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Crise sociale: the writing was on the wall

4 mai 2022, 14:00

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Crise sociale: the writing was on the wall

On aurait tort de réduire les récentes agitations sociales à une simple expression de la colère populaire face à l’incompréhension des dirigeants politiques du pays enfermés dans leur bulle. Et qui refusent de voir une certaine vérité, celle des risques de déclassement social auxquels une importante frange de la population est potentiellement confrontée aujourd’hui. Les causes sont plus profondes et l’explosion de cette crise sociale traduit un malaise plus grand qu’on ne saurait occulter.

Loin de dresser un parallèle de ces turbulences qui n’auront duré que 48 heures avec celles de février 1999 et de les «communaliser», comme certains tentent maladroitement de le faire au sein du gouvernement, il y a visiblement des signes qui ne trompent pas. La crise sociale d’aujourd’hui découle des conséquences économiques d’une pandémie qui est venue précariser de nombreuses familles victimes des effets économiques des licenciements ou du dégraissage d’effectifs dans certains secteurs sévèrement touchés pas la crise du Covid.

Sans pour autant nier l’assistance financière de l’État de Rs 27 milliards sous des dispositifs de chômage partiel ces deux dernières années, une récente enquête de Statistics Mauritius (SM) a aussi démontré que 76 % des foyers mauriciens ne parviennent pas à joindre les deux bouts, dont plus de 20 % sont incapables de s’acquitter de leurs factures des utilités publiques. Face à ce tableau, l’économiste Pierre Dinan confiait à l’époque que cette étude avait révélé que 26 % des ménages éprouvent de gros problèmes pour boucler leur budget, ajoutant que «cette tranche de 26 % est probablement celle qui se situe tout au bas de l’échelle des revenus, et comprend aussi, la partie inférieure de la classe moyenne».

«Les subventions sur les denrées de base, le gaz ménager ou l’électricité doivent être ciblées et dirigées vers des familles socialement affectées par la cherté de la vie.»

Sans doute oui, mais entre-temps la guerre russo-ukrainienne est venue changer la donne, déstabilisant le marché alimentaire mondial et entraînant les cours des matières premières vers des sommets vertigineux. Avec pour résultat que des denrées de base sous pression inflationnistes sont devenues inaccessibles à une catégorie de consommateurs même si le maintien des subventions a possiblement réduit l’impact de ces augmentations brutales.

Toutes proportions gardées, la manifestation de Camp-Levieux, suivie de celles d’autres localités, n’est pas comparable au «printemps arabe» de décembre 2010 dans son ampleur avec à la base un ensemble de contestations populaires. Mais elle avait un dénominateur commun avec la cherté de la vie suivant les récentes augmentations de prix. Toutefois, ces agitations sociales ont montré que le peuple sous le coup de massue d’un choc des prix n’est pas si docile qu’on ne le pensait, disposé aujourd’hui à se faire entendre dans la rue même s’il faut y affronter les forces de l’ordre. Chacun a certainement pu analyser et décrypter ces manifestations dans les moindres détails et sous différentes grilles de lecture : le gouvernement d’abord, sombrant dans la provocation, tentant de les politiser, avançant que les instigateurs de février 1999 sont les mêmes qui incitent des manifestants à descendre dans la rue ; ensuite, le secteur privé qui a su comprendre que «les évènements qui se sont déroulés dans plusieurs endroits du pays ces deux derniers jours sont la conséquence de la dégradation du pouvoir d’achat des Mauriciens». Et qu’il s’agit de travailler en bonne intelligence avec tous les stakeholders pour trouver des solutions permettant «à ceux qui sont dans le besoin, de retrouver un peu de la sérénité à laquelle ils ont droit».

Sans doute, les opérateurs économiques, qui ont vécu difficilement et tristement l’épisode Kaya, ne veulent pas sa réédition aujourd’hui. Février 1999 aura été un wake-up call pour le secteur privé sur sa responsabilité sociale et un questionnement qui sont toujours pertinents aujourd’hui : à quoi cela sert-il de réaliser des profits en milliards de roupies alors qu’à côté de l’entreprise, il y a des cités où les habitants vivent dans la pauvreté absolue ; et qu’il suffit d’une étincelle pour que toute la région s’embrase et les milliards avec. D’ailleurs, l’idée d’un fonds CSR lancé par les sociétés pour assurer le développement communautaire et aider les pauvres à grimper l’échelle sociale a été lancée dans le sillage des émeutes de Kaya.

À l’approche du Budget national, spécialistes comme travailleurs sociaux réfléchissent sur les meilleurs outils pour alléger la pression sur le porte-monnaie des consommateurs. Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, qui croit dur comme fer que la consommation peut être un formidable levier de croissance, a certainement intérêt à privilégier davantage une approche sociale, voire humaine, dans son prochain budget qui trop souvent reste un exercice comptable.

Or a-t-il les moyens quand l’État-Providence est sous forte pression avec les promesses électorales d’augmenter la pension de vieillesse à Rs 13 500 d’ici juin 2023 et que dans la foulée, il pourrait réviser à la hausse le salaire minimum ? Sans doute, avec une marge de manœuvre budgétaire étroite, le gouvernement ne dispose pas d’un large choix. Il existe pourtant une solution largement utilisée dans d’autres pays : une approche ciblée pour des prestations sociales, ce que Rama Sithanen alors ministre des Finances avait proposé mais qui lui avait valu des critiques acerbes au sein même de son parti et de l’opposition de l’époque, rejetant en bloc l’idée. Aujourd’hui, le PTr, tout comme d’autres partis politiques nationaux, a évolué sur la problématique du ciblage et l’a intégrée comme une réponse à la crise sociale.

D’une année à l’autre, le gouvernement a augmenté l’enveloppe budgétaire pour financer les prestations sociales. Celles-ci se montent aujourd’hui à plus de Rs 68 milliards (éducation, santé et sécurité sociale), soit 14 % du PIB. Uniquement pour la pension de vieillesse, le poids sur les finances publiques pèse lourd. Le montant se situe aujourd’hui à Rs 30 milliards et augmentera de Rs 15 milliards avec la pension passant à Rs 13 500 l’année prochaine et dont bénéficieront environ 200 000 retraités âgés de 65 ans à monter. Une véritable bombe à retardement face à laquelle la Banque mondiale a déjà tiré la sonnette d’alarme dans ses projections établies récemment dans son Systematic Country Diagnostic. Le ratio dette/PIB, alerte-t-elle, passerait à 120 % du PIB d’ici 2035, suivant l’introduction de la Contribution sociale, ex-CSG.

Dès lors, la question d’un ciblage favorisant les plus démunis de la société pour des subventions et autres prestations sociales d’une manière conséquente relève d’un bon sens économique. Une démarche qui permettra à l’État d’augmenter les différentes allocations sociales au méritant tout en réduisant le fardeau des charges sociales sur ses finances publiques. «Dans le contexte de fortes pressions inflationnistes, le ciblage demeure la meilleure option pour assurer une meilleure protection sociale aux ménages financièrement précaires en augmentant leur pouvoir d’achat. Les subventions sur les denrées de base, le gaz ménager ou l’électricité doivent être ciblées et dirigées vers des familles socialement affectées par la cherté de la vie», analyse Imrith Ramtohul, analyste financier et conseiller sur les pensions.

Or, aujourd’hui, le CEO d’un conglomérat touchant Rs 1 million ou plus par mois paie la bombonne de gaz subventionnée par l’État au même prix qu’un travailleur d’une société de nettoyage rémunéré au salaire minimum. On peut pousser la réflexion plus loin et ajouter à cette liste la pension de vieillesse et les autres prestations sociales. Sans doute, le modus operandi d’un système de ciblage peut faire tiquer les autorités, vu qu’il peut être exploité politiquement ou encore que les coûts administratifs de son application sont onéreux. Mais les spécialistes persistent et signent qu’il n’y a pas d’autre option et que les données sur le profil financier des ménages sont accessibles à la Mauritius Revenue Authority. Il suffit de faire preuve d’une certaine volonté…

Il ne faut pas se voiler la face et masquer une certaine réalité sociale. Celle-ci est parfois têtue et elle peut être explosive si elle est traitée légèrement aujourd’hui… et avec des dégâts économiques plus conséquents à l’avenir.