Publicité

Où est passé la bonne gouvernance au sommet de l’Etat ?

27 juillet 2022, 18:06

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Où est passé la bonne gouvernance au sommet de l’Etat ?

Malgré les arguments qu’apportera dans les prochaines heures Pravind Jugnauth dans ce qu’on appelle désormais l’affaire Sherry Singh et ses allégations de sniffing sur le réseau du câble SAFE, il est pour le moins certain qu’il sera difficile de renverser l’opinion publique qui aura déjà fait son jugement. Cela, en raison des différentes versions, souvent contradictoires, que le Premier ministre (PM) a lui-même données au Parlement et ailleurs pour contrer les premières révélations de l’excommunicant du PM sur les antennes de Radio Plus le 1er juillet 24 heures après sa démission en tant que CEO de MT.

Or, les nouvelles révélations dans le studio de l’express le 12 juillet et particulièrement celles du 22 du même mois à Radio Plus, soutenues cette fois par le rapport technique de l’ex-Chief Technical Officer, Girish Guddoy, sur la visite des experts indiens le 15 avril à la station de Baie-du-Jacotet et, accessoirement, des explications de Sherry Singh, sont venues choquer les esprits dans la population, qui s’interroge sur la responsabilité de Pravind Jugnauth dans cette affaire et sur la pertinence des autorités indiennes à venir à cette landing station pour sniffer et capter des données du trafic Internet (personnelles et confidentielles) transitant sur le réseau, même si ce n’était que pour deux minutes à en croire Sherry Singh.

Depuis vendredi, Pravind Jugnauth s’est muré dans un long silence, préférant envoyer des seconds couteaux pour démolir les arguments des ex-CEO et ex-CTO de MT. À première vue, le tandem Hurreeram/Balgobin n’a pu désamorcer la bombe Sherry Singh, la réplique étant faible, peu convaincante et frisant le ridicule, devenant la risée des réseaux sociaux, notamment le duel à distance entre Bobby Hurreeram et le directeur de l’information de Radio Plus, Nawaz Noorbux.

Au-delà des intérêts politiques, voire géopolitiques, des uns et des autres dans cette nébuleuse affaire que certains qualifient déjà de «Watergate à la mauricienne», il y a, à la base, une grave crise de gouvernance au sommet de l’État, qui se décline parallèlement au niveau de l’opérateur historique des télécommunications. Et ils n’auront pas échappé aux observations des spécialistes.

Quand le PM décide sur la base de renseignements obtenus sur la sécurité d’État, fournis probablement par les autorités indiennes et qu’il autorise une équipe de techniciens de la Grande péninsule de débarquer à MT pour obtenir l’accès à la station de Baiedu-Jacotet pour se livrer à un «survey» technique qui s’avérera ensuite plus qu’une simple inspection, on peut poser certaines questions. «Il faut comprendre que dans le service public, les fonctionnaires, même ceux en haut de la hiérarchie, aussi bien que les ministres, voire le PM, doivent respecter des procédures définies dans un cadre légal approuvé par le Parlement. Un PM ne peut se prévaloir de son statut et téléphoner directement au CEO d’une institution, s’il s’agit d’un sujet d’intérêt national ; il doit aussi par la suite briefer ses proches collaborateurs», prévient Kris Ponnusamy, ex-Senior Chief Executive.

On peut s’interroger si dans le cas précis, les ministres de son cabinet avaient été mis au courant de l’existence de cette intervention humaine à la station de Baiedu-Jacotet. Un ancien haut fonctionnaire, qui a déjà servi comme secrétaire au cabinet, pousse la réflexion plus loin. Il se demande si l’actuel locataire à ce poste et chairman démissionnaire de MT, révoqué, selon certains, comme les quatre autres nominés, n’aurait pas dû informer le board de cette demande de permission du PM pour cette inspection, compte tenu de ses multiples implications tant légales que celles relevant de la protection des données confidentielles des usagers de MT passant par le réseau SAFE. Et l’ex-directeur de l’ancienne fédération patronale, Azad Jeetun, affirme que sur la base des informations qui émergent de cette affaire, il semble que c’est carrément une entorse aux principes de bonne gouvernance dans la fonction publique.

«Le PM a évoqué des problèmes à la sécurité nationale sans toutefois donner des détails. Quelle est la source de cette information?»

Toutefois, à part Transparency Mauritius, qui depuis l’éclatement de cette affaire, interpelle le gouvernement, plus particulièrement le PM, et l’invite à «step down», le temps de mettre en place une enquête indépendante pour y faire la lumière, on constate en revanche que, du côté du National Committee on Corporate Governance et du Mauritius Institute of Directors (MIoD) et d’autres institutions militant pour la bonne gouvernance au sein des entreprises, c’est le silence radio ! Pourquoi ce manque d’engagement ?

Interrogée, Sheila Ujoodha, CEO de la MIoD, dont la mission est la formation des dirigeants d’entreprises aux highest business practices for corporate sustainability, note que «la bonne gouvernance institutionnelle est une question d’actualité permanente et devrait être privilégiée car elle engage un ensemble de relations entre la direction de l’entreprise, son conseil d’administration, ses actionnaires et d’autres acteurs économiques et s’illustre comme étant l’un des attributs clés qui permet aux sociétés, quels que soient la taille, le secteur d’activité et la nature de l’organisation, de mieux faire face aux imprévus». Elle soutient que sa mission primaire est d’encourager la bonne gouvernance institutionnelle dans les entreprises mauriciennes, rappelant qu’elle doit être au centre de toutes les préoccupations dans les organisations des secteurs privé et public. «Elle permet non seulement une parfaite répartition des pouvoirs mais elle assure aussi la performance de l’entreprise en apportant de la valeur ajoutée aux actionnaires et différents acteurs, le tout dans la transparence et le strict respect des réglementations en vigueur.»

«Un Premier ministre ne peut se prévaloir de son statut et téléphoner directement au CEO d’une institution, s’il s’agit d’un sujet d’intérêt national.»

Pour le moment, Pravind Jugnauth – qui a habitué la population à des approximations sur tous les scandales secouant le gouvernement – est attendu au tournant, par rapport aux questions posées par des spécialistes et autres observateurs de la société qui défilent aujourd’hui sur les plateaux de radio pour décortiquer et voir clair dans ces deux rapports techniques sur l’audit des installations SAFE à la station de Baiedu-Jacotet et qui relèvent aujourd’hui du domaine public.

Le PM a évoqué des problèmes à la sécurité nationale sans toutefois donner des détails. Quelle est la source de cette information ? Est-ce une puissance étrangère ? Quel est l’intérêt du gouvernement Modi à envoyer des techniciens pour inspecter le réseau SAFE à la landing station locale et se livrer au data capture ? Est-ce que Maurice se retrouverait en raison d’une gouvernance pour le moins douteuse, au centre de grandes tensions géopolitiques entre la Chine et l’Inde dans la région ? Autant de questions sur la gouvernance du pays qui interpellent tous les citoyens. Il s’agit d’apporter des réponses claires pour rassurer la population qu’après les Chagos, ce n’est pas maintenant la souveraineté de Maurice qui est menacée.