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Pravind Jugnauth: quand «Ti Crétin» devient «Chacha»
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Pravind Jugnauth: quand «Ti Crétin» devient «Chacha»
Arrogant et nerveux. Mais aussi sournois et calculateur. Ceux qui ont côtoyé – ou qui côtoient toujours – celui qui a été affublé des sobriquets de «Ti Crétin» et «Pinocchio», parlent de «transformation». Ses expressions faciales, son «body language», son langage tout court en disent long parfois sur son état d’esprit. Comment expliquer cette «métamorphose»? «Atann nou gété…»
Sherry Singh l’a évoqué lors de l’épisode «révélations», la semaine dernière. «Il a changé depuis 2020», a indiqué celui qui, pourtant, maniait le «kalchoul» dans Lakwizinn aux côtés de Pravind Jugnauth. C’est vrai qu’au fil des ans, en passant par la grande porte des élections au lieu de l’imposte, il a pris de l’assurance, du galon. Mais avec, est venue l’arrogance, entre autres, lâchent nos interlocuteurs…
Il a fait son entrée officielle en politique en tant que candidat dans la circonscription n°11 (Vieux-Grand-Port–Rose-Belle), en 1995, où il a été battu. Mais Pravind Jugnauth n’a pas eu à siéger comme membre de l’opposition ou backbencher de la majorité et a eu la chance d’être nommé directement comme ministre de l’Agriculture par la suite, en 2000. Il est alors un personnage très effacé, selon un des anciens conseillers de son illustre et défunt père, sir Anerood Jugnauth (SAJ). Ce dernier avait d’ailleurs révélé, lors d’un entretien, qu’il avait déconseillé à son fils de faire de la politique.
N’empêche, grâce aux révélations dans l’affaire Angus Road, on a appris que les tractations pour l’achat de cette propriété avaient commencé lorsqu’il était à la tête de ce ministère. Mais il est loin le temps où le jeune Pravind Jugnauth se montrait le plus souvent souriant, affable, timide et même un peu naïf, selon des ténors de l’arène politique. À tel point que Paul Bérenger l’avait qualifié de «Ti Crétin», en 2010. Et quand il devient ministre des Finances, en 2003, en remplacement de «Rékin Moustas» – surnom que Pravind Jugnauth donnera au chef de file du MMM par la suite – qui était Premier ministre, le leader orange se montrait toujours relativement zen. C’est à cette époque qu’il avait lancé l’idée farfelue, qui n’a pas été mise en pratique, de Duty Free Island, se rappelleront certains.
Pravind Jugnauth est une nouvelle fois battu lors des élections générales de 2005 et son absence du Parlement entre cette année-là et 2008 le confine au rôle de leader du parti MSM. En 2006, Nando Bodha exercera le poste de leader de l’opposition et on dira que Pravind Jugnauth officiera comme leader du parti et sera même pendant deux ans en étroite coordination avec son équipe sur plusieurs aspects dont les questions parlementaires, les Private Notice Questions et même lors des présentations des différents Budgets. Mais il avait du mal à véritablement se sortir de l’ornière.
C’est grâce au soutien du Parti travailliste qu’il retrouvera le sourire et qu’il sera élu lors des élections partielles en 2008 au n°8 (Quartier-Militaire–Moka). Circonscription qu’il ne quittera plus jamais… Mais son passage au pouvoir sera marqué par un scandale : l’affaire MedPoint. Il démis- sionnera même du gouvernement avec d’autres membres de son parti, lorsque l’affaire éclatera.
«L’imposte»
Des tribulations plus tard, Pravind Jugnauth est élu en 2014, lorsque le gouvernement «Viré mam» remporte les législatives. Il se fait toujours petit, sous l’aile de son papa-mentor, quand il occupe le poste de ministre de l’Informatique et affiche toujours le sourire. Qui disparaît quand les magistrats Azam Neerooa et Niroshi Ramsoondar le condamnent dans l’affaire MedPoint. Pravind Jugnauth va donc démissionner et retourner au Sun Trust. En 2016, toutefois, il est acquitté devant la Cour suprême et retourne aussitôt au gouvernement comme ministre des Finances.
Entre-temps, le patriarche SAJ ressent les effets du temps qui passe, il s’affaiblit physiquement avec l’âge. On apprendra plus tard, notamment après la démission de Roshi Bhadain et Nando Bodha, comment des pressions commençaient à être exercées sur le «vieux» SAJ pour qu’il cède la place de Premier ministre. Bodha révélera en 2021 comment Pravind Jugnauth avait commencé à s’entourer d’un groupe de conseillers qui «cadenassaient» l’accès à s on bureau.
Retour donc en janvier 2017, lorsque SAJ cède effectivement sa place à Jugnauth junior… Commence alors une campagne menée par l’opposition et d’autres groupes contre cette accession au poste suprême «par l’imposte». Autre coup de tonnerre : le taux de stress grimpe une nouvelle fois pour Pravind Jugnauth à la mi-2017, lorsque le Directeur des poursuites publiques annonce sa décision de contester l’acquittement de ce dernier par la Cour suprême dans l’affaire MedPoint toujours. Malgré cette annonce, le «PM l’imposte» s’agrippe au poste de Premier ministre jusqu’au jugement du Privy Coucil, le 25 février 2019, en sa faveur. On sait que cette décision a été prise notamment en raison du virage à 180 degrés effectué par l’Independent Commission against Corruption.
Commence alors le changement…
Pravind Jugnauth reprend dès lors du poil de la bête. C’est là aussi que le sourire se fait narquois, il est parfois remplacé par un rictus moqueur face aux questions des journalistes et opposants. Il se montre aussi agressif, il est énervé. Ses sourcils se froncent souvent et la colère commencera à apparaître sur son visage. Elle sera visible jusqu’au port du masque obligatoire au Parlement en 2020.
Après sa réélection en novembre 2019, ses traits tirés, surtout à l’Assemblée nationale, seront un de ses signes distinctifs. En même temps, les scandales s’accumulent. Il n’est plus naïf, diront quelques-uns de ces proches collaborateurs, mais plutôt «sournois et calculateur». Le contraire même de ce qu’a été son papa, qui lui, brillait par son francparler et son impulsivité, à tel point qu’il n’hésitait pas «p****» sur ceux qui l’emmerdaient…
«Son père était celui qui le rappelait à l’ordre et qui lui donnait les conseils. C’est pour cela qu’il n’a pas basculé dans son arrogance avant. Mais depuis 2017, il s’est entouré de conseillers et de personnes peu recommandables qui lui ont monté la tête, qui lui font faire ou dire n’importe quoi. Qui lui cachent même la vérité et qui ne lui disent pas tout», analysent ceux qui ont côtoyé les Jugnauth, père et fils. Le Premier ministre est entouré «d’une troupe qui ne veut pas forcément son bien et qui le manipulent», explique-t-on. Et c’est un SAJ beaucoup trop âgé, lassé de la politique et qui ne pouvait plus tout contrôler, qui laissera le champ libre à son fils.
Pour Nando Bodha qui l’a côtoyé des années durant-soit depuis 1995, «il est triste de voir ce qu’est devenu Pravind Jugnauth. Il est aujourd’hui calculateur et s’accroche désespérément au pouvoir, dans le sens où il ne faut absolument pas perdre les prochaines élections. Il a peur. D’où le fait qu’il a cadenassé toutes les institutions…» Selon ses anciens alliés, Pravind Jugnauth joue également la carte du temps quand son gouvernement est éclaboussé par un scandale. «C’est son ultime tactique. Il pense qu’avec le temps, les gens finissent par oublier mais surtout plus il gagne du temps, plus il espère préparer sa réplique comme dans le cas d’Angus Road ou plus récemment dans le cadre des allégations faites par Sherry Singh. Mais cela ne marche toujours pas car il est toujours aussi mal conseillé. Ou sinon ou trouvé ki enn lot skandal fini par kouver présédanla… And it goes on!»
Piques lancées et questions évitées
Ses confrontations, face notamment aux questions de l’opposition, ressemblent désormais à des duels personnels. À chacune de ses réponses dans l’Hémicycle, Pravind Jugnauth s’attaque aux adversaires mais aussi souvent à Navin Ramgoolam, qui pourtant n’est plus au Parlement. Il utilise le passé pour justifier les actes présents. Il faut dire que l’arrivée de Sooroojdev Phokeer contribue à cette «impunité» que s’accordent le Premier ministre et ses suiveurs, pour s’en prendre au camp adverse.
On notera en outre l’utilisation de diverses autres tactiques pour ne pas répondre aux questions ou donner des réponses «voilées». Pravind Jugnauth semble ainsi être passé maître dans l’art de parler beaucoup pour ne rien dire, comme l’a rappelé Xavier Duval après la PNQ de ce mardi, lors de sa conférence de presse. Ses longues introductions ne laissent que peu de place à des questions supplémentaires. Lorsque l’opposition proteste vainement auprès de Phokeer, Pravind Jugnauth en profite toujours pour perdre encore du temps et pour faire des attaques personnelles…
Rajesh Bhagwan, député du MMM, parle, lui, d’un Pravind Jugnauth qu’il a connu durant des années, que ce soit dans l’opposition, au sein du Parlement, du même gouvernement et même pendant le «Remake 2014» ; ce n’est plus le même homme. «Li finn bien sanzé. Il utilise le pouvoir dans l’arrogance et il essaie de tout contrôler. Il se sent propriétaire du pays, du Parlement, plus récemment. Mais il faut lui rappeler qu’il est uniquement le propriétaire du Sun Trust», ironise Rajesh Bhagwan.
Ce colosse politique, parlementaire depuis 39 ans bientôt, explique qu’il n’a jamais vu la démocratie bafouée à ce point. «L’histoire peut en témoigner.» Mais ce qui le dérange le plus, c’est l’ingratitude et la haine de Pravind Jugnauth envers le leader des mauves. «Son attitude envers Bérenger est déplorable. On peut être adversaires mais avoir autant de haine pour une personne… Moi-même j’ai eu des différends avec Xavier Duval et le PMSD mais aujourd’hui, je respecte son travail et je le félicite pour le travail abattu comme leader de l’opposition. Le respect est primordial. Linn bliyé ki Bérenger ti souténir li kan li ti al Casernes?»
«Chacha» n’aime pas les journalistes sauf si…
Certains de nos interlocuteurs diront qui plus est que Pravind Jugnauth se réjouit de ces échanges et attaques sous la ceinture, encouragé et applaudi par sa majorité. Il s’énerve parfois à tel point que certaines de ses répliques sont restées mémorables. On se souvient du fameux «aster chacha» ou encore de son «klak tonn gagné, klaaaak» ou encore de son «alé do ta boufon». Le chef du gouvernement n’avait pas non plus hésité à sous-entendre que l’ancien leader de l’opposition, Arvin Boolell, entretenait une relation avec une dame dont il avait même cité le nom au Parlement.
À l’extérieur de ce «temple de la démocratie», le Premier ministre se montre de plus en plus agressif. Il l’est surtout face aux questions de la presse. On a vu comment samedi dernier, à Bois-Marchand, il s’en est pris à une journaliste au sujet de l’inflation. À noter d’ailleurs que Pravind Jugnauth n’organise plus de conférence de presse, comme cela se faisait en 2019, au bâtiment du Trésor, notamment. D’aucuns diront qu’il est passé maître dans l’art de fuir les questions embarrassantes, à coups de «atann nou gété», entre autres…
De plus, tous les journalistes ne sont pas invités à ses fonctions, notamment ceux de l’express et Top FM, ou le sont quelques fois à la dernière minute. En revanche, la MBC, elle, est toujours présente et est toujours disposée à poser des questions complaisantes et qui ne fâchent pas. Cependant, même lors de ses allocutions télévisées, Pravind Jugnauth semble crispé, il affiche un air sévère, comme paré à faire des remontrances à ses «chers compatriotes». Cela, en dépit de la gestuelle, de ses mains, qu’il utilise de plus en plus.
C’est seulement lors des fonctions organisées par des organisations socioculturelles qu’on peut voir un Pravind Jugnauth plus détendu, sachant qu’il est devant un auditoire conquis… Mais tout le monde n’est pas dupe.
Pinocchio…
D’où vient le surnom de Pinocchio, «Pinok» pour les intimes, dont est affublé Pravind Jugnauth et qu’on retrouve partout sur les réseaux sociaux depuis des années ? Un peu de littérature avant tout : Pinocchio est un personnage du livre écrit par l’italien Carlo Collodi. Mais c’est surtout le dessin animé produit par Walt Disney, en 1940, qui a rendu le personnage célèbre. Un de traits de Pinocchio est que son nez s’allonge à chaque fois qu’il ment. Ce surnom aurait été donné à Pravind Jugnauth par un ancien journaliste et conseiller de Navin Ramgoolam, lors des élections partielles au n°7 (Piton– Rivière-du-Rempart), en 2003. C’est aussi ainsi que l’avait appelé Paul Bérenger, ce dernier allant même jusqu’à l’appeler «honourable Pinocchio», au Parlement, en 2018…
Cependant, Pravind Jugnauth n’aime pas que l’on le traite de menteur. Au Parlement toujours, le mardi 29 juin, lorsque Xavier Duval lui a lancé ce mot à la figure, le principal concerné, offusqué, a alors répliqué : «What do you say? I never told the truth? How dare you say that? How dare you? I leave it to you!» Le dernier gros mensonge en date concerne en fait l’affaire Sherry Singh. Alors que samedi, Pravind Jugnauth déclarait qu’il avait parlé à Sherry Singh il y a «lontan», mercredi soir, soit quatre jours seulement après, il venait confesser, lors d’une fonction à Balaclava, qu’il avait bien parlé au CEO démissionnaire de Mauritius Telecom, le 15 avril dernier. À moins que pour lui, le «lontan» n’est pas si lointain et veut dire deux mois de cela. Les années 2000, par exemple, dateraient-elles ainsi de l’ère préhistorique pour notre Premier ministre ? Allez savoir…
Enter Modiji
«Chota Bharat», «Little India»… De par nos racines communes, nos ancêtres et notre amitié privilégiée avec la Grande péninsule,Maurice est décrit comme tel. Pravind Jugnauth se vante lui-même d’être proche de Narendra Modi, son homologue indien. À plusieurs reprises, lors de diverses réunions en tête-à-tête, notamment, le Premier ministre n’a d’ailleurs cessé de mettre l’accent sur les liens spéciaux qui nous unissent. Et certains obser- vateurs politiques soutiennent qui plus est que Pravind Jugnauth essaie de «copier» le style de Modi, dans sa façon de gouverner et même dans sa façon de s’habiller, lors de certaines fonctions. Le Premier ministre a d’ailleurs luimême fait le parallèle entre le parti de Modi et le sien lors des célébrations, en mai dernier, du Vaish Divas 2022.
Est-ce à dire qu’il sera réélu en 2024 ? Atann nou gété...
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