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Ukraine: une guerre pour redéfinir la carte géopolitique
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Ukraine: une guerre pour redéfinir la carte géopolitique
Après la crise pandémique qui a ébranlé le monde, démoli son architecture économique et entraîné la mort de 16,5 millions de personnes, nous voilà plongés dans une guerre appelée à être longue, aux conséquences multiples et susceptibles d’entraîner la population dans une profonde instabilité tant politique qu’économique.
En fait, la guerre russoukrainienne dépasse largement le périmètre des Balkans et cache subrepticement les enjeux stratégiques, voire géopolitiques, du maître du Kremlin pour redéfinir le centre du pouvoir économique et militaire mondial à l’Est, aux côtés de deux alliés objectifs d’Asie que sont l’Inde et la Chine.
Il ne faut pas se voiler la face. Le coup de force de Poutine en Ukraine n’est pas totalement le fruit d’une démarche impulsive mais bien d’un plan savamment fabriqué pour exécuter sa politique expansionniste et récréer les contours d’une nouvelle Russie en marche vers l’impérialisme. C’est clair comme de l’eau de roche. L’agression militaire russe déployée depuis une semaine en Ukraine, en misant sur sa suprématie militaire avec notamment ses 200 000 soldats tentant d’encercler la capitale Kiev, n’est pas sans arrièrepensées stratégiques.
Car en mettant éventuellement le grappin sur l’Ukraine, plus particulièrement la partie est, la Russie s’approprie militairement le grenier à blé du continent européen, le quatrième exportateur mondial de céréales, dont de nombreux moyenorientaux comme l’Égypte et le Maroc dépendent. Du coup, un prolongement de la guerre entraînerait une rupture dans la chaîne d’approvisionnement à l’échelle mondiale, faisant exploser les cours des matières agricoles.
D’ailleurs, le début des hostilités aux portes de l’Europe a fait grimper les prix des céréales qui se sont envolés pour atteindre des niveaux records sur Euronext, avec un pic pour le blé à 344 euros la tonne. Une situation qui ne rend pas insensibles les Africains, redoutant l’effet inflationniste des prix des denrées alimentaires, étant de gros consommateurs de blé, plus de 30 % du blé mondial provenant de la Russie et de l’Ukraine. Et quand on sait que le prix du pain a été un moteur d’instabilité politique, ayant été le déclencheur du printemps arabe, il y a des raisons de craindre qu’une possible hausse des prix suivant une réduction de l’offre n’impacte financièrement le continent africain.
Risques de stagflation
À Maurice, des spécialistes flairent les mêmes dangers inflationnistes avec un ren-chérissement des prix des produits de base et une note d’importations dépassant les Rs 5 milliards l’année dernière pour le blé et les produits céréaliers. L’analyste financier Imrith Ramtohul n’entrevoit aucune accalmie sur le front inflationniste avec la guerre en Ukraine. «Les pressions inflationnistes sur les prix des matières premières agricoles, les cours des métaux et ceux du Brent se feront sentir prochainement. Nous sommes entrés dans une phase profonde d’instabilité des prix et comme c’est généralement le cas, ce sont les plus vulnérables de la société qui sentiront le fardeau de ces hausses de prix. Et sachant qu’une part importante de leurs revenus sont dépensés sur les produits alimentaires, leur portemonnaie sera sous forte pression.»
Mais il y a pire. Comme d’autres pays qui les subissent déjà, l’expert financier se demande si les signes du phénomène de stagflation ne sont pas à l’horizon, soit une situation économique marquée par un ralentissement de la croissance, couplée à une hausse du chômage, des prix et des salaires.
Mais pour autant, la course folle des cours du Brent n’est pas près de s’arrêter, notamment après les nouvelles sanctions occidentales à l’encontre de Moscou, le 2e producteur mondial de pétrole, après l’Arabie saoudite. Les opérateurs s’inquiètent de plus en plus d’une crise énergétique, le prix du baril de pétrole brut augmentant de plus de 6 % et le Brent de plus de 5 %. D’ailleurs, à peine les premières salves de tirs de missiles lancées sur les frontières ukrainiennes que les marchés énergétiques ont réagi avec le baril franchissant la barre d’USD 100 le baril, le plus haut niveau depuis 2014.
Jusqu’où ira cette envolée des cours du brut ? Personne n’en sait rien et même les spécialistes ne parviennent pas à saisir ce qui se trame actuellement dans la tête du dictateur Poutine. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que ce dernier est entré dans une logique de guerre pour anéantir tous les pays osant calquer leur modèle de démocratie sur celui de l’Europe occidentale.
Entre-temps, les caprices de Poutine coûtent déjà cher aux importateurs et accessoirement aux consommateurs, plus particulièrement les automobilistes qui doivent casquer plus en Europe et ailleurs pour s’approvisionner en gasoil et fioul. À Maurice, la State Trading Corporation n’a pas tardé à passer à l’offensive, réajustant les prix à la pompe. Une hausse de 10 % qui soulève une grosse colère parmi la population alors même que d’autres majorations ne sont pas à exclure, si on suit l’analyse de son patron, Rajiv Servansingh.
Certes, comme dans la crise épidémique, certains pays pourraient y trouver des opportunités d’affaires. Tout relève évidemment d’une question de tactique géopolitique et de stratégie économique. C’est le cas en Afrique où des pays producteurs de pétrole comme le Nigeria et l’Angola pourraient bénéficier de cette hausse des prix. Le rédacteur en chef de la publication Africa Confidential, Patrick Smith, souligne dans une récente dépêche que «l’Europe doit rapidement trouver des alternatives au gaz russe, et les alternatives les plus fiables se trouvent en Afrique», en ajoutant que «c’est une excellente occasion pour les États africains d’intervenir et de conclure rapidement de nouveaux accords».
Au-delà de cette guerre, on assiste forcément à une recomposition de la carte géopolitique avec l’axe sino-russe, partageant la même idéologie politique, s’appuyant sur les mêmes intérêts géopolitiques en Afrique et en Asie, et développant un nouveau modèle de gouvernance où ces deux puissances s’affirmeront comme les maîtres du monde. Cela, face aux pays européens et leur allié objectif, les États-Unis, placés sous le parapluie de l’OTAN et contre lesquels ces deux puissances autocratiques veulent se battre. Vu que ces États démocratiques sont vus comme une menace pour leur régime.
La Chine est nécessairement confortée dans son nouveau positionnement de gouvernance mondiale par le fait qu’elle dépassera l’économie américaine en 2028, soit cinq ans plus tôt sur la base d’une croissance annuelle de 5,7 % jusqu’à 2025, suivie de 3,9 % par an. Selon le Centre de recherche économique et commerciale (CREB), l’empire du Milieu ne quittera plus la première place jusqu’en 2035, tandis que l’économie américaine restera à la deuxième place du classement, menacée toutefois par la montée de l’Inde, qui deviendra, à partir de 2030, la troisième économie mondiale.
Dès lors, on comprend bien maintenant pourquoi des spécialistes persistent à croire que la crise aux frontières de l’Ukraine a peut-être été fabriquée par la Russie et que la prétendue menace de l’OTAN n’est qu’un prétexte pour entrer dans une nouvelle ère de relations internationales. Et se repositionner comme la première puissance de ce monde.
Swift, bras de la finance mondiale et potentielle arme
<p>Les Occidentaux ont averti que des établissements russes seraient exclus du système interbancaire international Swift. Le président américain, Joe Biden, a, lui, affirmé jeudi dernier que couper la Russie du réseau bancaire Swift restait <em>«une option»,</em> après que Kiev eut demandé d’exclure Moscou de ce rouage discret mais essentiel des échanges bancaires internationaux. Mais que se passerait-il si les pays occidentaux se résolvaient finalement à recourir à l’arme Swift pour sanctionner Moscou après l’invasion de l’Ukraine ? </p>
<p style="text-align:center"><img alt="" height="330" src="/sites/lexpress/files/images/article/swift_0.jpg" width="620" /></p>
<p><strong>Qu’est-ce que Swift ? </strong><br />
Swift est l’un des plus importants réseaux de messagerie bancaire et financière fondée en 1973. La société, acronyme de <em>Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunicatio</em>n, est basée à Bruxelles. Non coté, Swift est organisé sous forme de coopérative de banques. La société se présente comme neutre. Elle est notamment à l’origine du code BIC, qui permet d’identifier une banque via un code unique composé de 8 à 11 caractères, prenant en compte le nom de la banque, son pays d’origine, sa localisation et l’agence ayant traité l’ordre en question. </p>
<p><strong>À quoi sert-il ? </strong><br />
Mis en oeuvre pour remplacer la technologie vieillissante du Télex, le groupe assure plusieurs tâches : transit des ordres de paiement entre banques, ordres de transferts de fonds de la clientèle des banques, ordres d’achat et de vente de valeurs mobilières, etc. Le tout grâce à des messages standardisés, permettant une communication rapide, confidentielle et peu coûteuse entre établissements financiers. </p>
<p>La société met en avant sa fiabilité sur son site internet et revendique <em>«plus de 11 000 organisations bancaires et de titres, infrastructures de marché et entreprises clientes dans plus de 200 pays et territoires». </em>Le rôle de Swift déborde le cadre de la finance : un accord signé mi-2010 par les États-Unis et l’Union européenne permet officiellement aux services américains du Trésor d’accéder aux données bancaires des Européens via le réseau, au nom de la lutte antiterroriste. </p>
<p><strong>Que représente-t-il en Russie ? </strong><br />
Selon le site de l’association nationale Rosswift, la Russie serait le deuxième pays après les États-Unis en nombre d’utilisateurs avec quelque 300 banques et institutions russes membres du système. Plus de la moitié des organismes de crédit russes sont représentés dans Swift, est-il précisé par cette source. </p>
<p>Moscou met cependant en place ses propres infrastructures financières, que ce soit pour les paiements (cartes <em>«Mir»</em>, voulues comme l’équivalent de Visa et Mastercard), la notation (agence Akra) ou les transferts, via un système baptisé SPFS. </p>
<p><strong>Y a-t-il des précédents ? </strong><br />
En novembre 2019, dans le cadre des sanctions décidées par les États- Unis contre l’Iran, Swift a <em>«suspendu» </em>l’accès de certaines banques iraniennes à son réseau. Le secrétaire au Trésor de l’époque Steven Mnuchin avait promis de soumettre la société <em>«à des sanctions américaines (si elle fournissait) des services de messagerie financières à certaines institutions financières iraniennes». </em></p>
<p>Pourtant soumis au seul régulateur belge, Swift n’avait mis que quelques jours à obtempérer, jugeant dans un communiqué la mesure <em>«regrettable»</em> mais conforme <em>«à l’intérêt de la stabilité et de l’intégrité du système financier mondial dans son ensemble»</em>. L’Iran avait déjà été déconnecté du système Swift de 2012 à 2016. </p>
<p><strong>Est-ce une menace crédible ? </strong><br />
Tactiquement, <em>«les avantages et les inconvénients peuvent se discuter»,</em> estime Guntram Wolff, directeur du centre de réflexion Bruegel, interrogé par l’AFP. Couper l’accès d’une banque au réseau Swift, c’est lui interdire de recevoir ou d’émettre des paiements via ce canal. Par ricochet, c’est aussi interdire à des établissements étrangers de commercer avec cette banque. </p>
<p>Or, sortir un pays aussi important que la Russie pourrait accélérer le développement d’un système concurrent, avec la Chine par exemple. Le système Swift a d’autant plus d’efficacité que tout le monde y participe. <em>«Opérationnellement, ce serait un vrai cassetête»</em>, reprend M. Wolff, surtout pour les Européens qui ont de nombreux échanges économiques avec leur voisin russe, fournisseur entre autres de gaz. </p>
<p>Les Occidentaux avaient déjà évoqué l’exclusion de la Russie du système Swift peu après l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014.</p>
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