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Accord entre l’Inde et Maurice: un «deal» qui chiffonne la moustache

17 juillet 2022, 19:00

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Accord entre l’Inde et Maurice: un «deal» qui chiffonne la moustache

Après les révélations de Sherry Singh et les réponses de Pravind Jugnauth, la question principale demeure : qu’a demandé Pravind Jugnauth à Narendra Modi et vice versa ? Quel est le deal avec la Grande péninsule ? Quel était le but de ce survey ou de cette opération sniffing ? Pourquoi ces négociations sous-marines autour du câble SAFE ?

En tout cas, le fait que le Premier ministre (PM) ait cité le nom de Narendra Modi et des conversations que celui-ci aurait eues avec Pravind Jugnauth a interpellé Arvin Boolell, qui l’a dit dans sa conférence de presse, vendredi. Si Pravind Jugnauth s’est résigné à cette extrémité, c’est-à-dire, à dévoiler une conversation privée entre lui et Modi, au risque de froisser celui-ci, n’est-ce pas un sauve-qui-peut de sa part ? Ne voulait-il pas cacher autre chose sous le tapis de la sécurité d’État ? N’a-t-il pas tout simplement menti ? Ou n’a-t-il pas dit toute la vérité ? Voyons les différentes implications...

Pravind Jugnauth a demandé l’aide de Modi...

Si c’est Pravind Jugnauth qui a demandé de l’aide de Modi, on voudrait bien savoir pourquoi. Certes, le PM avance que ce sont pour des raisons de sécurité nationale, que l’on peut interpréter par celle de l’État mauricien. Mais cet argument fait rigoler beaucoup de personnes (NdlR, voir l’express de jeudi où deux intervenants ont démoli cet argument. Notamment celui concernant la protection du pays contre les Chinois).

Si c’est bien lui qui a approché Modi, ne serait-ce pas en fait dans l’intérêt de son parti, le MSM ? C’est l’avis en tout cas des membres de l’opposition. Ainsi, Arvin Boolell a vendredi, dans la conférence de presse du Parti travailliste (PTr), fait comprendre qu’il est convaincu que Pravind Jugnauth a permis aux techniciens indiens de nous espionner pour en tirer des avantages électoraux. Si c’est vrai que Pravind Jugnauth a demandé l’aide de Modi et que ce dernier a accepté de la lui donner, que donnera ou qu’a déjà donné Pravind Jugnauth à l’Inde ?

Est-ce le MSM ou le pays qui a donné ou donnera ? On nous rappelle que le pays a déjà «offert» Agalega à l’Inde malgré les démentis et de généreux contrats aux entrepreneurs et autres fournisseurs d’armes indiens. La question surgit alors : Pravind Jugnauth a-t-il, si on considère seulement Agalega, offert cette île aux Indiens, en échange de leur protection ? Cela rien que pour recevoir en retour un service personnel ou partisan. Aucune autre hypothèse n’est envisageable sauf si la preuve nous est donnée que c’est le Sun Trust qui a réglé ce petit service. Même si c’est le MSM qui a payé, le PM n’avait pas le droit de permettre à des étrangers d’intervenir sur les réseaux de MT ou du Consortium.

Cependant, la plupart des personnes contactées pensent que ni l’argent du MSM, ni celui de Pravind Jugnauth n’aurait été utilisé. Dans ce cas de figure, le deal serait donc : «Tu m’envoies des techniciens et je te donne Agalega.»

Modi a demandé «l’aide» de Jugnauth...

Est-ce Modi qui a demandé la permission à Jugnauth d’intervenir sur notre réseau ? Tout d’abord, il est évident que si le PM indien demande un service à un autre pays, c’est dans l’intérêt de la Grande péninsule et non dans son intérêt personnel ou de son parti. Certes, Modi est accusé d’espionner ses concitoyens en Inde. Mais il ne prendra jamais le risque d’aller espionner à l’étranger pour le compte de son parti car un jour ou l’autre cela se saura. Alors que s’il envoie des techniciens à l’étranger dans l’intérêt de l’Inde, cela peut lui être pardonné là-bas. Même si c’est au prix de l’espionnage des Indiens opérant à partir de l’étranger.

Justement, un avocat travaillant dans l’offshore nous relate une rencontre qu’il vient d’avoir avec un investisseur indien. Celui-ci veut retirer tout son argent des banques mauriciennes car il craint que le gouvernement de Modi ne soit en train de chercher par tous les moyens d’intercepter les mouvements de fonds de et vers Maurice. «Des investisseurs indiens, nous explique l’avocat, utiliseraient toujours Maurice comme plateforme d’investissement malgré la fin de l’accord de non-double imposition entre Maurice et l’Inde.» L’avocat craint que des investisseurs d’autres pays ne soient effrayés par le manège des techniciens indiens, le 15 avril 2022.

Modi ou son gouvernement serait-il intéressé par les mouvements de fonds ? Un autre avocat est catégorique. «Non, je ne le crois pas. Car intercepter les messages S.W.I.F.T et autres messages bancaires est carrément du piratage. On est sur un terrain glissant.» Modi souhaite-t-il obtenir d’autres informations militaires, diplomatiques et industrielles entre Maurice et d’autres pays ? Non, nous répondent en chœur les deux avocats. D’ailleurs, comme l’a dit un ancien parlementaire, il ne voit pas Modi s’intéresser à Maurice alors qu’il a des milliers de kilomètres de frontière à surveiller…

Et Agalega ? Si Modi est intéressé à savoir ce qui se dit entre Maurice et les autres pays sur Agalega, «il n’a qu’à lire les journaux au lieu de se risquer dans une entreprise aussi dangereuse que l’espionnage d’autres pays». C’est pour cela, que plusieurs personnes pensent que ce n’est pas Modi qui a fait cette demande à Jugnauth mais l’inverse. Et si comme nous l’avons vu plus haut, c’est bel et bien Jugnauth qui l’a fait, comme il le dit lui-même, c’est pour des intérêts politiques locaux.

Pourquoi c’est grave…

Coup de tonnerre le 1er juillet lors des premières révélations de Sherry Singh à Nawaz Noorbux sur Radio Plus. L’ex-CEO de Mauritius Telecom affirme que le Premier ministre lui a demandé de permettre à une tierce partie d’avoir accès à notre réseau de télécommunications pour faire du sniffing. Autre révélation de taille ce jour-là, Sherry Singh confirme l’existence d’une sorte de gouvernement parallèle présidée par «Lady Macbeth», avec le ministre des Finances comme trésorier et il donne le nom de plusieurs autres personnages non-élus qui décide au sein de kwizinn de tous les enjeux importants du pays. Le nom du Premier ministre ne figure même pas sur cette liste. Après avoir nié de façon équivoque, le samedi 2 juillet lors d’une cérémonie à Bois-Marchand, avoir téléphoné le 15 avril à Sherry Singh, Pravind Jugnauth viendra contredire Pravind Jugnauth lors d’une autre cérémonie à Balaclava en confirmant qu’il lui a bien parlé le 15 avril. C’est un Premier ministre «coincé» qui fera d’autres révélations au cours de cette même cérémonie. Ainsi, il ajoutera que c’est lui qui a demandé à Narendra Modi de l’aider pour, dit-il, assurer la sécurité de l’État.

Sherry Singh qui a dû se marrer en entendant Pravind Jugnauth citer le nom de Modi, les techniciens indiens et le survey, revient le mardi 11 juillet, sur le plateau de l’express.mu pour faire d’autres révélations. Ainsi, il expliquera comment il a tout fait pour que Pravind Jugnauth n’aille pas de l’avant avec sa demande d’informations sur notre réseau. Et comment il a dû se plier «under duress» aux ordres de Pravind Jugnauth. Cela en octobre et décembre 2021. Sherry Singh expliquera comment il a essayé de résister à la demande du Premier ministre d’un survey cette fois et qu’il a dû encore une fois céder.

La chose la plus importante qu’il révélera, c’est la teneur d’une conversation qu’il a eue avec Misié Moustas, le chef d’une délégation indienne (voir hors-texte) composée de trois techniciens. Celui-ci lui aurait dit en présence d’un haut fonctionnaire qu’il y aurait bien un survey à Baie-Jacotet, destiné à analyser le trafic internet en vue de l’installation d’un appareil qui, selon Sherry Singh, permettrait de faire du sniffing. Rappelons que lors de toutes ces interventions, y compris au Parlement, Pravind Jugnauth a nié que le sniffing était au programme et a juste parlé de survey. Les preuves éventuelles de Sherry Singh, le «Misié Moutas» et le témoignage du fonctionnaire sont donc vitales pour savoir si Pravind Jugnauth ment depuis le 2 juillet, y compris au Parlement.

Si ce que Sherry Singh a dit et qui a été confirmé par le PM, à l’effet que les étrangers sont intervenus sur notre réseau, est vrai, cela voudrait dire que la communication entre nous Mauriciens et avec les étrangers n’est plus safe. Si un appareil d’interception a été installé ou allait être installé comme l’a dit Sherry Singh, cela voudrait dire que nos échanges tomberont entre les mains de tierces personnes. Ces données peuvent être utilisées pour analyser nos préférences, nos goûts personnels et même nos affiliations politiques. Nos données bancaires sont alors aussi en danger.

Et le consortium alors?

Nous avons contacté, durant toute la semaine, par courrier électronique, plusieurs opérateurs membres du consortium gérant le câble SAFE (voir aussi en pg. 5), pour leur demander de commenter cette affaire qui fait grand bruit à Maurice. Toutefois, à hier, aucun des opérateurs des différents pays n’était revenu vers nous. Comme nous l’a confié un ancien haut cadre de Mauritius Telecom, le consortium n’ébruitera sans doute pas les détails de cette affaire car cela pourrait être très dangereux pour eux. Premièrement, ils pourraient perdre leur clientèle, la confiance étant primordiale mais aussi deuxièmement, beaucoup d’argent…

Le mystérieux «Misié Moustas»

Depuis que Sherry Singh a parlé d’un «Misié avek enn gro moustas», sur le plateau de l’express mardi, tout le monde est parti à la chasse aux indices capillaires. Si dans un premier temps, on croyait qu’il s’agissait de Kumarensan Illango, conseiller en matière de sécurité au Bureau du Premier ministre depuis août 2021, selon certaines sources, il n’en serait rien. «Tout porte à croire qu’il s’agirait d’un autre Indien. Pas lui, car on a précisé que ‘Misié Moustas’ faisait partie de la délégation indienne qui a fait le survey à la landing station de Baie-Jacotet ; il ne peut donc pas s’agir de M. Illango. Maintenant il faudra enquêter pour savoir de qui il s’agit. Mais son identité importe moins que ce qui a été fait pendant plus de six heures le 15 avril à Baie-Jacotet», fait-on valoir.

Les ambitions politiques de Sherry Singh

Il l’a bien fait comprendre. «Si besoin est», il se jettera dans l’arène politique et ira sur le terrain rencontrer et donner des explications à la population. Ce qui est certain, c’est qu’il a déjà annoncé la couleur dans ses deux interventions à Radio Plus et l’express. Il veut «rassembler» et a même dénoncé les ambitions de Lakwizinn de diviser la population. Fait notable aussi, Sherry Singh n’a montré aucune hostilité envers les groupes d’opposition, souhaitant les rencontrer a-t-il dit, laissant ainsi toutes les portes ouvertes. De l’autre côté, à une exception près, toute l’opposition a accueilli son invitation à l’unisson et a même signifié son soutien à l’ex-CEO. Où ira-t-il ? Alors que tous soutenaient qu’il rejoindrait Linion Pep Morisien, Bruno Laurette a indiqué que tel n’est pas le cas. Pour l’heure.