraient dû prendre des photos ou filmer comme preuves.
En tant que troisième génération de Chagossiens vivant au Royaume-Uni et trésorier de l’organisation «Chagossian Voices», en quoi d’autre cette initiative du gouvernement mauricien vous dérange-t-elle ?
L’expédition organisée par le gouvernement mauricien a été organisée sans l’avis des Chagossiens. L’annonce a été faite le jour pour le lendemain et sans aucune transparence. Le gouvernement mauricien et le Groupe réfugiés Chagos se servent de la communauté chagossienne pour leurs gains personnels et non dans l’intérêt des Chagossiens.
Comment la sélection des Chagossiens s’est faite pour le voyage ? Par ailleurs, avez-vous déjà entendu le gouvernement mauricien parler d’un plan d’action pour reloger les Chagossiens dans leurs îles natales ? L’expédition est uniquement du marketing. On voit comment le gouvernement actuel gère les fonds publics. Les Rs 43 millions auraient pu être allouées au bien-être des Chagossiens qui vivent toujours dans la misère à Maurice.
Maurice, qui est reconnue comme propriétaire légitime de l’archipel des Chagos par la Cour internationale de justice (CIJ), l’Assemblée générale des Nations unies et le tribunal international du droit de la mer (Itlos) n’allait quand même pas rester les bras croisés ?
Nous savons tous que la CIJ ne peut donner qu’un avis consultatif et il y a plein de choses dites que nous n’acceptons pas et qui nous ont blessé. Par exemple, que les Chagossiens «sont des Mauriciens d’origine chagossienne», en présence des natifs, devant cette cour. Ce que nous craignons justement, c’est le prêt à tout du gouvernement mauricien pour sa souveraineté. Dieu seul sait avec quel motif derrière. Cela, sans se soucier de la volonté de la majorité des Chagossiens, parce qu’il ne faut pas oublier qu’il y avait un peuple au Chagos. Ce serait plus légitime que les Chagossiens décident s’ils veulent être sous colonie mauricienne ou britannique, sans nous priver de l’autodétermination.
Ne pensez-vous pas qu’il est grand temps que les Chagossiens s’unissent pour militer d’une seule voix pour empêcher d’autres de mieux régner ?
La plateforme Chagossian Voices a été créée en 2020 dans le but de rassembler toute la communauté, peu importe le groupe affilié, pour que nous puissions mieux avancer. Malheureusement, ce qui nous divise, c’est quand nous voyons certains de nos semblables prendre des décisions en solo avec des hommes politiques sur des sujets qui risquent d’affecter toute la communauté et certainement pas dans le bon sens, comme pour la CIJ et l’action de planter le drapeau mauricien sur l’île Peros Banhos. D’où l’amertume de beaucoup de Chagossiens en ce moment, parce que c’est le symbole de l’Indépendance, moment très douloureux pour des Chagossiens en mémoire de l’exil forcé, la perte de leurs îles.
Pourquoi n’a-t-on pas consulté la communauté pour cette expédition, à l’exception du GRC qui, d’ailleurs, ne représente pas toute la communauté ? Nous l’avons tous appris par les médias. Tant que certains membres de la communauté n’en feront qu’à leur tête et conviction, il y aura toujours la division. Les écoles de pensée ne se suivent pas et des fois c’est l’intérêt personnel qui prime. C’est normal que les hommes politiques en tirent profit.
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