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Hommage │Meera Mohun: un coeur tant épris de musique

17 mars 2022, 14:00

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Hommage │Meera Mohun: un coeur tant épris de musique

Elle a brillé par sa simplicité. Et une grande douceur dans la voix. L’artiste Meera Mohun a incarné la force tranquille. Depuis hier, son chant ne résonne plus. Mais un air reste : «Mon coeur épris», duo magique avec le Réunionnais Dominique Barret. Retour sur le parcours de cette chanteuse, qui était libraire dans la vie. Parmi les chapitres de son existence : un passage très contesté à la présidence de la «Mauritius Society of Authors».

Jeunesse : pas la permission de sortir 

Adolescente, Meera Mohun rêve de danses classiques indiennes. Dans son salon à Tranquebar, il y avait beaucoup de figurines de danseuses. Au Stratford College, à Port-Louis, où elle étudie (qui n’existe plus aujourd’hui), lors d’une remise des prix, Meera Mohun remplace une élève absente. C’est le tout début d’une carrière. 

Encouragée par les applaudissements, elle passe des auditions. Par hasard, Bhye Gokulsing, producteur d’émissions pour la télévision nationale, l’entend chanter. Il l’invite sur le plateau de Hamara Desh Hamri Zindagi. Nous sommes dans les années 70. Meera Mohun a 16 ans. Malgré tous ses efforts pour convaincre sa mère, la jeune fille n’obtient pas la permission de participer à l’émission. Alors, Bhye Gokulsing est venu chez elle pour convaincre sa mère, pour qui les filles ne sortent pas pour faire ces choses-là. Celle-ci finit par accepter. Une quinzaine de jours après son passage à la télé, Meera Mohun est réinvitée. 

Chanson : «Mon coeur épris», un duo magique 

Au cours de sa longue carrière musicale, Meera Mohun n’a pas fait beaucoup d’albums. Waves, le dernier, sort en 2006. Parmi les huit titres figure Ishq, un duo avec Sandra Mayotte. 

C’est un autre duo qui propulse Meera Mohun au sommet de la gloire : Mon coeur épris, avec le Réunionnais Dominique Barret, sort en 2010, sur l’album Si ou di oui. Et dire que ce duo a mis du temps à se concrétiser. Meera Mohun avait raconté comment, à l’époque, soit Dominique Barret est pris, soit c’est elle qui n’est pas à Maurice. 

Jusqu’à ce que Gérard Louis, le producteur de Meera Mohun, intervienne. Dominique Barret et Meera Mohun se retrouvent en studio. Patiemment, il lui montre sa chanson. Meera écoute, traduit quelques paroles. «Mo pa ti lé gat album enn personn», se souvenait-elle. Dominique Barret chante. Meera Mohun lui répond. L’ambiance romantique s’installe. «Dominique ti kontan toutswit, li dir nou anrézistré samem sinon mo pou bliyé.» Le duo est enregistré en moins de deux heures. 

Carrière de libraire : à l’ombre de Nalanda, rue Bourbon 

Après le collège, Meera Mohun se retrouve chez Nalanda, à la rue Bourbon. La librairie appartient à son oncle, Beekrumsing Ramlallah, journaliste, fondateur du Mauritius Times et homme politique. «Il trouvait que j’étais trop timide, alors il m’a dit de donner un coup de main à la librairie.» En 1995, Meera Mohun devient la gérante. Au total, elle y a travaillé pendant 32 ans. Mais le chapitre ne connaît pas de «happy end». 

Meera Mohun repart de zéro. Elle s’associe à l’auteur Bhismadev Seebaluck et à Rani Heeraman pour démarrer une nouvelle librairie, rue Bourbon. Mais cela ne marche pas. Elle s’occupe d’une autre librairie, située en face du Paille-en-Queue Court. Cela ne dure pas non plus. «Mo’nn pran mo paké liv mo’nn vinn lakaz», avait-elle simplement dit. Pour faire de la vente de livres à partir de son domicile. En 2018, elle confiait : «Il faut subsister. C’est extrêmement difficile de dépendre de ce business. Il n’est pas rentable, comme peuvent être les commerces de nourriture, de vêtements, de bijoux. C’est un business sacré pour moi. Mais les gens ne comprennent pas cela.» 

Élections d’artistes: Dans le «karo kann» 

Par deux fois, Meera Mohun s’est présentée aux élections pour un siège au conseil d’administration de la Mauritius Society of Authors (MASA). Mais elle n’est pas élue. Pire, la seconde fois, en 2011, tous les autres membres de l’équipe d’artistes avec qui elle a fait campagne sont élus. Sauf elle. «J’ai eu l’impression que l’on s’est servi de moi. Il manquait une personne d’une certaine communauté au sein du groupe, et on m’a sollicitée car j’avais le bon profil», avait-elle expliqué. 

Présidente de la MASA: Un mandat «laflam» 

Revirement de situation en 2012. Le ministre des Arts et de la culture d’alors, Mookhesswur Choonee, nomme Meera Mohun présidente de la MASA. Cette nomination intervient au moment où Harold Lai, qui assume la suppléance au poste de directeur de la MASA depuis la suspension de Gérard Louise, est lui aussi interdit de ses fonctions. Meera Mohun succède à Gérard Télot qui avait démissionné de la MASA en novembre 2011. 

Elle se heurte à de vifs mécontentements. Six mois après sa prise de fonction, Meera Mohun déclarait : «Il y a eu une forme de frustration chez certains membres du groupe Harmonie. Lorsque j’ai été nommée présidente de la MASA, ces personnes ont dit haut et fort qu’elles désapprouvaient ma nomination. Sur le board, elles ont l’impression de me casser psychologiquement, mais je tiens le coup.» 

L’année suivante, Meera Mohun révèle : «Je suis victime d’attaques personnelles de certains membres car je ne cautionne pas les conflits d’intérêts.» La situation est d’autant plus compliquée que la société des droits d’auteur est dans un marasme économique de longue date. Son mandat s’achève en 2014. 

Quand on lui disait MASA, Meera Mohun répondait : «‘Mo’nn pas dan laflam.’ Mais l’or doit passer par le feu pour briller. J’ai vu l’hypocrisie à son apogée. Aujourd’hui, j’ai compris que tout le monde n’a pas la même sincérité que moi.»

 

Réactions

<p>Le décès de Meera Mohun, inoubliable artiste mauricienne, a suscité beaucoup d&rsquo;émotions dans le pays. Aujourd&rsquo;hui, ils sont nombreux à lui rendre hommage. Les artistes qui l&rsquo;ont côtoyée depuis des années, ou depuis le début de sa carrière pour certains, se sont exprimés sur la femme exceptionnelle qu&rsquo;elle était.</p>

<p><strong>Gérard Louis, producteur : </strong><em><strong>&laquo;Meera était ma soeur&raquo;&nbsp;</strong><br />
	&laquo;Meera et moi étions comme frère et soeur. Enfant, j&rsquo;ai vécu chez elle. Nous étions voisins. J&rsquo;ai du mal à croire qu&rsquo;elle s&rsquo;en est allée. Pas plus tard qu&rsquo;hier (NdlR, mardi) nous nous sommes parlé au téléphone. Nous étions en pleine préparation d&rsquo;un concert. Elle voulait organiser un concert hommage à Lata Mageshkar, qui était sa chanteuse préférée. Avec son décès, c&rsquo;est une grande dame de la musique qui s&rsquo;en est allée. Elle aimait la musique sous toutes ses formes, elle n&rsquo;avait pas de préférence, et c&rsquo;était une qualité rare. Elle a joué avec plusieurs grands musiciens étrangers, dont son duo avec Dominique Barret qui l&rsquo;a rendue célèbre.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p><strong>Dominique Maillot, producteur Réunionnais : </strong><em><strong>&laquo;C&rsquo;était une artiste réservée mais pointilleuse&raquo;&nbsp;</strong><br />
	&laquo;J&rsquo;ai plusieurs fois produit Meera Mohun et Dominique Barret en concert à La Réunion et j&rsquo;étais très surpris ce matin (NdlR, hier) d&rsquo;apprendre son décès. C&rsquo;est Gérard Louis qui m&rsquo;a appelé pour m&rsquo;annoncer la mauvaise nouvelle. Il n&rsquo;y a pas si longtemps, je prenais de ses nouvelles et j&rsquo;étais content d&rsquo;apprendre qu&rsquo;elle était toujours active malgré son âge avancé. Son départ est vraiment malheureux. Je garde d&rsquo;elle une image d&rsquo;une artiste très réservée, très gentille et très pointilleuse en ce qui concerne le travail. Je me souviens que quand quelque chose n&rsquo;était pas bon, il fallait absolument recommencer. Sa façon de chanter était une première pour nous. Quand j&rsquo;ai appris son décès, j&rsquo;ai prévenu ceux qui ont travaillé avec elle à La Réunion.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p><strong>Dominique Barret, chanteur Réunionnais :</strong><em><strong> &laquo;Elle avait une sagesse hors du commun&raquo;&nbsp;</strong><br />
	&laquo;Je suis encore sous le choc. Je ne réalise pas encore qu&rsquo;elle est partie. Je ne trouve pas les mots pour m&rsquo;exprimer. Je garde de très bons souvenirs d&rsquo;elle, pas seulement en tant que chanteuse, mais surtout en tant qu&rsquo;amie. Après le succès que nous avons eu avec Mon coeur épris, un succès auquel on ne s&rsquo;attendait pas, on s&rsquo;est liés d&rsquo;amitié. Mais je dois dire que cela faisait un moment qu&rsquo;on ne s&rsquo;était pas parlé. Je ne connais pas les circonstances exactes de son décès. Mais nous avons eu des moments intenses en tant qu&rsquo;artistes, mais aussi en tant qu&rsquo;amis. C&rsquo;était une belle personne. Elle avait une belle âme avec une sagesse hors du commun.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p><strong>Paul Raya, ex-membre du board de la MASA : </strong><em><strong>&laquo;Linn fer so travay avek léker&raquo;&nbsp;</strong><br />
	&laquo;J&rsquo;ai connu Meera Mohun lorsqu&rsquo;elle était la présidente du board de la MASA. Elle était une femme à la tête alors que le board était majoritairement composé d&rsquo;hommes et c&rsquo;était très bien. Elle a bien fait les choses et a apporté sa contribution. Elle était un exemple pour les autres femmes de la MASA. Ces dernières étaient également plus à l&rsquo;aise pour lui parler. Linn fer so travay avek léker.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p><strong>Mario Armel, chanteur :</strong><em><strong> &laquo;Nous avons fait un duo ensemble&raquo;&nbsp;</strong><br />
	&laquo;J&rsquo;ai connu Meera Mohun bien avant d&rsquo;intégrer le board de la MASA à ses côtés. Je l&rsquo;ai connue quand elle chantait dans des groupes orientaux. Elle était mon amie. Ti enn mari bon dimounn et je ne le dis pas parce qu&rsquo;elle est décédée maintenant. Nous avons même fait un duo ensemble, et ce bien avant Mon coeur épris. La chanson était une reprise et s&rsquo;intitulait Jane Chaman, une chanson extraite de la bande originale du film Goomam. Malheureusement, cela n&rsquo;avait pas fait grand bruit. À l&rsquo;époque, certains voyaient mal comment deux personnes de communautés différentes pouvaient chanter ensemble. Sur le titre je chantais en hindi et Meera m&rsquo;avait appris la bonne diction. Avec son départ nous avons perdu une grande dame de la chanson orientale.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p><strong>Kishore Taucoory, des Bhojpuri Boys :</strong><em><strong> &laquo;C&rsquo;est la nightingale of mauritius&raquo;&nbsp;</strong><br />
	&laquo;Je connais Meera depuis plus de 40 ans. Elle avait une belle voix, elle était la Nightingale of Mauritius. Elle était one of the best. Je suis très triste de son départ. Je l&rsquo;ai connue quand elle faisait partie des groupes orientaux. Elle chante depuis longtemps. Elle était aussi une amie de mon épouse. Je me souviens que quand mon père est décédé, elle est venue chanter avec son équipe. Elle était parmi les premières à faire les mehfil, soit des soirées de poésie et de musique. Les mélomanes de la musique bollywoodienne ne l&rsquo;oublieront pas. Lil Moris pou tou létan rapel li.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p><strong>Sandra Mayotte, députée et artiste : <em>&laquo;Elle avait un grand coeur&raquo;&nbsp;</em></strong><br />
	<em>&laquo;Je me suis réveillée avec le coeur gros. Je suis encore sous le choc. Je suis très triste de son départ. C&rsquo;était une personne qui avait un très grand coeur, elle était très généreuse. Elle était l&rsquo;une des plus belles voix de la chanson hindoustanie. Une Lata Mangeshkar mauricienne. Elle avait son orchestre à l&rsquo;époque et nous savons comment la femme est vue quand elle est sur scène, plus encore dans le passé. C&rsquo;est Gérard Louis qui nous avait présentées. Il me l&rsquo;a présentée comme étant sa soeur. Depuis, nous sommes devenues très proches. Nous avons partagé des concerts et des tournées ainsi qu&rsquo;une chanson que nous avons faites ensemble, Ishq. C&rsquo;est l&rsquo;héritage qu&rsquo;elle m&rsquo;a laissé.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p><strong>Sedley Assonne, auteur : </strong><em><strong>&laquo;Elle voulait apporter les livres aux enfants&raquo;&nbsp;</strong><br />
	&laquo;C&rsquo;est une grande perte pour la musique mauricienne. Meera Mohun a été parmi les premiers artistes à faire cette fusion entre la musique orientale et occidentale avec Mario Armel en 2004. Elle a toujours été à l&rsquo;avant-garde de l&rsquo;expérience musicale. C&rsquo;est donc en toute logique qu&rsquo;elle a fait ce duo avec Dominique Barret qui a été un grand succès. Je la rencontrais souvent dans des foires de livres car elle avait aussi une librairie à la rue La Corderie à Port-Louis, puis à Stanley, à Rose-Hill. Elle était très au courant de ce qui se passait dans la société mauricienne. Elle était une artiste engagée. Je me souviens que quand elle a ouvert sa librairie à Stanley, elle avait dit qu&rsquo;elle voulait apporter les livres aux enfants de ce quartier. Elle avait le souci des autres. C&rsquo;est très triste qu&rsquo;elle soit partie.&raquo;</em></p>