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Sécurité nationale: ce concept très vague

14 juillet 2022, 18:30

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Sécurité nationale: ce concept très vague

Le «survey» commandité par le Premier ministre avait trait à la sécurité de l’État. Pravind Jugnauth l’a dit à Balaclava le 6 juillet et l’a réitéré mardi, à l’Assemblée nationale. Mais il n’a pas donné plus de précisions sur les risques pour la sécurité, ni comment il allait aider à remédier à la situation. La question qui se pose est : quand est-ce que la sécurité nationale peut être invoquée ?

«…The only question as regard to Baie Jacotet Landing Station was the conduct of a survey by the Indian team in the interest of national security», a déclaré Pravind Jugnauth, mardi, en réponse conjointe aux questions d’Ehsan Juman et Patrick Assirvaden. Sherry Singh, lui, dans son interview sur le plateau de l’express, avait fait remarquer que pour de telles demandes d’aide sensibles, des communications officielles doivent exister entre Maurice en l’Inde. Cela ne se fait pas par un simple appel téléphonique. Les échanges doivent être officiels. De plus, la nature du danger potentiel est toujours floue. Force est de constater que légalement, ce terme est assez vague. Il n’y a pas de définition. «C’est tout ce qui touche à la sécurité du pays, des citoyens et de l’économie. Il n’y a pas de cadre légal entourant le terme», avance l’ancien juge Vinod Boolell. Cependant, Rajen Narsinghen, constitutionnaliste, précise que le terme, même vague, ne peut pas être utilisé à tort et à travers. La Constitution fait mention de l’état d’urgence et de l’ordre public, mais sans plus. Selon lui, face à la situation géopolitique, de plus en plus de chefs d’États invoquent la sécurité nationale pour prendre des décisions draconiennes. «Certains exécutent même des citoyens au nom de la sécurité.» Il est donc temps, selon lui, d’avoir un cadre pour réguler l’utilisation de sécurité nationale car il devient dangereux de laisser un tel outil dans la main d’une seule personne. Toujours est-il que comme tous les principes, son utilisation doit être raisonnable.

Colonisation digitale

Revenant sur les révélations de Sherry Singh sur la surveillance des données numériques par l’Inde, Rajen Narsinghen explique que dans le monde actuel, où la guerre se fait davantage à travers l’information que les armes, le territoire des données constitue un terrain virtuel mais primordial pour chaque pays. Donner accès à ces informations à un autre pays équivaut à l’acceptation d’être colonisé de manière digitale. «Lorsque nous évoquons l’archipel des Chagos, il y a une explication pour laquelle le gouvernement d’alors cédé à la demande d’excision. Mais pour Agalega, la situation est similaire à ce qui est en train d’être fait à nos informations. Il n’y a ni excuse ni explications à cela.» Dans la foulée, il rappelle que la Cybersecurity and Cybercrime Act de 2021 jetait les bases pour permettre un pays tiers à avoir libre accès à nos données légalement en invoquant la sécurité nationale. Rappelons d’ailleurs que ce projet de loi a été présenté au cabinet des ministres le 22 octobre 2021. La première lettre de la division sécurité du bureau du Premier ministre à Mauritius Telecom demandant des informations sur le câble SAFE et la landing station date de la veille…

C’était un acte péremptoire pour permettre une colonisation digitale légalement. D’ailleurs, est-ce qu’une telle démarche ne serait pas contre le concept même de la souveraineté d’un pays, qui est lié à la sécurité nationale ?

Maurice en position «très délicate»

Concernant l’intervention sur le câble, l’ancien CEO de Mauritius Telecom a été clair : sans l’aval du consortium, toute intervention est illégale. Il a aussi été clair sur le fait qu’une intervention a bien eu lieu. Vijay Makhan, ancien diplomate, avance qu’une telle démarche affectera indéniablement la confiance entre Maurice et ses partenaires. «Cela nous met dans une situation très délicate», d’autant que le consortium comprend des opérateurs à travers le monde et qu’une telle démarche «fera sourciller» nos partenaires.

LPM demande à l’Inde de rappeler le conseiller en sécurité

Plusieurs points étaient à l’agenda de la rencontre entre Linion Pep Morisien (LPM) et la presse hier, notamment une lettre qui sera bientôt envoyée à la haute-commissaire de l’Inde à Maurice pour demander au gouvernement indien de rappeler l’ancien agent des services de renseignements indiens, Kumarsan Ilango, que le PM a recruté en septembre 2021 comme conseiller en matière de sécurité. Bruneau Laurette a présenté le «007 indien» et estime que ce dernier représente «un danger pour Maurice». Il a rappelé que durant son parcours, il avait été renvoyé des services de renseignements de son pays après que le gouvernement sri-lankais l’avait accusé d’avoir aidé l’opposition à évincer le président Mahinda Rajapaksa en 2015. Une autre lettre sera envoyée à l’ambassadrice de l’Inde pour avoir des éclaircissements sur cette affaire de sniffing et pour savoir si oui ou non, des techniciens indiens sont intervenus sur le câble SAFE à Maurice.

...Ou prétexte à espionner ?

Pravind Jugnauth affirmeque sa demande d’aide de l’Inde pour le «survey» de notre système de communication a trait à la sécurité d’État. Quelle sécurité exactement ? Il ne l’a pas dit. En privé, on veut faire croire aux journalistes que c’est pour répondre à une menace d’ingérence d’un autre pays. Mais les arguments sont aussi friables que le sable de Baie-Jacotet.

Pour tenter de nous convaincre, on nous rappelle l’affaire Huawei qui avait secoué les relations entre les États-Unis et la Chine. Cette entreprise était accusée par le gouvernement Trump (et Biden) de refiler des informations puisées des réseaux que l’entreprise a installés dans de nombreux pays, dont l’Amérique, au gouvernement chinois.

Cependant, aucune preuve n’a jamais pu être fournie par les Américains jusqu’ici. Même Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei, qui était en résidence surveillée depuis son arrestation à Vancouver en 2018, a été libérée en septembre 2021 et les charges contre elle ont été abandonnées.

Un ancien parlementaire et fin observateur de la géopolitique que nous avons contacté trouve la thèse de survey ou d’installation de matériels à des fins d’espionnage ou de contre-espionnage complètement farfelue. «Croyez-vous que cette compagnie, Huawei, cotée à la bourse de Hong-Kong, se livrera aux pratiques dont l’accusent les États-Unis et mettra en péril son business florissant ?»

De plus, nous dit-il, quel est l’intérêt de la Chine de venir nous espionner ? «Avons-nous des usines ou des armes ultrasophistiquées que la Chine veut copier ? Notre économie est-elle si puissante que les Chinois la convoitent ?» Notre interlocuteur n’est pas non plus convaincu que l’Inde soit intéressée à espionner la Chine à Maurice, elle qui doit surveiller des milliers de kilomètres de ses frontières.

 Donc, pour cet ancien parlementaire, le pouvoir tente sous tapis d’inviter le débat sur la Chine pour dévier l’attention. «On ne le dit pas ouvertement parce que c’est faux ! En fait, ce serait d’autres motivations inavouables plus sérieuses qui sont derrière cette ‘visite’ de techniciens indiens.» Comme quoi ? «Pourquoi ce ne serait pas Pra- vind Jugnauth qui a demandé l’aide indienne et non l’inverse ? Pourquoi ne serait-ce pas une demande d’aide en vue d’espionner… les Mauriciens ?»

Et l’aéroport ?

Et pour quelle raison l’Inde, cette grande démocratie, accepterait-elle de rendre de tels services personnels et partisans ? «En retour, il y a Agalega, les gros contrats en faveur d’entrepreneurs indiens, contrats qui sont en train de mettre à genoux notre économie. Pourquoi d’après vous notre gouvernement est si généreux envers l’Inde ? Un petit service perso en retour est tout ce qu’il y a de plus intéressant vu que les Mauriciens n’y verront que du feu ! D’autant plus que des élections difficiles ar- rivent à grands pas.»

En fait, la sécurité nationale dont parle constamment Pravind Jugnauth semble nous diriger vers la protection contre une ou d’autres puissances internationales. «Pourquoi des techniciens indiens que Modi a bien voulu nous envoyer n’interviennent-ils pas aussi au port, à l’aéroport et aux divers radars, dont celui de Trou-aux-Cerfs ? Pourquoi se concentrer sur la communication ?» C’est pour cela que notre interlocuteur penche plutôt pour l’espionnage des Mauriciens.

Un avocat, qui a lui aussi préféré garder l’anonymat, n’est pas non plus convaincu par la thèse d’espionnage. Ni de demande venue de l’Inde. «En voyant comment Pravind Jugnauth a tout déballé concernant ses conversations privées avec Modi, je ne peux que conclure que c’est lui qui était demandeur et pas Modi, surtout quand il aurait dit à Sherry Singh : ‘Ki mo pou al dir Modi aster’.»

En tout cas, un économiste nous signale que l’intervention illégale, de surcroît par des étrangers, sur notre réseau a causé une grave crise de confiance au niveau national et international. «L’économie, surtout le secteur financier, pourrait en pâtir.»