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Sanjeev Ghurburrun: «Hors de question de blâmer la MPA alors qu’un fonctionnaire a ce dossier entre les mains»

4 mars 2022, 22:00

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Sanjeev Ghurburrun: «Hors de question de blâmer la MPA alors qu’un fonctionnaire a ce dossier entre les mains»

Le «Chairman» de la Mauritius Ports Authority (MPA) revient sur les trois bateaux de pêche échoués à Bain-des-Dames et Pointe-aux-Sables. Il évoque, avec colère, sa réforme retardée et aussi l’ingérence et la lenteur des fonctionnaires.

La MPA est à nouveau dans l’œil du cyclone avec l’échouement de trois navires au large de Bain-des-Dames et à Pointe-aux-Sables. Que s’est-il passé ?

En effet, trois navires ont échoué, deux à Bain-des-Dames et un à Pointe-aux-Sables. Ils revenaient du large après le départ du cyclone Emnati. (L’alerte IV ayant été levée dimanche 20 février.) Un premier navire s’est échoué, les autres ont ensuite voulu lui porter secours, semble-t-il. Sauf qu’ils sont restés bloqués à cause du banc de sable dans cette région. À la MPA notre priorité a été de sauver les vies et d’empêcher quelque oil spill. Le tug Vasileos a été déployé, des sea booms également. Nous avons réussi ces stratégies.

Comment ces navires ont-ils été drossés sur ce banc de sable au même moment ?

Il y a une explication, mais il faut que les diverses procédures puissent apporter des précisions. Il faut savoir que ces navires n’ont pas été fabriqués pour résister à des houles de trois mètres. Une situation qui automatiquement impacte leur navigation et qui a eu pour résultat leur échouement. À la levée des alertes cycloniques à Maurice, les navires peuvent aussitôt entrer dans le port. Cet état de choses doit changer car des navires ne peuvent naviguer avec ces houles cyclo- niques. (Des houles de trois mètres étaient annoncées dans le bulletin météo du 23 février).

Il faut dire que cela fait une semaine que la MPA n’a pas communiqué au sujet de cet incident.

Écoutez, je n’étais pas à Maurice mais à l’Expo 2020 pour la logistics week à Dubaï. Ce n’est que samedi que j’ai repris la main sur le Salvage Support Committee. Mais j’ai appris qu’une équipe a été constituée avec le Joint Committee mercredi dernier, soit le jour de l’accident. Les représentants de divers ministères, la police entre autres se sont réunis. Il a été décidé que le ministre Maudhoo (responsable du Shipping Division), le commissaire de police et le Prime Minister’s Office (PMO) communiqueraient sur ce triple échouement. Nous avions des impératifs car des vies humaines et la sécurité étaient en jeu. Le tug Vasileos est allé sur place mais n’a pu désenclaver les navires à cause du banc de sable. Un constat a été fait.

Concrètement qu’est-ce qui a été fait depuis samedi ?

Le Salvage Team a fait un constat des risques de fissures et pour renflouer un des bateaux. Pour éviter tout déversement du Marine Gas Oil (diesel), il y a eu une opération de pompage. Nous avons tenté de renflouer le bateau samedi à 10 heures mais il n’y avait pas assez de marée. Et à 16 heures, nous avons constaté qu’il fallait faire des réparations avant de tirer en mer, ce qui a été possible vers 20 heures. Le Wen hung Dar No.168 a pu se dégager et une partie en cale sèche du Taylor Smith également selon les arrangements avec l’agent maritime.

Quel est le sort du deuxième navire ?

C’est une autre paire de manches. Il contenait 80 tonnes de poisson et du Marine Gas Oil, ce qui complique la situation car le navire est penché et les accès à la cale sont petits. La priorité est de pomper le diesel et de sortir le poisson pour alléger le navire. Les hélicoptères ne peuvent pas retirer du diesel dans les cubitainers aussi rapidement. Du coup cela retarde les opérations. Qui plus est, les 80 tonnes de poisson ont commencé à pourrir émettant du sulfure d’hydrogène (H2S) qui a une odeur pourrie. On retire les polluants et les poissons pour les mettre dans de gros sacs. Nous verrons si nous pouvons alléger le bateau pour renflouer.

Qu’est-ce qui a été entrepris pour éviter ces accidents à l’avenir ?

Le conseiller au PMO Prakash Maunthrooa a été nommé pour mener une enquête interne, soit une investigation on workplace pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné à la MPA concernant l’échouement de ces trois navires. Cette enquête se fera en deux volets. L’External Communication Department verra l’enquête sur le radar, le tug planning, l’emergency response. De notre côté nous avons demandé qu’une tierce personne comme un cabinet d’avocat mène cette enquête, mais Prakash Maunthrooa va la confier à un expert maritime. Parallèlement, le département de Shipping doit mener son enquête pour expliquer comment ces trois bateaux se sont drossés à Bain-des-Dames et à Pointe-aux-Sables.

Cependant ce n’est pas la première fois qu’un bateau de pêche s’échoue dans cette région...

La MPA va consacrer ce trimestre à ce problème de bateaux de pêche. Nous allons revoir la procédure d’octroi de licence. Le département de Shipping octroie déjà des licences pour ces bateaux. Or, ces navires devront aussi demander un port license qui sera plus strict car nous allons devoir mettre en avant la sécurité du port. Ces bateaux sont conçus pour faire du berth to berth. Avec leur petit moteur et leur ancre courte, il leur est difficile de faire face à de fortes houles. Il y a également très peu de collaboration entre les ship agents et les compagnies de ces bateaux. Souvan zot zwe sove ena sanz nimero. Nous n’allons plus tolérer cela. Nous envisageons aussi d’imposer un Insurance Cost, cela même si le Protection and Indemnity (P&I) Cover couvre les frais car souvent les agents maritimes sont peu coopératifs ou injoignables.

La météo est souvent mise en cause dans ces accidents...

Écoutez, la Météo de Maurice enlève les alertes cycloniques lorsqu’il n’y a pas de vents cycloniques. Mais pour ce qu’il se passe en mer, avec le passage de deux cyclones, nous avons vu que la zone était difficilement navigable. Si je suis la logique, les bateaux qui ont quitté le port avec les alertes cycloniques doivent trouver refuge hors de la rade ou partir au large lorsque l’alerte II est émise. Nous allons changer cette règle, vu que l’élément houle n’est pas pris en compte. Tant qu’il y a des houles d’un certain niveau et au-delà, les navires ne pourront retourner dans le port ou s’approcher de la zone portuaire car c’est un risque. Dans ce cas précis, même avec un remorqueur, nous n’aurons pu empêcher que cet accident se produise à cause des houles.

Pourtant les détracteurs de la MPA disent que des remorqueurs auraient pu être utilisés pour empêcher cet accident ou même renflouer les navires.

Écoutez, nous avons pu trouver un arrangement avec le remorqueur Vasileos qui n’était pas dans la zone au moment de l’accident. Le tug est arrivé le lendemain et a constaté qu’il était difficile de tirer le bateau sur le banc de sable. Si les navires avaient été en difficulté en dehors de la rade, nous aurions pu empêcher tout accident car en cas d’urgence ce remorqueur aurait été déployé. Nous voulons que le système de tug soit entièrement privatisé, en le louant ou en trouvant un opérateur pouvant aider au remorquage des navires, car nous sommes critiqués sur nos remorqueurs en panne et indisponibles. À la MPA nous avons décidé de ne plus acheter de tug car en quatre ans aucun appel d’offres n’a été responsive. La meilleure solution serait d’avoir un Consolidated Fund financé par les opérateurs du port pour offrir un service de remorquage en cas de situation d’urgence. Mais cet arrangement et le principe de ce fonds doivent être approuvés par le Conseil des ministres.

À chaque échouement la MPA est pointée du doigt, pourquoi selon vous ?

En pratique la Mauritius Ports Authority est un corps parapublic. Concrètement, nous devons rendre des comptes à notre Parent Ministry, soit l’External Communication Department du Prime Minister’s Office. D’ailleurs, des fonctionnaires du PMO siègent au sein du board de la MPA. 85 % des décisions prises à la MPA sont sujettes à une clearance du Parent Ministry. Toutes les demandes de licences ou de terrain doivent être examinées par un fonctionnaire du PMO. Il y a une pratique qui s’appelle le due diligence qui fait qu’un dossier disparaît durant quatre mois voire plus, pour avoir l’avis favorable avant d’être validé par la MPA. Or, des projets n’ont pas abouti au bout de six mois voire depuis 2014. C’est ce ralentissement par les fonctionnaires qui freine le processus. Un exemple, j’ai soumis mon dossier de réforme depuis le 8 novembre dernier, il doit être dans un tiroir.

Autre exemple concret, j’ai pu négocier la venue de la ligne maritime Mitsui. Il a fallu trois mois pour une clearance de due diligence. Les fonctionnaires ne réalisent pas que ces clearances sont trop longues et gâchent le relationnel. Les fonctionnaires du PMO prennent trop de temps et retardent la réforme, dont ma vision 2040 pour le port. Si ena kit spill devan kifer pou blam MPA. Il est hors de question de blâmer la MPA pour quoi que ce soit, alors qu’un fonctionnaire a ce dossier entre les mains. C’est à lui de répondre.

En octobre dernier nous aurions dû travailler sur le rapport HRD de la Cargo Handling Corporation Limited et la MPA. Nous avons contacté le port d’Antwerp (NdlR, un port aux Pays-Bas) pour venir nous assister concernant notre organigramme et pour vérifier si nous avons de bonnes pratiques dans plusieurs domaines. On nous a dit qu’on pouvait faire sans eux.

L’an dernier le mot réforme était omniprésent. Aujourd’hui, à vous entendre la réforme du port est dans la balance ?

Si on n’a pas de clearance pour la réforme, ce sera difficile de rendre le port efficient selon la vision 2040. J’ai lu dans la presse qu’il y a un conflit entre l’hôtel du gouvernement et Sanjeev. Je comprends tout à fait que lorsqu’il y a une crise, on veuille garder le problème loin du PMO. Mais il y a quelqu’un qui s’occupe du port depuis que le directeur général Shekur Suntah est là. Le PMO peut nommer un consultant qui fit so profile. Il n’y a jamais eu ce problème entre la MPA, le PMO et moi. Concernant une éventuelle relation conflictuelle avec la DG par intérim (NdlR, Aruna Devi Bunwaree Ramsaha), c’est faux. Nous savions depuis six mois qui devait partir à Dubaï. Shakeel Goburdhone devait également partir pour une visite du port de Dubaï DP World et du port d’Abu Dhabi. Il était convenu que Madame Ramsaha parte à une conférence IAPH à Vancouver au Canada. Je suis parti à Dubaï mais comme alternate, ce qui n’était pas prévu.

La réforme est-elle en suspens ?

Écoutez le ministre des Finances a demandé Rs 1,5 mil- liard pour le port de pêche et pour le bunkering. Je n’ai plus cela. Ce que je peux vous dire, c’est que le gouvernement est en train de nationaliser la MPA à cause d’une question de rating, alors qu’une collaboration avec le privé aurait dû être privilégiée. Avec cela la réforme deviendra plus difficile à mettre en œuvre. Lueur d’espoir, un comité sur la réforme a vu le jour. Mais il est difficile de se prononcer sur ce qu’il en résultera et de savoir pendant combien de temps nous aurons le feu vert.

Pourquoi, selon vous ?

Nous avons le choix de faire la réforme ou de ne pas la faire. Mais il ne faut pas blâmer la MPA car nous avons fait des demandes qui n’ont pas encore été approuvées. Nous avons l’impression que le board decides subject to the Parent Ministry decision. Exemple : nous devons faire partir un locataire. Quelqu’un du PMO nous a dit : ‘stop your actions’. C’est de l’ingérence. Je ne suis pas d’accord, c’est illégal. Pou mwa, la MPA bizin independan, si ou pa kontan, met mwa deor, Sanjeev pa pou swiv. Pa vinn dir MPA responsab, alor ki Parent Ministry ena plis pouvvar, get desizion, blok desizion, sanz desizion e a lextrem rod inpoz so desizion. Si nou resi sanz sa mentalite dan ene corps paraétatique lezot kapav swiv.

La réforme accuse un retard mais avez-vous obtenu le financement ?

Oui. Mais ce sera au cabinet ministériel d’approuver la réforme. Nous avons déjà identifié avec qui nous allons mener la politique du port vert. Cette réforme doit se faire, car la MPA a du potentiel. Mais les ralentissements posent un risque.

À vous entendre vous donnez du crédit à la thèse suivante : comment peut-on être efficient si l’institution est composée de fonctionnaires pas très productifs et de nominés politiques ? N’est-ce pas là le cocktail explosif pour un échec ?

Il y a deux façons de voir cela. Il y a un nominé politique, politiquement correct, employé sans raison et qui tolère des messieurs qui sont là depuis longtemps. Oui, c’est un échec à ce moment-là. Ou alors, vous avez celui que vous avez mis à la barre, supposé apporter avec la vision 2040, une vision déjà déclarée, qui a fait un successful salvage, et qui a un plan avec des solutions. Les fonctionnaires, eux, ils existent et font partie de la machinerie. Nous on veut travailler de pair avec le secteur privé et accélérer les choses.