Publicité
Tortures policières | Lindley Couronne: «Certaines unités de la police ressemblent plus à une organisation mafieuse»
Par
Partager cet article
Tortures policières | Lindley Couronne: «Certaines unités de la police ressemblent plus à une organisation mafieuse»
Flics ou gangsters ? Pour certains, le directeur de Dis-Moi a une idée très précise. Il n’a pas attendu les vidéos pour savoir ce qui se tramait dans certaines unités. Il parle de l’hydre à la tête de la police, tape fort sur le patron du CCID et blâme toute la classe politique, qui, à part s’indigner, n’a jamais rien fait pour changer le contexte qui permet aux violences de s’exercer.
Votre association n’arrête pas de dénoncer les abus commis par la police et les gardes-chiourmes. Pourquoi a-t-il fallu que des preuves en sons et images soient rendues publiques pour que l’on se rende compte que vous aviez raison ?
J’aurais voulu avoir tort, surtout après avoir visionné les images de ces petits sadiques nazis en pleine action ! Mais que voulez vous… Beaucoup de citoyens mauriciens vivent les yeux fermés. C’est seulement quand leurs proches sont concernés qu’ils les ouvrent et viennent demander l’aide de notre Commission CAT (Convention against Torture). Caël Permes est mort et j’accuse directement Vinod Appadoo d’avoir institué un règne de terreur dans les prisons mauriciennes. Sous prétexte que Permes était un bandit, on a fermé les yeux et continué comme si de rien n’était. Si on ne fait pas attention, ce sera la même chose avec les méthodes barbares des Criminal Investigation Divisions (CID) de Maurice. On se laissera enfumer par Heman Jangi et ses manipulations.
Je vous sens en colère. N’y a-t-il rien de bon dans notre police ?
Dis-Moi ne fait pas que dénoncer, Monsieur. Depuis quelque temps, nous collaborons avec la police pour initier les recrues aux droits humains. Nous voyons des jeunes hommes et femmes tout frais et fiers de la profession qu’ils ont choisie et leur donnons des outils des droits humains pour mieux exercer leur métier. Évidemment, la police ne se résume pas à ces cyniques barbares qu’on voit dans les vidéos. Il y a des passionnés de ce métier envers et contre tout. Je vais vous surprendre. Des policiers (il y a même eu quelques hauts gradés) viennent se plaindre parfois à Dis-Moi des injustices qu’ils subissent. Mais il y en a dans tous les corps de métier non ?
En voyant ces vidéos et en vous rappelant des informations que vous détenez, avez-vous changé votre opinion de la police ?
Je le répète : il ne faut pas tout mélanger. Mais, pour moi, certaines unités de la police ressemblent plus à une organisation mafieuse ou de gangsters qu’à une force de l’ordre.
Les mots mafia et gangster ne sont-ils pas un peu forts ?
Je n’ai pas attendu ces vidéos pour savoir, par exemple, que certains éléments de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) pratiquent l’extorsion, fabriquent des preuves, torturent des citoyens. Si ce ne sont pas des méthodes de gangsters, ça y ressemble non ? Sauf peut-être que leur QI est un peu plus élevé que ceux de la CID car ils ne laissent pas de traces, eux.
Comment en est-on arrivé là ?
Je blâme notre classe politique, toute notre classe politique. Je souris quand j’entends Bérenger, Ramgoolam et Duval dénoncer et se transformer en défenseurs des droits de l’homme ! Mais qu’ont-ils fait pour changer un contexte qui permet la torture et autres exactions dans un confession-based system ? Rien. Quant à Gobin et Lesjongard, ils me font rire quand je les entends s’indigner. Maneesh Gobin, depuis 2018, a un formidable outil, le Police and Criminal Justice Bill, qui freinerait ces abus. Il n’a rien fait. Le Directeur des poursuites publiques (DPP), dans sa dernière newsletter, nous rappelle le travail qui a été fait par un consultant anglais, le juge Geoffrey Rivlin, à cet égard.
Nous reviendrons sur ce projet de loi progressiste selon vous. Mais pourquoi les politiciens veulent-ils garder le statu quo ?
Nous sommes un pays puritain et conservateur. Les choses changent très lentement et nos politiques préfèrent le statu quo, souvent. Et il faut bien le dire, ils ont besoin de la police pour leurs basses œuvres. Ramgoolam I et Ramgoolam II l’ont fait. Idem pour Jugnauth I et Jugnauth II. Il suffit d’avoir de la mémoire et d’avoir vécu un peu comme moi.
Faut-il changer les lois pour assainir cet état de choses ?
Vous parlez des politiques ou de la torture policière ? Dans son dernier bulletin, le DPP parle de l’urgence d’introduire la Police and Criminal Justice Act (PCJA) qui est une version améliorée de la Police and Criminal Evidence Act. Personne n’en parle vraiment et cela m’étonne beaucoup. Ni les politiciens, ni les avocats, ni les citoyens qui en sont encore dans la fureur et le bruit des réseaux sociaux. Je me demande combien d’entre eux ont pris la peine de lire ce projet révolutionnaire qu’est la PCJA.
Que propose ce texte qui révolutionnerait le système ?
D’abord, l’abolition de la charge provisoire, cause principale de tous les abus. Que voit-on dans les vidéos ? Des gangsters déguisés en policiers qui semblent avoir tout le temps matériel devant eux. Ils mangent, boivent, se saoulent, torturent parfois, et retournent jouer aux cartes ou au carom. Je suppose qu’après avoir fait tout cela, ils vont présenter le document de la confession au prévenu pour qu’il signe. Car il faut du temps pour organiser la torture de la sorte ! L’abolition de la charge provisoire les forcera à faire le travail pour lequel on les paie : enquêter, faire un travail de fourmi de collecte des preuves, interroger comme on interroge en 2022 et non pas comme dans la préhistoire de la police !
Ensuite, un custody officer dans toutes les stations de police. Par les temps qui courent, les détenus ont besoin d’anges-gardiens qui s’assureront que le travail se fait selon les procédures. Surtout ne pas donner à des tortionnaires la possibilité d’emmener le détenu là où ils veulent, quand ils veulent.
Vous avez demandé la démission d’Heman Jangi un peu comme l’entente de l’Espoir…
Excusez-moi. Je n’ai pas attendu les politiciens, ni ces vidéos, pour dire que je n’ai aucune confiance en Jangi. Encore une fois, il n’est qu’un pion aux mains des politiques. Analysons cliniquement la situation à la tête de la police. Nous avons un commissaire de police dont les fonctions sont régies par la Constitution, en théorie indépendant – même si notre Constitution est floue par certains côtés à cet égard – et, depuis quelque temps, un commissaire de police bis en la personne de Jangi. Qui lui a donné un tel pouvoir, sous contrat s’il vous plaît ? Pravind Jugnauth. J’ai côtoyé Khemraj Servansing qui était, lui, un homme intègre, mais sa marge de manœuvre était limitée par rapport au «monstre contractuel» que l’on a créé.
Vous concluez donc quoi ?
Évidemment, cette hydre à deux têtes ne pourra jamais fonctionner. Jangi agit comme un commissaire, distribue des ordres, se fait craindre et obéir. Donne-t-il toutes ses informations au commissaire ? Nous ferat-il croire que lui, un des hommes les mieux informés du pays, n’a jamais entendu parler de ces vidéos avant qu’on les rende publiques ? (Le pire, c’est qu’il va probablement enquêter sur les dysfonctionnements de ses propres services !). Certains journalistes semblent croire à ses fables ! Parlez aux officiers, et vous saurez de quoi je parle. Dans un tel système, il n’y aura jamais de stabilité dans la police. Même le meilleur commissaire de police, et le commissaire Dip est loin d’en être un, avec la meilleure volonté du monde ne pourra fonctionner dans une telle situation. Évidemment, certains policiers profitent de cette anarchie institutionnelle et du climat d’impunité qui y règne.
C’est son département qui va enquêter sur les violences des membres de la CID ?
Jangi n’a pas le droit moral d’enquêter sur les violences policières. Tous les officiers qui viennent me rencontrer me parlent de lui et comment il est «most unfit» pour occuper ce poste de Deputy Commissioner of Police Crime.
Ne s’est-il pas défendu dans cette affaire de vidéos ?
C’est sa tactique habituelle de «pa mwa sa li sa». Ainsi, il a fait transférer Kokil mais pas Ajodha qui devrait être «taken to task» depuis longtemps au Central Criminal Investigation Department.
Que faire alors ?
Révoquer Jangi le plus vite possible pour arrêter cette rapide dérive de la police. Demander au Premier ministre de laisser travailler la police. Demander à l’opposition son programme de réformes concrètes pour la police et ce qu’elle a à proposer à part l’indignation pour arrêter à jamais ces horreurs qu’on a visionnées.
Publicité
Les plus récents