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Confidences deux ans après: Billy Samrandine raconte «labatwar» des Casernes centrales

4 juin 2022, 22:00

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Confidences deux ans après: Billy Samrandine raconte «labatwar» des Casernes centrales

Deux ans après les atrocités policières que sa famille et lui ont vécues pendant le confinement, Billy Samrandine ne s’en est toujours pas remis. Alors que son frère et lui continuent de comparaître en justice, un seul des 19 policiers de la descente plus que musclée à leur domicile, a été interdit de ses fonctions.

«Ou pe fer moi reviv sa... kouma mo rant dan kazern, menot dan mo lamin, mo trouv mo frer anba, li fini koumans gagnn bate… zot pous mwa, zot tap mwa enn kout tiyo dan koin mo likou, lerla nou perdi reso…»

La peur et de l’incertitude dans les yeux. Une voix tremblante mais déterminée à s’exprimer. Sa casquette rouge – poussiéreuse et trempée de sueur – raconte une autre histoire de son travail de manev mason. C’est ainsi que Billy Samrandine, 48 ans, qui nous a reçus, jeudi, dans la modeste demeure familiale à Résidence Vallijee, nous raconte la barbarie policière que ses proches et lui ont vécue pendant le confinement en mars 2020.

Les frères Billy et Ricardo Samrandine, alors âgés de 46 et 39 ans respectivement, se trouvaient à leur domicile avec leur famille au petit matin du 24 mars 2020 lorsqu’une équipe de policiers de la Tornado Squad, l’Anti Robbery Squad et de la SMF a fait irruption, les tabassant, y compris les femmes et les enfants, notamment avec des matraques électriques. Raison : la police allègue que certains membres de cette famille n’auraient pas respecté le couvre-feu et auraient endommagé un véhicule de police, lancé de l’eau chaude et des projectiles sur des policiers, ce qui les a obligés à planifier et mener l’opération avec l’aide d’une vingtaine de limiers.

Les vidéos montrant l’arrestation brutale des deux frères sous les cris et pleurs de leurs proches traumatisés, ainsi que la torture aux Casernes, dans laquelle on peut voir les deux frères au sol dans une mare de sang, l’un criant «to pou touy moi» alors que des policiers semblent prendre plaisir à demander «ey…tonn mor?», toutes supposément filmées par les policiers eux-mêmes-ont fait le tour des médias sociaux. Ce qui avait déclenché une vague d’indignation des internautes et poussé le Premier ministre Pravind Jugnauth et le commissaire de police d’alors, Mario Nobin, à réagir. Une enquête avait été ouverte. 19 policiers ont été identifiés – dont un chef inspecteur, un inspecteur, un sergent, 12 constables et quatre officiers de la SMF. Au final, un policier a été arrêté sous une accusation de torture.

Billy Samrandine nous raconte que le 24 mars 2020, son frère Ricardo, qui se trouvait dans le salon, a tenté de calmer les policiers en avouant qu’il avait enfreint le couvre-feu et qu’il devait donc être arrêté. Cela, en espérant qu’ils ne s’en prennent pas aux innocents de la famille. «Zot pann ekoute. Zot inn fini trap mo frer. Zot inn suiv mwa...zot ine bat mo belser ki malad ek mo frer ki ena epilepsy.»

«Li ti kapav mor»

De poursuivre qu’il a été battu et traîné jusqu’à l’arrière de sa maison, où il a réussi à entrer dans la salle de douche et à se cacher, avec les enfants. Il a supplié les policiers d’arrêter, au moins pour le bienêtre des petits. Il a néanmoins été traîné le long du couloir où les policiers lui ont asséné un coup de pied à la tête, avant de le cogner contre le mur, comme on peut également le voir dans la vidéo. «La mem ki monn koumans perdi konesans. Enn policie inn koumans met taser ar mwa», dit-il. Traîné jusqu’au salon, frappé brutalement à l’estomac et à la tête alors que son frère Ricardo était déjà emmené par la police.

Les larmes aux yeux, Billy Samrandine serre son petit-fils de deux ans dans les bras à la recherche de réconfort. «Li ti kapav mor», pleure le grand-père. Au moment de son arrestation brutale, sa fille Pascaline Samrandine, alors enceinte de huit mois, n’avait non plus été épargnée des agissements violents des policiers.

Sauf que le calvaire des Samrandine ne faisait que commencer. Notre interlocuteur se souvient qu’une fois aux Casernes centrales, qu’il qualifie de «labatwar», les policiers se relayaient pour agresser son frère et lui. «Kouma mo rant laba, menot dan la main, mo trouv mo frer emba. Li fini koumans gagnn bate... zot pouss mwa, tap mwa enn kout tiyo dan koin mo likou, lerla mem ki nou perdi reso net la.» Cette torture a duré environ deux à trois heures. Une éternité. «Apel sa labatwar...Premie kou mo krwar monn fini mor...kan zot trouv mwa pe asoupi, zot vinn zet dilo lor mwa. Zot inn met taser ar mwa boukou fwa...»

Billy Samrandine était tellement mal en point qu’il n’arrivait plus à exprimer sa douleur, dit-il. L’un des policiers (arrêté plus tard à la suite de l’enquête) a pris une caisse remplie de bouteilles vides et l’a fracassée sur la tête de Billy Samrandine. Cela, jusqu’à ce que toutes les bouteilles se brisent en mille morceaux. Il a pleuré et supplié les agents d’arrêter toute cette torture.

«Ils nous ont donné un ultimatum et nous ont forcés à plaider coupable à toutes les accusations nous menaçant de s’en prendre aux autres membres de notre famille. Ils ont dit qu’ils étaient comme des ‘magiciens’. Zot dir kot pena nanye, zot kapav fer ena... ou fini kompran ki zot pe rod dir.»

Changement de domicile

Les deux frères ont été hospitalisés à l’hôpital Dr A.G Jeetoo. D’autres membres de la famille, dont la fille de Billy, ont également été transportés d’urgence à l’hôpital par des proches pour recevoir des soins immédiats. Les Samrandine affirment que pendant leur visite à l’hôpital, ils ont été ouvertement menacés par la police au nez et à la barbe des membres du personnel soignant.

Billy Samrandine n’a pas pu travailler pendant six mois après ce cauchemar en raison de la douleur physique prolongée due à ses blessures. L’affliction mentale et émotionnelle de cet épisode de torture sur la famille est toujours vive. Une souffrance de toute une vie probablement, selon son cousin Hérold Samrandine.

Quant à Marceline Samrandine, 75 ans, la mère de Billy et Ricardo, elle est toujours dans l’incompréhension. À l’époque, elle venait de perdre son fils aîné dans un accident lorsque, à peine quelques semaines plus tard, elle a été témoin de l’agression de ses deux autres fils et de toute la violente scène à leur domicile. Pourtant, la veille, dit-elle, la police était venue dans la localité pour un contrôle pendant le couvre-feu et tout allait bien, il n’y a pas eu d’arrestation puisque la famille était dans l’enceinte de la maison.

Le lendemain au petit matin, Marceline Samrandine était à la porte quand les policiers ont fait irruption. Elle a reçu un coup et à ce momentlà, Billy Samrandine s’est précipité pour la protéger. «Il a pris l’autre coup et s’il n’était pas intervenu, je ne sais pas ce qui me serait arrivé. Je leur ai demandé pourquoi ils faisaient ça. Zot dir moi al dimann ou minis, li ki pe dir nou fer sa.»

La famille précise par ailleurs qu’au cours des deux dernières années, aucun soutien psychosocial ne leur a été proposé, ni des ONG, ni du ministère du Bien-être de la famille.

Billy enlève son T-shirt pour nous montrer les séquelles de l’agression, encore visibles sur son dos. Son cousin Herold déplore le manque de mesures, au niveau des institutions, pour aider les familles affectées par la brutalité policière à surmonter les cycles répétitifs de trauma. «Nou ena enn minis la fam, zanfan et lafami... kot li ete ?» Billy Samrandine voit un psychiatre depuis au moins un an, tant ce qu’il a vécu est toujours traumatisant. Il souffre toujours de tremblements dans les mains en raison de ses blessures. À chaque fois qu’il voit un policier à proximité ou qu’il entend parler des Casernes centrales, il ressent bien malgré lui une onde de frayeur.

Deux ans plus tard, Ricardo et Billy Samrandine continuent la tournée à la cour intermédiaire à Port-Louis pour répondre d’une accusation de «damaging property by band». Représentés par Me Erickson Mooneapillay, les deux frères ont été libérés sous caution contre une somme de Rs 5 000 en avril 2020 et une reconnaissance de dette de Rs 20 000.

Depuis, la condition explicite de leur libération sous caution précise qu’ils ne peuvent pas vivre dans leur maison de Résidence Vallijee et qu’ils doivent changer d’adresse. La police craint qu’ils pourraient ourdir un complot avec d’autres résidents pour agresser la police, ce qui ferait d’eux une «menace potentielle à la loi et l’ordre dans le pays».

Une demande accordée par la cour qui empêche Billy Samrandine de fermer l’œil la nuit. «Je me présente devant la justice depuis deux ans, pour finalement entendre le magistrat repousser la date sans même me donner la chance d’être entendu. Il s’agit d’allégations de la police pour lesquelles j’ai plaidé coupable sous la torture. Lorsqu’il s’agit de mes plaintes ou de l’enquête que l’ancien commissaire de police prétendait avoir initiée, rien n’a jamais été entendu. Je ne sais même pas où en sont les plaintes. Diman Premie minis la si li ti dan mo plas, ki li ti pou resenti ? Li pa pou kompran parski zame li pou kapav met li dan mo plas.»

Il faut noter que les frères Samrandine réclament Rs 25 millions de dommages pour brutalité policière. Ils envisagent également de présenter une motion visant à annuler la condition de leur libération sous caution afin qu’ils puissent au moins réintégrer leur foyer et vivre avec leur famille.

Des 19 policiers concernés, un seul arrêté et interdit de ses fonctions

Où en est l’enquête sur la descente barbare des policiers chez les Saramandine le 24 mars 2020 et les actes de brutalité sur les deux frères? Le commissaire de police d’alors, Mario Nobin, avait trouvé inacceptables des vidéos montrant des atrocités policières circulant sur les réseaux sociaux pendant le couvre-feu sanitaire et ordonné une enquête. Il avait parlé d’un «non-respect des droits humains». Le constable Maudarbocus, un habitant de Pailles âgé de 25 ans et posté à Bain-des-Dames, avait été arrêté par le CCID le 26 mars et avait passé la nuit en cellule pour brutalité policière. Il est depuis interdit de ses fonctions. Et les autres policiers qui avaient débarqué de cinq véhicules de police avant de perquisitionner la maison des Samrandine ? On avait mentionné 12 constables, quatre policiers de la SMF, un sergent, un inspecteur, un chef inspecteur. Ils étaient de plusieurs unités telles que la «Tornado Squad», la SMF, du poste de police de Bain-des-Dames, de l’«Anti Robbery Squad.»

Une source proche du dossier déclare que l’enquête est toujours en cours, pour reprendre la phrase toute faite des forces de l’ordre dans ce genre de cas. Jusqu’à quand ?