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Pénurie de devises: les signaux contradictoires de la BoM interpellent les commerçants
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Pénurie de devises: les signaux contradictoires de la BoM interpellent les commerçants
Il ne faut pas se voiler la face. Le pays est toujours confronté à une pénurie de devises. Les commerçants en font toujours les frais, faisant face à un véritable casse-tête chinois depuis plus d’une année afin de trouver des devises pour régler leurs factures. Les importateurs d’huile n’y échappent pas d’ailleurs actuellement, même si de part et d’autre, certains opérateurs tentent de relativiser, insistant que le problème ne se pose pas aujourd’hui de manière aiguë. Encore que les récents propos du gouverneur de la Banque de Maurice sur l’état du marché forex font tiquer la communauté des affaires.
Concrètement, Harvesh Seegolam semblait dire après la dernière réunion du Monetary Policy Committee (MPC) le 9 mars que le marché des changes s’améliore et que depuis le début de l’année les banques commerciales y sont plus présentes pour s’approvisionner en devises au lieu de les vendre. Ce qui du coup a poussé la BoM à réduire le rythme de ses interventions monétaires, consciente que le marché forex commence à générer des devises.
Faut-il comprendre alors que la crise des devises relève du passé et qu’il n’y a pas réellement un manque de dollars notamment. D’autant plus que la BoM a vendu sur le marché USD 2,8 milliards, soit Rs 123,4 milliards au taux du jour, depuis le début de la pandémie en mars 2020. Et que toute la démarche du BoM Tower, insiste son patron, se situe dans sa volonté à «contain excessive exchange rate volatility». Entendons bien. Or, ce n’est pas malheureusement pas le même son de cloche du côté des commerçants et importateurs qui vivent au quotidien la réalité de cette problématique. À les écouter, la situation perdure.
Davantage d’interventions
Jacques Li Wan Po, industriel connu de la place et très au fait des rouages de la politique monétaire de la banque centrale, ayant été un membre du MPC dans le passé, explique que la situation ne s’est pas beaucoup améliorée contrairement à l’analyse de la BoM. «Même s’il n’y a pas une pénurie totale de devises sur le marché, force est de constater que les commerçants ont des difficultés à trouver des devises dans le circuit bancaire pour régler leurs factures. Bien de fois, on nous fait savoir qu’on ne peut nous fournir qu’une partie, soit USD 2 000 sur US 10 000 qu’on avait recherchés et généralement à un taux supérieur à celui fixé par la Banque de Maurice. Évidemment nous n’avons pas d’autre choix que nous plier aux conditions des banques et essayer peutêtre de trouver la différence auprès d’autres institutions financières. C’est une question liée au principe de l’offre et de la demande.»
Plus nuancé, un dirigeant du groupe Innodis, un des plus gros importateurs de denrées alimentaires, estime que même s’il existe toujours un manque de devises sur le marché, il faut se conforter à l’idée qu’on arrive à la fin de la journée à réunir la somme recherchée, quitte à se montrer patient et attendre des jours, voire des semaines. «Il faut s’attendre ainsi à ce qu’il y ait des retards à payer nos fournisseurs. Nous avons la chance de travailler à crédit avec ces derniers et de régler les factures après. Nous ne subissons pas totalement l’effet de ces retards. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres qui doivent faire face aux fluctuations des prix à l’importation, vu qu’ils doivent régler les factures avant que leurs marchandises ne soient acheminées vers Maurice.»
Certes, la solution immédiate relève de la BoM et les opérateurs soutiennent qu’il n’y a malheureusement pas mille solutions. «Il faut, explique Jacques Li Wan Po, que la BoM poursuive ses interventions sur le marché et à un rythme plus accéléré.» Or, la BoM a réduit la cadence de ses opérations en passant le relais à l’hôtellerie, qui après 18 mois d’inactivité, a enregistré ses premiers touristes le 1er octobre dernier avec l’ouverture des frontières. «Le pays a accueilli environ 262 000 touristes depuis la réouverture des frontières jusqu’à fin février. La moyenne des dépenses d’un touriste a augmenté de 40 % au dernier trimestre 2021 alors que le nombre de nuitées est de 12 contre 10 lors de la période prépandémique. Il y a nécessité de donner à ce secteur tous les moyens pour qu’il puisse relever l’objectif d’un million de touristes par an», confiait Harvesh Seegolam récemment.
Ce qui, selon les spécialistes, permettrait à la BoM de respirer après deux années d’interventions intenses sur le marché des changes, entraînant des pressions sur ses finances. D’ailleurs, depuis le début de l’année, la BoM a émis des instruments pour éponger l’excès des liquidités à hauteur de Rs 29 milliards. «Il faut comprendre qu’un manque à gagner de presque Rs 100 milliards en devises étrangères avec la fermeture des frontières pèse nécessairement lourd sur le marché et contribue forcément à la pénurie», explique Dean Lam, Managing Director du pôle bancaire de la HSBC.
Ce dernier ajoute que comme tous les établissements bancaires, la disponibilité des réserves de la banque obéit à des règles strictement économiques avec le rapport entre l’offre et la demande. «Il y a aussi des critères portant sur les demandes de devises de la part d’un client. Il est clair qu’il y a une échelle des priorités qu’on analyse pour agir en conséquence», souligne le banquier, rappelant que comme la HSBC est une banque internationale, son focus est le Global Business avec le financement des activités transfrontalières. «Généralement, les financements se font en devises étrangères, donc le problème ne se pose pas.»
Par ailleurs, certains secteurs comme l’hôtellerie et la manufacture qui gèrent de grosses réserves en devises ne sont pas enclins à les écouler sur le marché du forex, préférant se livrer à des spéculations, notamment face à une roupie fortement dépréciée depuis ces derniers mois vis-àvis de la monnaie américaine.
Imrith Ramtohul, consultant en investissement et analyste financier, note que la récente hausse du taux d’intérêt de 25 points de base par la Fed américaine après quatre ans et les six autres majorations programmées jusqu’à la fin de 2022 sont susceptibles de faire grimper la valeur de la monnaie américaine. «Le dollar sera appelé à s’apprécier face à la roupie, toutes choses étant égales par ailleurs. Or, une forte hausse des arrivées touristiques à Maurice couplée à des exportations élevées devrait améliorer la disponibilité des devises étrangères sur le marché et pourrait dans la foulée contenir une dépréciation potentielle de la roupie.»
Comme quoi, il faut toujours se faire à l’idée que Maurice reste une économie insulaire, ce qui la rend à la fois fragile et tributaire du reste du monde. L’effet de la crise du Covid d’hier combiné à celui de la guerre russo-ukrainienne exige une certaine discipline dans la gestion des devises étrangères. Très souvent des facteurs externes peuvent tout chambouler.
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