Publicité

Interview | Tania Diolle: «les députés souffrent aussi de la cherté de la vie»

13 mars 2022, 17:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Interview | Tania Diolle: «les députés souffrent aussi de la cherté de la vie»

Quand il est question de cherté de la vie ou d’effritement de la démocratie, on oublierait presque que c’est une députée du gouvernement qu’on interviewe. Cela dit, Tania Diolle jure fidélité à Pravind Jugnauth. Paradoxal, dites-vous ? Vous n’avez encore rien lu.

Vous vous faites régulièrement critiquer – à tort ou à raison – sur les réseaux sociaux. Vous aviez imaginé cela quand vous avez commencé votre parcours politique ?
Surtout pas. La violence et la virulence ont commencé en 2017. En 2019, cela a pris une autre intensité. Je me rends compte que plus on se rapproche du pouvoir, plus l’adversité et l’intensité des attaques augmentent. Ce que j’apprécie le moins, ce sont les commentaires sexistes ou liés au genre. Il y a des critiques qui me passent par-dessus la tête et il y a peut-être des choses que j’ai mal faites – je ne suis pas infaillible – mais le sexisme en politique me dérange.

Mais il n’y avait rien de sexiste dans les critiques de «folie de grandeur» que vous avez essuyées pour avoir fait immatriculer votre Mercedes «TD18» ?
Ce n’est pas «ma» Mercedes. Je n’ai rien acheté. Je n’ai pas acheté de voiture. Je pense être une des rares à ne pas l’avoir fait.

« Il y a trop de tensions (...) on ne peut avoir un gouvernement contre tout le monde »

L’histoire de  «TD 18», c’est quoi ?
Il y a 10 voitures à la disposition des PPS, qui sont la propriété de la police. Quand j’ai été nommée PPS, on m’a donnée celle de l’ex-PPS Alain Aliphon. C’est tout.

Alain Aliphon n’avait pas immatriculé sa voiture «TD18» !
La plaque d’Alain Aliphon ne me dérangeait pas.  Mais tous les PPS ont changé leur plaque par leurs initiales et le numéro de la circonscription ; j’ai suivi la tendance. J’ai copié. Croyez-moi ou pas, j’ai résisté avant de le faire. Je ne voulais pas. Finalement j’ai cédé, et voilà pourquoi j’ai été la dernière dans ce cas.

C’était une erreur ?
Certainement pas. Au contraire, je garderai la plaque. Je vais l’acheter à la fin de mon mandat et la garder comme trademark. (Elle rit de manière très décontractée). TD18 c’est devenu ma trademark. Cette histoire m’a donné une combativité que vous ne pouvez pas imaginer. C’était tellement injuste et faux. Je n’ai jamais acheté de voiture. Vous vous rendez compte combien de membres du gouvernement ont changé de voiture et ont obtenu des voitures de fonction neuves ? Je ne l’ai pas fait. Et c’est moi qu’on attaque ?

Combatif, c’est aussi l’état d’esprit du gouvernement à l’approche des échéances électorales ?
Le gouvernement – du moins les PPS car je ne fais pas partie du cabinet – contrairement à l’opposition, a l’avantage d’avoir un état d’esprit et de savoir où il va, instauré par le leadership. Nous avons un programme, en dépit du fait que nous avons connu des crises que les anciens n’ont pas connues. Les gens ne réalisent pas l’impact du Covid sur un député du gouvernement. Quand on est jeune, que c’est notre première expérience et que le Covid nous tombe dessus sans qu’on y soit préparé, c’est terriblement déstabilisant. Nous rencontrons des mandants…

(On l’interrompt). Encore plus quand vous devez expliquer aux mandants les scandales comme le Molnupiravir ou la vidéo du ministre de la Santé chantant «koukouroukoukou» alors que les infirmiers et médecins sont sur le front…
(Elle sourit puis reprend un air sérieux) Franchement, la seule chose qui m’a gênée, c’est l’achat des médicaments. Les révélations m’ont choquée. Jagutpal a le droit de danser autant qu’il veut. Il a le droit de souffler. Il travaille très dur. C’est quelqu’un de très humble et une très bonne personne. Avec la pression qu’il subit, je n’ai aucun problème à ce qu’il s’amuse de temps en temps. En revanche, les révélations sur l’achat de comprimés de Molnupiravir, ça agace quand on est au gouvernement.

Quel est, selon vous, le «mood» de la population aujourd’hui ? Êtes-vous également dans cette tour d’ivoire avec l’illusion que tout va bien pour ce peuple à 100 % derrière le gouvernement MSM ?
Non. Je ne suis dans aucune tour d’ivoire. Je ne me fais aucune illusion et je suis réaliste. Je vois les difficultés de la population. La crise et la récession actuelles sont sans précédent. Une dépression s’installe. Le niveau de vie de la population change et cela va s’aggraver car nous dépendons tellement des autres pays, particulièrement de l’Europe. J’admets que la vie est dure. J’ai moi-même grandi dans une famille modeste et nous n’avons connu que des ascensions sociales. Les jeunes d’aujourd’hui risquent fort de ne pas connaître cette ascension car les opportunités sont restreintes.

On peut tout mettre sur le dos du Covid et de l’invasion russe en Ukraine ?
Le programme du gouvernement était basé sur la prospérité du pays. On ne s’attendait pas à ces coups. Tout est tellement imprévisible. Je suis cependant d’accord pour dire qu’il faudra se réaligner. Nous ne pouvons plus présenter de budget de prospérité.

« Si la population n'est pas satisfaite, elle a le droit de ne pas nous choisir »

Expliquez ça à la «Dadi» de La Source, le quartier où nous sommes, qui attend toujours sa pension à Rs 13 500. Une promesse, c’est une promesse…
Je la comprends tout à fait. Le prix des commodités et l’inflation lui donnent raison. Je pense qu’il y aura des efforts pour tenir cette promesse. Cette dadi dont vous parlez, sa pension finance peut-être une famille entière. Donc elle ressent de plein fouet les augmentations. Du coup, la pension à Rs 13 500 devient, à juste titre, une obsession. Ce n’est plus une promesse. C’est un besoin. Je pense que le gouvernement fera de son mieux pour tenir cette promesse. Mais de l’autre côté, il nous faut des jeunes qui travaillent, qui changent de mindset, qui commencent à entreprendre et à réfléchir. Le gouvernement ne détient pas le monopole du développement économique. Ce sont les jeunes entrepreneurs qui feront la différence.

Vous êtes bien placée pour savoir que le système économique est cadenassé. L’élite économique nourrit les politiques qui lui retournent l’ascenseur en empêchant l’émergence de nouvelles forces. Est-ce que finalement tout ça n’est pas la chute du capitalisme ?
Pour qu’on abolisse ce système capitaliste, il faut une alternative. Nous ne sommes pas autosuffisants. Ceux qui le sont peuvent se permettre de se renfermer, mais nous non. On ne produit pas assez de nourriture pour nous tous dans ce pays. On a intégré un modèle qu’on ne peut pas quitter d’un claquement de doigt.

 «Il faut que la société civile et les intellectuels se réveillent»

C’est un reproche qu’on peut faire au MSM et à tous les partis qui ont dirigé ce pays. On bétonne partout, on construit des IRS, on fait des dons à l’oligarchie sucrière en convertissant gratuitement ses terres agricoles. Vous en tirez des leçons ?
Oui. Définitivement. Ce n’est pas le capitalisme le problème, cependant. On a aujourd’hui plus que jamais besoin du secteur privé. On doit l’inciter à réinvestir pour qu’il reprenne son autonomie économique. Il doit faire fonctionner le pays. Ce serait le pire moment pour un conflit État-secteur privé. On n’a plus que jamais besoin d’une synergie. Oublions les discours anticapitalistes pour le moment. Nous n’avons pas le choix. Nous sommes en crise. Il nous faut plus que jamais une synergie avec le secteur privé.

En leur offrant des cadeaux genre MIC, n’est-ce pas ? C’est en opposition à cette philosophie que vous avez rejoint le MMM à vos débuts en politique. N’êtes-vous pas en porte-à-faux avec vos propres valeurs ?
Vous savez, je suis une modérée. Je ne suis pas contre le gros capital. Je ne suis pas une extrémiste comme certains. Je suis, comme ce gouvernement, socialiste. Tout en encadrant en encourageant la production de la richesse par le secteur privé, le gouvernement distribue aussi beaucoup. Il y a eu beaucoup de safety nets pour empêcher, par exemple, le licenciement. La population ne réalise pas le coût de l’amortissement de la crise. Je concède qu’il peut y avoir la perception que le gros capital est favorisé, mais il ne faut pas oublier l’investissement massif qui a été consenti sur l’humain, avant et depuis l’apparition du Covid. Cet investissement a été fait pour que l’argent continue à circuler. Prenez la pension de vieillesse, par exemple. Je ne dis pas ça d’un point de vue électoraliste, mais si elle n’était pas à Rs 9 000, vous pouvez imaginer la situation ?

Ces arguments et explications n’accrochent pas sur une kes savon. Nous sommes potentiellement dans une année électorale avec les élections municipales. Il y a l’enjeu de 2024. Concèderez-vous que, généralement après une crise, le peuple vote pour le changement, c’est ce qui va se passer en 2024 ?
Je ne pense pas. Le peuple veut le changement. Les jeunes politiciens comme moi veulent un changement. Mais un changement implique une alternative. Donc si vous me dites que la population va voter pour un changement, ce sera quoi le changement ?

Donc Ramgoolam et Bérenger restent les «best assets» du gouvernement ?
Là n’est pas la question. Parlons franchement. C’est quoi le changement qu’ils proposent ? En 2019, j’ai rejoint le gouvernement, parce qu’il avait présenté le plus de réformes comparé aux autres leaders. Aujourd’hui, on me dit que ces leaders vont apporter un changement ? Quel changement ? Ce sera quoi la différence.  En 2019, leur programme n’était qu’une surenchère de notre programme.

«Il est temps d'enlever les parties antidémocratiques de la Covid Act.»

En parlant de leaders, essayez de me convaincre que Pravind Jugnauth est un démocrate. J’ai des doutes.
(Elle rit). Ce n’est pas à moi de vous convaincre. Je peux vous dire que moi je suis une vraie démocrate. Je ne peux pas vous convaincre qu’une autre personne l’est. C’est à elle de vous convaincre par ses actions et vos interactions avec lui. Je ne peux pas être l’avocate de tous. Mais je suis alignée par bien des façons sur ce leadership. Je ne suis pas là pour vous dire qui est quoi, parce que les valeurs sont très personnelles.

Les valeurs sont personnelles, mais votre siège et votre voix à l’Assemblée nationale contribuent à déterminer qui commande la majorité.
J’adhère au leadership de Pravind Jugnauth.

Ce même Pravind Jugnauth qui a présenté la loi sur l’IBA, provoquant une vague de consternation, venant même des radios considérées comme un peu chatwa…
(Elle hoche la tête tout au long de notre longue question)

… Ce qui pousse l’organisation V-Dem à nous catégoriser d’«autocratie»…
D’abord par rapport à la loi. Je me souviens, j’avais le Covid à l’époque et je n’avais pas participé aux débats. Tout ce qui a été dit ne s’est pas produit. Il y a eu des spéculations et des exagérations. C’est attristant.

Pour le moment il n’y a rien eu… Rien pour le moment. L’épée de Damoclès est là.
Le jour où cela arrive, moi-même je vais donner un coup de main pour empêcher les dérives totalitaires.

Le jour où l’IBA va sanctionner Top FM, vous serez dans le camp de Top FM ?
Cela dépend de la sanction. Mais n’oubliez pas qu’une démocratie a besoin de médias qui informent. V-Dem a montré du doigt le gouvernement, mais également l’opposition, pour la circulation de fausses nouvelles durant les campagnes électorales. Cela pollue la démocratie. Donc les médias ont une responsabilité.

Permettez. V-Dem dit aussi que les nouvelles lois régissant les radios ont également compté dans cette autocratisation de Maurice…
Vous voulez mon avis sur l’IBA Act ? Je pense qu’il n’est pas normal que la licence d’une radio ne soit que pour une année. Ça joue contre nous et je n’en ai pas compris la logique. Mais tout le reste, c’est à dire, la révélation des sources et toutes les autres accusations formulées n’existent pas dans la loi. Ce n’est pas vrai. L’opposition disait que cela allait l’être dans la pratique. Je n’ai pas vu comment la loi permettrait ce genre de choses. Si jamais cela arrive, il faut résister. Permettez que je fasse l’observation suivante : l’État a besoin des médias et il faut bâtir cette relation. Ce n’est pas une relation de complaisance, je suis d’accord, mais il faut un arbitre.

Il y a suffisamment d’arbitres, et pire, les délits de presse existent toujours à Maurice alors que la tendance mondiale est à la dépénalisation.
Ah bon ? Mais qui décide quand il y a un différend ?

Mais la justice. La Cour suprême.
Mais que se passe-t-il quand c’est the other way round ? Il faut un arbitre. (Elle ne nous cède pas la parole et poursuit). Écoutez. Je ne suis pas d’accord que mon pays prenne une tendance qui l’éloigne de la démocratie. Pour empêcher que cela n’arrive, il faut des garde-fous neutres.

Mais la neutralité, c’est le judiciaire. Ce même judiciaire qui avait prononcé un jugement favorable à Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint…
Mais la Cour Suprême n’est pas une instance spécialisée dans les médias. Vous savez à combien de reprises de fausses informations ont été publiées à mon sujet ? Si j’avais poursuivi au civil, on aurait dit que j’attaque les médias. (Elle ne nous laisse pas l’interrompre). Ensuite cette déposition que j’ai faite contre cette dame (NdlR : Fariha Ruhomally). J’ai juste porté plainte car elle faisait toutes sortes de commentaires sexistes et dénigrantes contre moi. Les médias m’ont accusée de bafouer ses droits. Pourtant je ne faisais que défendre les miens. Pour le reste, je n’ai rien à voir avec les agissements de la police par la suite. Dans ce cas précis, vous ne pensez pas qu’il fallait un arbitre ?

Vous avez vu comment l’arbitre a agi ? Il a débarqué chez la personne aux petites heures…
La police n’est pas l’arbitre. C’est une Law Enforcement Agency. Il y avait déjà un conflit entre la police et elle. Et la police a débarqué chez elle. Je n’ai jamais voulu ça.

Vous y êtes pour quelque chose quand même non ?
(Elle perçoit le sarcasme de notre sourire et éclate de rire). Je vous jure que je n’ai pas le pouvoir de demander à la police de débarquer chez qui que ce soit.

Vous n’avez pas dit à la police d’aller la surprendre aux petites heures ?
Du tout ! Jamais ! J’ai appris cela dans la presse.

Attendez. It comes with the territory, n’est-ce pas ? Il y a les médias sérieux, qui se plient à un code de déontologie, qui vérifient les faits, et de l’autre il y a les critiques citoyennes amplifiées via les réseaux sociaux. On dirait que le gouvernement en a développé une allergie et que cela vous rend fou…
Non ce n’est pas vrai. Il y a une différence entre un dénigrement, une attaque basse et une critique. Au contraire, on a besoin de critiques en ce moment. On a besoin de personnes qui puissent analyser des problèmes, des lois et formuler des propositions.

Je répète. It comes with the territory. Vous pensez que le Premier ministre suédois ou danois, des pays les mieux classés en démocratie, vont porter plainte contre ceux qui les dénigrent sur les réseaux ?
C’est pour cela qu’il faut un arbitre. Dans ces pays, il y a une très forte culture démocratique, des garde-fous. Maurice évolue, mais nous n’avons pas encore cette forte structure démocratique. Je ne crois pas que dans les pays que vous citez il y ait autant de diffamation. Ces pays ont des institutions de médiation qui ne sont ni dans le camp des médias, ni celui des politiques…

(On l’interrompt) Mais les institutions à Maurice dépendent totalement du et ont un bias envers le Premier ministre…
Donnez-moi un exemple…

L’ICAC ?
L’ICAC à mon avis est indépendante.

Ah bon ? Vous ne pensez pas que M. Beekarry est à la solde du Premier ministre ? Je vous invite à avoir un regard froid et impartial…
Je suis membre du comité parlementaire de l’ICAC et je ne suis pas d’accord avec vous. Je ne sais pas sur quoi vous vous basez pour dire cela. Rationnellement, je ne vois pas comment un Premier ministre peut s’ingérer dans toutes ces institutions.

Rationnellement. Mais rien n’est rationnel dans ce pays…
(Elle fait semblant de ne pas nous entendre). C’est impossible. Vous savez combien de travail implique le suivi des opérations d’une institution ?

Je vous donne un autre exemple. La censure du Cardinal Piat par la MBC.
(Elle recule sur sa chaise, baisse les épaules, et sourit timidement). Oui, oui, ça c’est grave.

Vous ne pensez pas que la consigne aurait pu venir d’un politique ?
J’espère que non.

Je ne vous parle pas de vos espérances.
Écoutez, je n’ai pas apprécié ce qui s’est passé. Moi j’ai eu comme version que c’était un excès de zèle. J’ai eu l’assurance que cela n’avait rien de politique.

Une version qui m’est parvenue et qui n’a évidemment pas été fact-checked puisque tout est tellement hermétique et qu’il n’y a pas de «Freedom of Information Act», c’est que la consigne serait venue de quelqu’un, au féminin, et que cette personne tire toujours les ficelles…
Je ne vois pas de qui vous voulez parler et je n’ai pas eu cette version. J’ai exprimé mon mécontentement de cet incident. La direction de la MBC a commis une bourde, elle a assumé, et pour moi l’incident est clos. Je préfère ne pas écouter les palabres. Le temps est précieux. Il faut que nous soyons tous concentrés à créer une synergie. Il faut un sursaut national. Car aujourd’hui, le gouvernement seul ne pourra pas affronter la crise. Il faut arrêter ces divisions.

Quelles divisions ?
(L’air exaspérée). Non, mais on ne peut pas avoir un gouvernement contre tout le monde.

C’est votre impression ? Que le gouvernement est contre tout le monde, et vice versa ?
Mais il y a trop de tensions. Regardez les médias. On peut se disputer, ne pas se parler pendant une semaine, mais je ne peux pas faire sans vous. C’est vous qui influencez le mood de la population. Donc toute cette négativité, il faut que cela s’arrête.  Le secteur privé, l’opposition, on a besoin de tout le monde pour surmonter cette crise. La société civile, les think-tanks, les intellectuels, où sont-ils ? Au milieu de cette crise où nous rencontrons de nouveaux problèmes, vous avez entendu un think-tank, une ONG parler de ces problèmes ?

C’est peut-être le gouvernement le problème. Il n’inspire pas confiance et personne ne lui parle.
Mais ils doivent s’exprimer. Ce n’est pas le pays du gouvernement. C’est notre pays à nous tous. Oubliez les élections et la politique. Il faut que la société civile et les intellectuels se réveillent. Ce n’est pas le moment d’être dépressif. C’est le moment du sursaut et de la reconstruction. Disons que vous n’aimez pas ma personne, mais la fonction est là pour vous aider.

J’ai plutôt l’impression que le gouvernement est sourd. Vous avez vu le prix du carburant ? Tout le monde demande qu’on réduise la taxe pour respirer. Le gouvernement fait semblant de ne pas entendre.
Vous pensez qu’on peut, là maintenant, revoir ces taxes ?

C’est ce que souhaite la population à mon avis.
Disons qu’il faut revoir la stratégie économique, revoir les paramètres.

(On l’interrompt). Je vous parie qu’après la parution de cette interview, quelqu’un dira sur les réseaux : «Bé li so Mercedes TD18 li gagn lesans gouvernma. Ki traka li gagne li ?»
Je vais accepter la critique. Il y a la perception que les choses sont plus faciles pour moi et j’imagine que c’est plus facile chez moi que dans les familles où il y a eu des pertes d’emploi. Mais j’essaie de faire de mon mieux pour aider ceux dans le besoin. Je concède que nous avons des privilèges. Je concède la perception que nous ne souffrons pas, mais au fond, nous souffrons aussi. Vous savez plus la pauvreté augmente, moins je touche mon salaire. Quand les gens viennent vous voir et qu’ils sont dans le besoin et la détresse, vous pensez que je peux les laisser repartir sans leur apporter une aide financière ? Je distribue des sacs alimentaires que je remplis avec mon salaire. Il ne faut pas croire que les députés ne connaissent pas l’inflation.

Donc, tourné zorey, bye bye Charlie, je ne serai pas candidate en 2024 et j’arrête la politique ?
Surtout pas. Je suis plus que jamais motivée. Je veux une démocratie élargie, une population épanouie, un dialogue et un travail collectif, sinon cela ne sert à rien de faire de la politique.

Démocratie, épanouissement, dialogue, pour l’heure, je ne vois aucune case à cocher.
Il faut y travailler. Je comprends qu’avec la Covid Act la démocratie ne semble pas être une priorité. Mais les démocrates doivent maintenir le cap. Il ne faut pas qu’ils arrêtent de croire. Si cela arrive, cela va nous mener à notre perte.

Parlons le plus simplement possible. Vous n’êtes donc pas en train de renier l’effritement de la démocratie ?
(L’air grave). Je ne renie absolument pas. C’est ce qui arrive dans les situations de crise. J’ai participé aux débats sur le Covid Bill, j’ai voté, parce qu’à ce moment précis c’était nécessaire. Mais ça ne doit pas devenir une culture. On doit garder nos valeurs, nos principes, notre culture démocratique.

Donc il est temps d’enlever les parties antidémocratiques de la Covid Act ?
Oui, c’est précisément ce que je suis en train de vous dire. Je ne crois pas que quiconque dans le gouvernement soit contre. On en a discuté.

Un peu de démocratie serait le retrait de votre vieux leader Alan Ganoo, pour vous céder, pourquoi pas, le leadership du parti ?
(Elle éclate de rire). Pour être leader, il faut construire son étoffe. Je suis en train de construire la mienne. Je n’aime pas être parachutée. Je ne sais pas où j’en serais dans mon apprentissage en 2024. Au sujet d’Alan Ganoo, on n’a pas parlé de sa candidature en 2024. 

Vous en pensez quoi ? N’est-il pas un vieux dinosaure qui devrait se retirer ?
Cela dépend de son état d’esprit. Je l’ai connu toujours très combatif et très enclin à aider les autres. S’il est dans cet état d’esprit, il peut rester. Sinon, c’est à lui de prendre sa décision.

Vous n’entendez pas le cri de la population pour un rajeunissement de la politique ?
Au numéro 14, je n’entends pas cela au sujet de Ganoo. Personnellement, je ne crois pas dans un rajeunissement drastique. Il faut que ce soit graduel.

S’il faut vous évaluer, qui importe le plus : l’opinion de Ganoo ou celle de Pravind Jugnauth ?
Les deux. Disons que le Premier ministre reste le Premier ministre avec ses prérogatives. Quand vous avez choisi un leadership, vous devez suivre.

Vous avez choisi Pravind Jugnauth, «ad vitam aeternam» ?
Je vais peut-être vous étonner, mais je n'approuve pas ceux qui quittent le MMM aujourd’hui. Ils avaient pris une décision et ils doivent rester pour le meilleur et pour le pire. Moi, j’ai choisi mon camp. Celui de Pravind Jugnauth. Je resterai pour le meilleur et pour le pire. Je n’ai pas envie d’être une marchandise politique à vendre. À moins qu’il n’y ait une grosse et grave transgression de mes valeurs, c’est autre chose.  Je ne suis pas comme ceux de l’opposition qui n’acceptent pas d’être dans l’opposition. Être politicienne implique le risque de se retrouver dans l’opposition et c’est un risque que j’ai pris et que je prendrai.

Vous ne m’avez pas l’air du tout inquiète de la future alliance PTr-MMM ?
(L’air nonchalante et sans vantardise). Non, non.

Même en vue des municipales ?
Vous savez, on travaille. Si la population n’est pas satisfaite, elle a le droit de ne pas nous choisir. Je vais tout faire pour qu’elle nous choisisse. Si elle ne le fait pas, pas de problème. Si cela arrive aux municipales, je vais travailler avec le parti élu avec le même dévouement. Je ne suis pas entré au gouvernement pour me chamailler. Ils veulent faire alliance, pas de problème. Mais je vais me battre.

La bataille de Quatre-Bornes aurait été plus facile si vous étiez ministre ?
Non. L’apprentissage est important et il a fallu que je passe par ce poste de PPS. Être PPS m’a rapprochée de la population et c’est peut-être même un avantage.

La photo où on vous voit tenir vos chaussures, marcher dans l’eau avec vos jeans retroussés dans un Quatre-Bornes inondé, c’était une com réfléchie ?
Ah non. Vous croyez que j’ai posé comme ça ? C’est ce qui s’est vraiment passé à l’avenue Berthaud. Ce que la photo ne dit pas c’est que mes chaussures étaient déjà trempées à ce moment-là. Je venais de marcher dans une énorme flaque.

On aurait préféré ne pas voir Quatre-Bornes inondée plutôt que vous voir marchant dans cet état…
Sur ce point-là, vous ne pouvez rien me reprocher. Les travaux avancent très vite. Lors des pluies de cette semaine, il y a juste eu un peu d’accumulation à La Louise. On a réduit les accumulations de 75 %. Et là encore ce sont juste les mesures palliatives. Il y a un cut-off drain permanent à construire. Il faut acheter un terrain, et c’est en train d’être fait. On est en train de résoudre des problèmes vieux de 30 à 35 ans.

Ultime question. Choisissez entre ces propositions, le problème le plus important pour le pays. A) La drogue synthétique. B) L’absence d’alternative politique. C) L’effritement de la démocratie.
Je dirai ‘B’ l’absence d’alternative. L’alternative politique résoudra tous les autres problèmes, notamment celui d’une opposition qui est aussi responsable de l’effritement de la démocratie.

Tania Diolle, merci beaucoup. La décision de vous confier à l’express était-elle facile ou vous a-t-il fallu du courage ?
Il m’a fallu du courage (Rires).