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Abus sexuels allégués à l’école des sourds: perceptions de conflit d’intérêts et risque de vice de procédure

21 juillet 2022, 16:00

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Abus sexuels allégués à l’école des sourds: perceptions de conflit d’intérêts et risque de vice de procédure

Dès que les 14 enfants sourds ont porté plainte contre l’orthophoniste Ibrahim Sorefan, le 21 juin, la Special Education Needs Authority (SENA) a diligenté ses inspecteurs dans cette institution pour une enquête. Une semaine plus tard, un rapport dans lequel «beaucoup de failles ont été identifiées», selon Arvin Authelsing, le directeur, a été remis au ministère de l’Education. Parmi ces failles, le fait que la SENA n’a pas été informée avant que l’orthophoniste ne soit recruté. Le justificatif avancé par la direction est que l’institution compilait encore son dossier.

Une source estime qu’il y a une perception de conflits d’intérêts à deux niveaux. D’abord du fait que le Dr Noorjahane Joonas, directrice de la Society for the Welfare of the Deaf, organisme qui gère l’École des Sourds, est membre du conseil d’administration de la SENA et qu’à ce titre, elle aurait dû être au courant de ce règlement relatif au recrutement d’une personne-ressource. Et deuxièmement qu’un fonctionnaire du ministère de la Sécurité sociale, aussi concerné par l’affaire, est membre du board de la Society for the Welfare of the Deaf.

Arvin Authelsing a réfuté la question de perception de conflits d’intérêts car le rapport qui a été fait par les inspecteurs de la SENA et soumis au ministère de tutelle, a-t-il précisé, ne va pas jusqu’au conseil d’administration. «Cela fait partie de ma gestion des opérations.» Nous avons tenté de joindre Artee Bisoonauthsing, la manager de l’École des Sourds, de même que le Dr Norjehan Joonas, présidente de la Society for the Welfare of the Deaf à travers l’École mais nos appels sont restés sans réponse. Le ministère de la Sécurité sociale nous a fait savoir que l’enquête ne relève pas de ses prérogatives mais que la ministre Fazila Jeewa-Daureeawoo a rencontré les parents et les victimes dès que celles-ci ont porté plainte et qu’elle s’est assurée que des interprètes de langue des signes indépendants puissent communiquer avec les enfants.

Le juriste Ivor Tan Yan, membre du comité de soutien aux victimes et à leurs parents, estime d’abord que le problème majeur est l’absence de procédures de crise dans les écoles par rapport à de tels cas. «Il ne se passe pas un mois à Maurice sans qu’il n’y ait une allégation d’abus ou d’attouchement sur des enfants dans les écoles. Qu’ont fait les ministères de l’Éducation, de l’Égalité du genre et les autres autorités concernées pendant tout ce temps ? Pourquoi n’ont-elles pas déjà mis en place des procédures de crise ?»

Il ne comprend pas comment ces autorités ne coordonnent pas leurs actions. «Les parents reçoivent des convocations et on leur dit d’emmener leur enfant pour qu’il soit vu par un psychologue de la CDU, par exemple. Ensuite, c’est une autre convocation par un autre ministère. Il n’y a pas d’actions concertées, pas de coordination et les autorités peuvent se prévaloir d’être dans leur bon droit en invoquant la loi. C’est une approche d’autorité et pas une approche humaine.»

Comme les parents des enfants victimes d’abus sexuels présumés sont dans le flou absolu par rapport à la suite de l’affaire, le comité de soutien a sollicité une rencontre avec l’Ombudsperson for Children la semaine dernière. Rita Venkatasawmy a reçu les parents et les membres du comité de soutien. Ils ont fait part des problèmes susmentionnés. Un courrier a été remis à la direction de l’École des Sourds pour demander une harmonisation de l’action des ministères concernés. Hier, mercredi, l’Ombudsperson for Children a tenu une deuxième réunion à son bureau avec les parents des enfants victimes et un membre du comité de soutien.

Ce comité indique que les parents ont demandé un calendrier d’interventions pour les enfants, pas uniquement une convocation d’une autorité à une date précise mais de connaître aussi le thème qui sera abordé avec leur enfant et s’ils peuvent être présents. «Il faut un traitement plus humain des victimes et de leurs parents.»

Ivor Tan Yan craint que tous les cafouillages entourant l’affaire n’entravent l’enquête policière et ne donnent lieu à un vice de procédure en cour, «qui permettrait à un présumé pédophile de s’en sortir». Tout en saluant l’aide fournie par Rita Venkatasawmy, il demande que les ministères concernés mettent en place des procédures de crise dans les écoles pour gérer de tels cas à l’avenir.

Dans cette optique, la SENA organise, depuis lundi, un atelier de travail avec des représentants de 53 organisations non gouvernementales s’occupant d’enfants à besoins spéciaux, les managers et un enseignant par institution des 11 Integrated Units du ministère de l’Education et des six Special Education Needs Ressources Centres pour évoquer notamment la question de Reporting Policy. «Le protocole existe mais il semblerait qu’il n’était pas connu de tous. Nous avons familiarisé tout le monde à l’abus et sur la marche à suivre en cas d’abus et nous avons eu la collaboration de plusieurs acteurs comme la CDU, la police en la personne du Dr Sudesh Kumar Gundagin, chef du département médico-légal, qui a évoqué des études de cas de façon très crue. C’était voulu car il fallaitfaire comprendre aux managers qu’eux aussi doivent jouer leur rôle et entrer dans tous les détails pour ne rien rater et ne pas se contenter de passer leurs journées assis dans leurs bureaux», a expliqué Arvin Authelsing. Les enseignants ont un mois pour faire suivre toutes les informations reçues au reste du personnel.

L’enquête policière se poursuit. Aarti Bissoonauthsing a été interrogé hier par rapport à la gestion des fonds de l’école car les enquêteurs auraient noté un écart entre l’argent recueilli auprès de divers organismes et le montant déclaré.