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Interview live de Sherry Singh: seul l’intérêt public comptera ce soir
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Interview live de Sherry Singh: seul l’intérêt public comptera ce soir
Depuis samedi soir, quand l’express a annoncé que c’est dans sa salle de rédaction que Sherry Singh démentirait Pravind Jugnauth, nos journalistes sont inondés d’appels téléphoniques et de messages WhatsApp. Chaque contact, chaque source, les pro-MSM, les anti-Jugnauth, tous y vont de leurs propositions de questions, de leurs analyses sur une éventuelle autre raison de la démission du Chief Executive Officer (CEO) de Mauritius Telecom (MT), et des innombrables sujets à aborder durant les 90 minutes qu’il nous consacrera ce soir.
Son interview exclusive à Radio Plus il y a 11 jours n’a donc rassasié personne. Il règne le sentiment que Sherry Singh, qui se présente comme un des – sinon le principal – architectes du «making of a Prime minister in the person of Pravind Jugnauth», parce qu’il a tellement été proche des Jugnauth, ne nous a proposé qu’une mise en bouche en détaillant le Kitchen Cabinet dirigé par celle qu’il a appelée «Lady Macbeth», en annonçant un «tsunami», ou en racontant comment on lui avait fourni une liste de personnes – des pro-opposition – à expulser d’Air Mauritius lors de son court passage à la compagnie d’aviation nationale.
Mais «de toutes les fautes que les Mauriciens reprochent au PM, aucune n’apparaît aussi condamnable que l’accusation de l’ancien CEO de MT : (…) une proposition du PM d’installer un système de surveillance des échanges Internet des Mauriciens», écrivait le journaliste de carrière Jean-Claude de l’Estrac dès le lendemain. Et il nous semble bien à l’express qu’il faudra que ce soit LE sujet central du passage de Sherry Singh dans notre rédaction.
En effet, ses tréfilages – sans jeux de mots impliquant le cuivre – des membres de la nouvelle Lakwizinn, sa longue amitié avec le couple Jugnauth et ses anecdotes, toutes aussi croustillantes soient-elles, risquent de nous traîner dans le sensationnalisme au détriment de ce que mange, respire, et vit tout journaliste : l’intérêt public. Il n’y a rien de plus important dans l’intérêt public que de savoir si l’État espionne, ou a tenté, d’espionner ses citoyens. Et ce n’est pas qu’une question de savoir qui du PM ou de Sherry Singh ment (ce ne sont que des hommes faillibles après tout). Si Sherry Singh a fabriqué une histoire avec, comme le dit Pravind Jugnauth, «un peu de vérité et beaucoup de mensonges» pour être à la hauteur de ses très probables ambitions politiques, il faudra qu’il assume l’instabilité nationale et géopolitique qu’il a provoquée (même si techniquement et factuellement c’est Pravind Jugnauth qui a balancé «Shri Narendra Modi»). La géopolitique, c’est d’ailleurs une des orientations que veut donner le clan Jugnauth à l’opinion publique. «Avec Huawei, il roule pour la Chine en refusant l’accès aux Indiens à la landing station de Baie-Jacotet», a récemment écrit un propagandiste du pouvoir qui dirige une rédaction en surfant sur le «Shri Narendra Modi» cité plusieurs fois par Pravind Jugnauth dans cette affaire.
Par panique ou instinct de survie – ou pas – Pravind Jugnauth a donné sa version à lui. Même si elle est tardive, un peu confuse, pas suffisamment explicite, cette version a tout de même une structure : «Ce n’était qu’un survey et il n’a jamais été question de sniffer (…) et Sherry Singh est un menteur.» Si Sherry Singh a choisi de renchérir ce soir, c’est parce que justement, sur Radio Plus, il avait promis que si Pravind Jugnauth l’accuserait de mentir, il passerait à «l’autre étape».
L’autre étape, cette prestation de l’ex-patron de MT ce soir dépasse cependant son honneur personnel ou sa colère contre les Jugnauth. Sherry Singh ce soir a le devoir de prouver ses dires pour que le pays sache. Maurice, Stella Clavis Maris Indici, qui mène un combat mondial pour la décolonisation des Chagos, ne peut pas se permettre de se retrouver dans une position ambiguë au coeur de la cyberguerre du 21e siècle que se livrent Chinois, Indiens, Russes, Américains et autres Britanniques.
Voilà pourquoi, le directeur des publications, Nad Sivaramen a écrit, dimanche : «Cette semaine, nous attendons Sherry Singh de pied ferme. (…) L’homme en soi ne nous intéresse pas, parce qu’on l’a suffisamment vu à l’oeuvre depuis 2015, comme partie prenante de la stratégie gouvernementale, antidémocratique, visant à nous priver des revenus publicitaires, dans une vile tentative de nous réduire au silence. (…) Ce qui nous intéresse, ce n’est pas de savoir de qui Sherry Singh serait proche ou pas, ce qui nous intéresse, comme journalistes, ce sont les documents qu’il dit avoir pour soutenir ses graves allégations contre le PM. Encore plus important que la personne du PM, nous voulons savoir si, oui ou non, le trafic sur Internet est sécurisé ou pas…»
***
Comme il est d’usage pour tout journaliste avant une interview aussi importante, nous avons rencontré Sherry Singh pour une séance de travail pour discuter de la forme que prendrait l’exercice, et aborder les grands axes de l’interview. «You can come with any question, but give me the due time to show that Pravind Jugnauth is lying», nous a-t-il demandé. Nous avons agréé, car pour les raisons citées plus haut, c’est justement dans le mensonge allégué de Pravind Jugnauth (ou celui de Sherry Singh) que réside le sacro-saint intérêt public qui nous anime.
Sherry Singh avait tout l’air d’un homme déterminé, littéralement un lion en muselière qui ne demande qu’à rugir quand nous l’avons rencontré. Mais la détermination face à la ruse des Jugnauth ne suffit pas. Beaucoup, de Bhadain à Sanspeur en passant par Bodha, s’y sont essayés et ont mordu la poussière. Si Sherry Singh vient armé de son unique amertume contre les Jugnauth ou ses ambitions politiques, il n’aura pas plus de chance qu’eux. Sherry Singh doit comprendre qu’il n’a qu’un seul allié : l’intérêt public. Ce public convaincu de sa franchise lui confiera alors sa protection via l’arme la plus protectrice de toutes : l’opinion publique.
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