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Curepipe: bienvenue à l’hôtel Europa, la maison de Jean-Noël…
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Curepipe: bienvenue à l’hôtel Europa, la maison de Jean-Noël…
Après plusieurs tentatives, des incendies et autres «malheurs», il devrait être chose du passé bientôt. Ce qui aura eu raison de cet établissement : le développement... En attendant, il entretient sa «légende», qui vit ses dernières heures. On vous propose une visite guidée, en «package all inclusive».
Il est 15 heures en ce jeudi. Piétons et collégiens ont encore du mal à supporter l’hiver curepipien, les rayons du soleil sont timides. Des jeunes gens se précipitent vers la gare routière, les papeteries, magasins et commerces alimentaires. La ville de Curepipe grouille de monde. Au beau milieu de tout ça : des infrastructures colossales annonçant l’arrivée imminente du métro. Mais il n’y a pas que les colosses en béton qui retiennent l’attention. Au milieu du neuf, il y a du vieux, du très vieux ; le fameux hôtel Europa, qui refuse semble-t-il d’abdiquer. Même s’il devrait être rasé bientôt, selon les autorités, qui souhaitent en venir à bout…
Autrefois, c’était un hôtel de luxe. Aujourd’hui, il est en ruine, presque un portail vers un monde parallèle. Situé tout près de la gare Jan Palach, juste à côté du rond-point, ce vieux bâtiment de cinq étages donne l’impression que ses murs lézardés peuvent s’effondrer à tout moment. L’escalier extérieur abrite désormais des plantes sauvages jusqu’au sommet, preuve s’il en faut que le béton n’arrête pas la nature. Fenêtres éventrées, vitres brisées, quatre feuilles de papier A4 collées... On verra qu’il s’agit de copies de l’avis juridique concernant l’acquisition obligatoire de ce terrain au nom de la National Housing Development Co Ltd, afin de développer un projet mixte commercial et résidentiel d’utilité publique... L’avis, daté du 19 juillet 2022, porte également la signature du vice-Premier ministre et ministre du Logement, Steven Obeegadoo.
On ne sait pas qui a balancé ces documents, mais cet épisode rappelle la riche histoire de ce bâtiment. En juin 2013, le conseil municipal de Curepipe avait pris la décision de le démolir. Puis, en 2018, la mairie avait pour ambition de raser l’hôtel pour en faire un parking surélevé, en marge du projet Metro Express. Cependant, diverses complications sont survenues, notamment des négociations avec les 52 héritiers du bâtiment. Si l’extérieur de cet hôtel autrefois prestigieux est aujourd’hui peu accueillant, l’intérieur – désordonné, obsédant, impressionnant – raconte des décennies de vécu, allant des réunions de famille jusqu’à la destruction et la solitude.
Il suffit de faire quelques pas pour constater que le feu y a fait des ravages, qu’il s’agisse de la réception, des bancs, des décorations murales ou de l’escalier principal, par ailleurs élégant, qui conduit au premier étage. Quatre ans avant, Europa avait été ravagé par les flammes. Des morceaux de verre éparpillés un peu partout, des meubles brisés, les murs détruits, l’épaisse couche de poussière font oublier que l’hôtel était jadis classé parmi les meilleurs de la région, avec sa clientèle sophistiquée, son bar et son service impeccable. Désormais, il n’est plus que l’ombre de lui-même ; un présent brisé, témoin d’un passé glorieux.
Le soir surtout, cet endroit accueille des clients d’un autre genre. En témoignent : des paquets de cigarettes vides propres et récemment utilisés, des masques et des kits de Covid-19, des pochettes vides de relaxants musculaires et d’analgésiques. En nous dirigeant vers l’escalier qui mène au premier étage, nous apercevons également un balai, des chaussures, de vieux matelas et quelques vêtements. Le mur latéral a été fraîchement redécoré à l’aide d’une bombe de peinture noire. Des humains en ont visiblement fait leur grotte…
«Mo pou al dan lésiel»
Tout au bout du premier étage, un escalier mène à l’extérieur du bâtiment, sur la ruelle qui débouche sur une zone résidentielle. Sur le balcon: des draps et vêtements propres qui sèchent au gré du vent. À qui donc peuvent-ils bien appartenir ? Une tête émerge finalement… Il s’avère que cet homme nous observait depuis le début. Un petit coucou, le contact est établi, un sourire se forme sur son visage.
Vêtu d’un épais manteau bleu clair, d’un jogging qui a l’air de tenir bien au chaud et d’une vieille paire de chaussures, l’homme aux dreadlocks, âgé d’une cinquantaine d’années, nous accueille finalement à bras ouverts. Jean-Noël habite en fait dans l’hôtel. Ce sans domicile fixe considère les vestiges de cet ancien bâtiment hôtelier comme sa maison. Est-il au courant que sa demeure sera bientôt détruite ? Il réfléchit un instant. Ses yeux reflètent soudain la crainte et l’insécurité. «Kisana kapav aret sa ? Ou pou kapav aret sa ? Bondié pou kapav aret sa?» se contente-t-il d’affirmer. Où ira-t-il ? «Lao…» Mais encore ? «Lao, dan lésiel, kot bondié, kot mo papa…»
La révérence
En face de l’hôtel Europa, nous rencontrons Karounen, propriétaire de la papeterie qui se trouve à quelques pas de la gare d’autobus. Cet habitant de la région a monté son commerce en 1993. «À l’époque, cet hôtel était le lieu où l’on célébrait de nombreux mariages. C’était vivant. On a été témoin de son essor et de sa chute.» Karounen, tout comme ses employés, se dit conscient de l’eyesore que constitue désormais l’hôtel et du danger potentiel qu’il représente pour les passants. «Il y a beaucoup de choses louches qui se passent dans cet hôtel. Souvent, nous devons appeler les pompiers en raison des petits départs de feu qui sont fréquents dans ce bâtiment. Nous avons eu un tel incident récemment, il y a environ deux semaines. Nous sommes conscients que plusieurs sans abri y ont trouvé refuge. Les autorités devraient les prendre en charge.»
À l’évocation de cet hôtel, les sentiments sont mitigés. Les gens sont partagés entre la nostalgie du passé et la réalité. Ce bâtiment au triste destin a jusqu’ici survécu à deux tentatives de démolition précédentes, au moins un grand incendie, un grand nombre de conflits familiaux.
Désormais, il semblerait qu’il devra bel et bien tirer sa révérence.
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